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Citations sur Ce qu'il faut de nuit (172)

Page 127 :
J'avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n'étaient qu'accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. "J'ai été là au bon moment", voilà ce que bien des gens comblés pourraient confesser.
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Ils étaient beaux mes deux fils, assis à cette table de camping, Fus déjà grand et sec, et Gillou encore rond, une bonne bouille qui prenait son temps pour grandir. Ils étaient assis dos à la Moselle, et j’avais sous les yeux la plus belle vue du monde.
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C'est mon dimanche matin. A sept heures, je me lève, je fais le café pour Fus, je l'appelle, il se réveille aussi sec sans jamais râler, même quand il s'est couché tard la veille. Je n'aimerais pas devoir insister, devoir le secouer, mais cela n'est jamais arrivé. Je dis à travers la porte : "Fus, lève-toi, c'est l'heure", et il est dans la cuisine quelques minutes après. On ne parle pas. Si on parle, c'est du match de Metz la veille. On habite le 54, mais on soutient Metz dans la région, pas Nancy. C'est comme ça.
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Je me levais très tôt. Et à chaque fois c’était la même chose : j’avais une minute de sursis, une seule, le temps d’émerger de mes rêves et de mes cauchemars et de refaire ma nuit.
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On restait d'accord sur plein de choses. A se demander comment c'était possible. Comment en trainant avec des fachos, pouvait- on aimer ce que nous avons toujours aimé? Il continuait à passer les Jean Ferrat de la maman( il le faisait depuis qu'elle était morte. Bordel, il comprenait les paroles " Desnos, qui partit de Compiègne accomplir sa propre propéthie". Comment pouvait il encore fredonner cette chanson?
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J'avais regardé Fus et j'avais dû sortir de la pièce, vite, car la chiale m'était montée aux yeux. Une marée qui m'avait pris tout le haut de la tête, les tympans ratatinés de douleur et des larmes grosses comme des globes.
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J’avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards.
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Le procès faisait grand bruit, mais ça ne restait pour les gens qu’un fait divers. Qu’ils oublieraient d’ici quelques jours, s’ils ne l’avaient déjà fait. On n’était que quelques uns à en être frappés jusqu’à la mort.
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J'aurais dû lui rentrer dedans, je m'en étais tenu à une discussion, pas même une engueulade : «Comment as-tu pu faire ça ?», je lui avais demandé. Il s'était contenté de me dire : «C'est pas ce que tu crois.» Qu'est-ce que je pouvais bien croire ? Puis il avait enchaîné : «Ça fait combien de temps que tu ne colles plus ? Que tu fais juste des petits goûters de section ? » Je lui avais demandé si ça ne le gênait pas de traîner avec des racistes. «Ils ne sont pas racistes, c'était avant, ça. En tout cas, mes potes ne sont pas racistes, pas plus que toi et moi. - Non, pas racistes, juste contre les immigrés, j'avais rajouté. - Contre l'immigration, Pa, pas contre les immigrés. Ceux qui sont là ne les dérangent pas tant qu'ils ne font pas le caillon.» Des gens normaux en définitive. Et puis comme s'il voulait achever de me convaincre, il avait dit de nouveau : «C'est des bons gars. Pas comme tu crois.» Il s'était assis en bout de table. Il attendait peut-être que je le rejoigne, que j'aille d'abord nous prendre deux canettes, qu'on se les descende à la coule ? J'étais resté dans le coin, près de la fenêtre, dans son dos. Surveiller si Gillou ne rentrait pas. Peur qu'il nous trouve comme ça. Fus avait continué à parler doucement : «Crois-moi, les mecs sont aux côtés des ouvriers, il y a vingt ans, vous auriez été ensemble. Ils s'en fichent pas mal de ce qui se dit à Paris, eux. C'est notre coin qui les intéresse, ils n'ont pas envie de le laisser crever. Ils se bougent. Ils en ont marre des conneries de l'Europe. Ils reçoivent de la tune de Paris qu'ils redistribuent dans le coin. Tiens, samedi dernier, ils ont rééquipé de fond en comble la maison d'un petit vieux qui venait de se faire cambrioler. Que cela te plaise ou pas, les gens ne crachent pas dessus.» Voilà comment on justifiait en moins de dix minutes de traîner avec l'extrême-droite. Comment on se résignait à ce que son fils soit de l'autre côté. Pas chez Macron mais chez les pires salauds. Les potes des négationnistes, des ordures. Fus était calme, presque content que cette explication arrive. Il assumait. Un vrai témoin de Jéhovah, perfusé de conneries, avec de nouvelles certitudes, qui restait aimable. J'avais honte. Désormais, on allait devoir vivre avec ça, c'était ce qui me gênait le plus. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on veuille, c'était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos. Et d'après ce que j'avais compris, il y prenait plaisir. On était dans un sacré chantier. La moman pouvait être fière de moi. Fus avait fini par se lever et dire : «Cela ne change rien.»
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Il me parlait de ce qu’avaient fait ses codétenus, sans effroi, cliniquement. Comme si c’était un simple jeu de gains et de débours. Comme si les peines qu’ils purgeaient suffisaient amplement à rembourser leurs dettes.
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