Comment grandit- on, dans un autre cadre ? Reste- t- on le même, parce que la nature humaine est immuable, et que notre caractère est inscrit en nous ?
Au fond, elle comme moi, on a la même conviction profondément ancrée dans le crâne : Les Aborigènes valent moins que les Blancs. C’est un truc de base, en Australie, que tout le monde apprend avant de savoir lire. Tu es blond et d’origine européenne, alors tu fais partie du clan des gentils. Si ta peau est foncée et que tes parents sont abos, tu n’as pas eu de chance au loto de la vie. Ton clan, c’est celui des faibles, des inférieurs, des minables.
L’adoption, au fond, ça change tout. Les gènes sont plus puissants que l’éducation, c’est ce que je me dis presque chaque jour. On aura beau faire tous les efforts qu’on veut, la nature reprendra le dessus.
J’ai eu honte de moi, de mes pensées secrètes.
Les hommes malheureux ne sont jamais pacifiques, on peut les comprendre.
Je ne suis pas sûr de pouvoir continuer à vivre comme avant. Il y a trop de portes ouvertes, de questions posées, d’images floues dans ma tête.
On ne construit pas sur le confus.
Je frémis en observant l’état de la banquette arrière. Le skaï est constellé de trous et de taches.
-La voiture t’appartient ? je demande à William, en essayant de ne pas montrer que je suis déçu et que j’appréhende de rouler dans ce tas de ferraille.
-Non, elle a été prêtée par un copain. Je lui ai promis d’y faire attention, alors vous ferez attention à ne pas la salir…
Je ne sais pas si c’est ça, grandir. Ce moment où tu t’aperçois que les adultes aussi se noient dans leurs contradictions.
En chemin, nous avalons deux litres d’eau, suivis par la même nuée de gamins que quand nous sommes arrivés, William les chasse comme des mouches. Ils sont sales, ils sont mal habillés mais leur sourire est beau.
A quatre ans, on fait ce qu’on nous dit, et on finit par aimer ceux qui nous protègent et nous manifestent de l’affection.
A la maison, rien ne semble avoir changé. Mon univers à moi est bouleversé, et pourtant les murs se trouvent aux mêmes endroits, les rues sont semblables à elles- mêmes, le soleil brille.