Anne Perry est un nom souvent cité chez les lecteurs de
Jane Austen. Prenant place dans l'Angleterre victorienne, les enquêtes et surtout les personnages de la saga Charlotte et Thomas Pitt semblent posséder un je-ne-sais-quoi d'austenien.
Inutile donc de vous dire que j'étais très curieuse de lire
L'Etrangleur de Cater Street, premier tome de la série offerte par
Anne Perry. C'est en compagnie d'Elodie que j'ai fait la connaissance de Cater Street et de sa population. Et j'ai apprécié. Beaucoup même ! Il ne m'a d'ailleurs pas manqué grand-chose pour que la lecture passe de très bonne à carrément excellente.
C'est dans l'Angleterre de la fin du XIXe siècle qu'
Anne Perry - prolifique auteure aujourd'hui âgée de 75 ans ! - décide de placer les bases de ce premier tome publié pour la première fois en 1979. Sous couvert d'une enquête policière, l'auteure s'attarde surtout sur le côté sociologique ; c'est ce qui m'a le plus plu et ce que je retiendrai de ma lecture. Il faut l'avouer, si l'enquête reste plaisante à suivre, ce n'est en effet pas le point fort de ce premier tome. On se doute assez vite, si ce n'est du nom exact du coupable, au moins de la « famille » incriminée et la révélation finale n'est donc pas très surprenante.
En revanche, la façon dont l'enquête est menée et surtout les réactions des différents protagonistes me semblent particulièrement intéressantes. Face à plusieurs meurtres survenant dans un quartier restreint de l'Angleterre de la fin du XIXe siècle, les personnages réagissent différemment de ce qu'on pourrait imaginer. Impossible pour eux d'envisager la possibilité d'un tueur en série qui opèrerait pour des raisons autres que purement matérielles (le vol par exemple) et encore plus inconcevable pour eux que le coupable soit l'un d'entre eux (de la « bonne société »), quelqu'un qu'ils côtoieraient tous les jours et qui pourrait ne pas être conscient de ses actes. Pour nous, lecteurs du XXIe siècle habitués aux oeuvres de fiction (et aux faits divers) mettant en scène des serial killers, les meurtres en série et les troubles psychologiques sont entrés dans notre conception de la société et ne nous paraissent malheureusement plus si extraordinaires… L'inspecteur Pitt se heurte à l'incrédulité des personnages et doit mener l'enquête tant bien que mal, prouvant constamment les théories « révolutionnaires » qu'il avance. Voilà un aspect du texte vraiment intéressant, à mon avis.
Et si l'on arrive si bien à percevoir les troubles des différents personnages, c'est que ceux-ci sont extrêmement bien croqués. Les portraits, nombreux, sont précis, détaillés et surtout, intelligemment mis en place. le lecteur se retrouve alors sans peine immergé dans la famille de Charlotte, héroïne en avance sur son temps que j'ai adoré suivre.
Deuxième d'une fratrie de trois soeurs, Charlotte fait fi des convenances. Elle ne veut pas être exclue de l'enquête et souhaite par-dessus tout se tenir au courant de son avancée, au grand dam de son père, conservateur qui exige que les femmes de sa maison restent à leur place, loin des journaux et des affaires sanglantes. Charlotte c'est un peu une Elizabeth Bennet un poil plus rebelle, vivant 80 années après l'héroïne austenienne : toujours la répartie qu'il faut, contre la place que la société victorienne voudrait lui imposer. J'ai beaucoup aimé sa rébellion « équilibrée », ni trop peu ni pas assez, juste ce qu'il faut pour la rendre vraisemblable. Et j'ai également beaucoup apprécié sa réaction face à l'inspecteur Pitt et l'évolution de leur relation, entre exaspération et gêne réciproque.
Un peu moins charismatique que la jeune femme (en tout cas pour le moment), Thomas Pitt n'en reste pas moins un héros que l'on a plaisir à rencontrer et qu'on espère retrouver le plus souvent possible au fil des pages.
Les autres personnages, formant essentiellement l'entourage de Charlotte, marquent par leur personnalité bien retranscrite. Exaspérants d'autorité patriarcale, ridicules dans leurs convictions complètement dépassées, touchants dans leurs attentes, tantôt amusants et aimables, parfois haïssables… la plupart ne laissent pas indifférents et apportent un éclairage intelligent sur les moeurs de la société victorienne anglaise.
Enfin, pour ceux qui pourraient redouter une intrigue se déroulant au XIXe siècle et donc un certain style littéraire qui en découlerait ; rassurez-vous, c'est plus qu'abordable pour les lecteurs du XIXe siècle que nous sommes ! On pourrait presque regretter une certaine distance entre le fond et la plume d'
Anne Perry qui me paraît finalement assez moderne. Je n'irais pas jusqu'à parler d'énorme décalage entre les deux mais il est évident que le style employé n'a pas grand-chose à voir avec ce qui s'écrivait à la fin du XIXe siècle.
Malgré tout, je ne boude pas mon plaisir et félicite plutôt l'auteure pour l'atmosphère qu'elle a su mettre en place et pour ses dialogues, rythmés et ne manquant pas de charme (notamment lorsque Charlotte et Thomas Pitt se donnent la réplique).
C'est donc avec une impression plus que positive que j'ai refermé ce premier tome et c'est avec beaucoup de curiosité (et d'impatience) que j'envisage de lire la « suite ». Rassurez-vous, chaque opus peut se lire indépendamment des autres et peut se suffire à lui-même (chacun présente une enquête différente) mais si l'évolution des personnages récurrents vous intéresse, il vaut mieux lire la série dans l'ordre, à mon avis !
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