Poésies d'Alvaro de Campos - Le Gardeur de troupeau, autres poèmes d'Alberto Caeiro

C'est comme si on lisait deux poètes. le premier, Alberto Caeiro, dit, à l'infini, que ce qui est ce qui est, qu'une fleur est une fleur, et que c'est tout, qu'il n'y a pas besoin de penser, qu'il faut juste voir les choses, sans y chercher un sens, un mystère, une symbolique, sans y ajouter ce qui n'y est pas à l'évidence. le deuxième, Alvaro de Campos, veut tout saisir, tout pénétrer, tout comprendre, et, malgré le tourbillon du vu et du vécu, tombe dans la désespérance de n'y rien comprendre, pas même lui-même, et ploie sous le vertige mystérieux d'être. Pourquoi suis-je moi? Inaccessible réponse. Deux attitudes possible. Je suis moi et je n'y pense pas; je suis moi et je cours après l'énigme que je résoudrai toujours après-demain, dans une procrastination constante du sens de la vie. Pessoa adopte les deux attitudes, comme nous tous, radeaux tanguant sans cesse entre le plaisir sans arrière-pensées, constatant joyeusement que le ruisseau est le ruisseau, et la question piège : l'eau du ruisseau qui coule est-elle réelle ou n'est-elle que mouvement, jamais identique à ce qu'elle était l'instant d'avant? La poésie est à la fois refus de la philosophie et appel d'un sens fuyant.

Trouvé chez un bouquiniste ce recueil d'un poète dont j'avais beaucoup entendu parler sans l'avoir jamais lu. Je n'y ai pas ressenti de musique particulière (mais c'est traduit) par contre j'ai été frappé par la réflexion philosophique qui émane de ces textes. Et quel homme aussi qui assumait parfaitement d'être multiple dans sa tête et dans son oeuvre.

Fernando Pessoa (1888-1935) est considéré comme l'un des plus grands poètes.
Que voilà quelques lignes qui le définissent très bien :
Ce que nous sommes
Ne peut passer ni dans un mot ni dans un livre.
Notre âme infiniment se trouve loin de nous. […]
Nous sommes nos rêves de nous, des lueurs d'âme,
Chacun est pour autrui rêves d'autrui rêvés.
Cela me parle et j'aime le lire. Comme tout livre de poésie il se savoure à petite vitesse, quelques pages de temps en temps, c'est ma façon de l'apprécier.

Finesse et brutalité se partagent ce recueil de poésie qui ne retrace que brièvement ce qu'à pu être Fernando Pessoa et ses multiples poètes. Deux personnalités, deux poètes, un même auteur. Et tous racontent une vision du monde, de la nature, de l'humain, différente et pourtant semblable. Cette première expérience a su m'intriguer, me parler et certainement, elle me guidera vers d'autres poèmes.