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Critique de Ahoi242


De mes années lycée, je retiendrai entre autres une citation inscrite à la craie sur un tableau noir du « Pèlerin de l'Absolu », Léon Bloy : « Je crois fermement que le sport est le moyen le plus sûr de produire une génération d'infirmes et de crétins malfaisants ».

En première analyse, le football constitue un sérieux candidat à la validation de la sentence de Léon Bloy : il est parfois qualifié de sport d'handicapés parce que l'usage des mains est proscrit et pénalisé sauf pour le gardien de but - à ce sujet, lire l'excellent livre de Xavier de la Porte, La Controverse pied/main, prétexte à une logique du football - et les comportements des supporters de football sont parfois ceux de crétins malfaisants - mais n'oublions pas avec Eduardo Galeano que « dans la majeure partie des cas, la violence qui se déverse dans le football ne vient pas du football, de la même façon que ce n'est pas du mouchoir que viennent les larmes » (« Totalitarisme et résistance », p. 82). En deuxième analyse, le football est bien plus qu'un moyen « de produire une génération d'infirmes et de crétins malfaisants ». Comme l'écrivait un essayiste français dans un contexte bien différent, il y a ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas dans le football.

Cet hors-série de la revue Desports, le premier magazine de sport à lire avec un marque page, est le catalogue augmentée de l'exposition « Nous sommes foot » que le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) réalisé par Rudy Ricciotti - à sa façon, son activité est également sportive, lui qui considère que « L'architecture est un sport de combat » - a accueilli entre le 11 octobre 2017 et le 4 février 2018. Ce numéro hors-série est par ailleurs l'occasion de retrouver cette excellent magazine de sport qui est au mieux en pause, au pire en indefinite hiatus.

L'exposition « défendue par un effectif de 300 oeuvres, objets, photos et installations » mettait « en jeu 11 séquences et, comme les règles sportives l'imposent, se visit[ait] en 90 minutes » ; les commissaires de l'exposition, Gilles Perez et Florent Molle présentaient l'exposition ainsi : « Et si nous oubliions tous nos a priori sur le football ? Et si nous revenions aux sources d'un sport qui, abîmé par le « foot business », reste avant tout une pratique et une passion populaires, capable de réunir une bande d'amis, d'unir un quartier, de rassembler une ville entière, de fédérer toute une nation, au-delà des fractures sociales et politiques qui, chaque jour, s'acharnent à la désunir ? Et si nous osions accoler au mot « football » les adjectifs « social », « culturel » et « politique » ? Dans les rues de Marseille ou de Paris, dans les ports d'Istanbul ou d'Athènes, dans les banlieues d'Alger ou sur les plages de Malaga, le football, dont la popularité reste inégalée, soude les peuples de Méditerranée. Et s'il renvoie parfois l'image d'un monde de clivages, de violence, de racisme et de fanatisme, c'est parce que ce sport reflète nos sociétés dans ce qu'elles produisent de plus sombre, comme de plus lumineux. En laissant entrer un ballon rond dans son enceinte, le Mucem rend hommage aux peuples et aux civilisations du football ainsi qu'aux pratiques culturelles et sociales qui l'accompagnent, en Méditerranée comme à Marseille. »

Au programme du catalogue, on retrouve notamment des plumes comme l'uruguayen Eduardo Galeano sur le thème « Totalitarisme et résistance », Gabriel Garcia Márquez qui raconte « Le jour où [il est] devenu aficionado », le Sous-commandant Marcos écrivant à l'Inter de Milan et dissertant sur « Le football zapatiste », Vincent Duluc pour ses « Premières fois » - à lire en écoutant « Do You Remember The First Time » de Pulp -, François Thomazeau et ses deux pieds nickelés marseillais, Schram et Guigou, Jean-Claude Michéa regrettant que « Nous sommes tous mendiants du beau jeu » ou encore Ken Loach - et cette liste est loin d'être exhaustive. Pour finir, un manifeste en 16 points - il n'en manque qu'un pour reprendre les 17 lois du football à 11 - conçu comme un « inventaire à la Prévert (pré vert) pour changer le football » (p. 212) est proposé avec des propositions comme celle-ci : « dans l'enseignement secondaire général et plus spécifiquement dans les sections littéraires, obligation de disserter dans l'année sur un match ou une composition de jeu, ne serait-ce que le 4-4-2 » (« Manifeste », p. 212).

Après avoir rapidement évacué la question des anti-foot, l'exposition et le catalogue traitent de nombreux thèmes en relation avec le football : les supporters y compris le phénomène des ultras, le beau jeu vs. la culture du résultat, le football business vs. le football populaire, le football et la politique - le football nazi, le stade concentrationnaire dans le Chili de 1973 ou l'Argentine de 1978, l'équipe du FLN, … -, les importations et exportations de footballeurs, la corruption dans le football, les migrants et le football et encore de bien d'autres thèmes. Les différents textes, entretiens ou infographies dont certains déjà publiés par ailleurs sont très bien écrits, traitent du football dans son ensemble et apportent selon des émotions (de la joie, de la tristesse, de la colère), selon un bouillon de culture et même parfois les deux.

Agrémentés de nombreuses photos en noir et blanc ou en couleurs - Pasolini jouant au football, des stades dont le Vélodrome de Marseille, des matchs professionnels ou amateurs, des supporters et hooligans, … -, Nous sommes foot est un excellent voyage dans le football, certes « un voyage triste, du plaisir au devoir » (Eduardo Galeano, p. 145) car « à mesure que le sport s'est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. En ce monde de fin de siècle, le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n'est pas rentable » (Eduardo Galeano, p. 145).

À défaut d'aller voir l'exposition, d'aller voir un match de football au stade Vélodrome - de mes années lycée, je retiens également deux saisons à supporter l'OM au stade Vélodrome, une expérience intéressante au moins du point de vue sociologique - ou pendant la Coupe du Monde de football de 2018 en Russie, la lecture de Nous sommes foot est indispensable à qui veut mieux appréhender la beauté de ce jeu « indispensable à l'équilibre de la vie sociale », qui « […] dit notre monde » et parce que « jouer contre l'autre est une magnifique manière de vivre ensemble » (Vincent Duluc, « Mes premières fois », p. 32).
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