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EAN : 9782358876797
198 pages
La manufacture de livres (20/08/2020)
4.16/5   2035 notes
Résumé :
C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent, et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.

Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulguran... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (483) Voir plus Ajouter une critique
4,16

sur 2035 notes
Ce premier roman a la limpidité magnifique que peut conférer un dispositif romanesque placé sous le signe d'une histoire d'amour entre un père et ses fils qu'il élève seul depuis le décès de la mère, raconté par le père placé en narrateur avec comme enjeux quasi bibliques le bien et le mal, la transmission et le pardon.

Le récit s'installe progressivement, en toute fluidité, creusant un sillon sensible, fait de petits riens, pour raconter dix ans de plusieurs vies d'une même famille. le père est technicien à la SNCF, encartée à gauche. le fils aîné s'engage sous une autre bannière et se rapproche des milieux de l'ultra-droite fascisante. le père et le fils ne se comprennent plus mais continuent de s'aimer, jusqu'au crash qu'on sent arriver, de façon inéluctable.

Une des grandes force du roman est de ne jamais donner de leçon, de ne jamais montrer du doigt, juste en présentant cette déshérence politique qui fait glisser de la gauche vers l'extrême-droite. Ce sujet très délicat requérait une délicatesse folle. Laurent Petitmangin l'a et la qualité de son écriture, sobre et nette, maintient cet équilibre.

Peut-on pardonner à son enfant lorsqu'il s'éloigne des valeurs qu'on lui a transmises, lorsqu'il commet un acte terrible ? L'auteur n'apporte pas des réponses toutes faites, il ne surexplique pas pour mieux nous plonger dans la tête de ce père plein d'amour et de honte. On peut perdre le contrôle de sa vie en croyant jusqu'à présent s'être efforcé d'avoir tout fait au mieux. On peut tout perdre aussi lorsqu'on ne parvient pas à pardonner et que cette impossibilité se transforme en écharde dans votre vie. Tout est juste dans Ce qu'il faut de nuit, tout est nuancé et humblement dit.

Durant tout le roman, le lecteur est sur une crête, prêt à chavirer avec les personnages, plein d'espoir aussi, malgré tout. Les dernières pages sont bouleversantes. La lettre du fils aîné à son père vous remue les tripes au plus profond. Les émotions explosent sans pathos. le fils aîné est un des ses personnages riches et emplis de contradictions que je n'oublierai pas.

Une entrée en littérature remarquable avec ce roman ultra sensible et pur aux accents sociaux qui résonnent avec notre époque.
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Laurent Petitmangin, pour son premier roman, m'a fait partager la vie d'une famille modeste, en Lorraine. Avec Ce qu'il faut de nuit, pas de grandes envolées, pas de luxe ostentatoire ni d'esbroufe. C'est le quotidien de beaucoup de gens, ceux dont on ne parle jamais.
Le père travaille à la SNCF, sur les caténaires, travail difficile et dangereux en haut des pylônes supportant les câbles électriques. Avec Fus, son fils aîné, surnommé ainsi pour sa passion du football, Fußbal en allemand, ils partagent une même passion. D'ailleurs, le narrateur ne manque jamais un match de son fils aîné ainsi que ceux du FC Metz, leur club favori.
Avec la moman, ils ont un autre garçon, Gillou, un an de moins que Fus dont le vrai prénom est Frédéric, on l'apprendra plus tard. Hélas, dans cette famille unie qui milite à la section locale du Parti socialiste, la maladie, le cancer, frappe la moman, emportée à quarante-quatre ans.
Fus grandit et se met à fréquenter une bande qui semble l'influencer négativement, l'entraînant sur les plates-bandes de l'extrême-droite. Pourtant, à la maison, Fus reste un fils parfait, s'entendant bien avec Gillou qui réussit dans ses études.
Dans ce roman qui distille quelques mots ou expressions du terroir comme « nous fermer la schness », la vie suit son cours mais les événements se précipitent et basculent dans le drame. Règlements de compte entre militants du FN et antifas, procès, prison, rien n'est épargné à ce père vite dépassé par les événements.
Je n'en dis pas plus pour ne rien divulgâcher mais Laurent Petitmangin n'est pas dans le polar, plutôt dans le registre intimiste des sentiments, des émotions et des choix de vie.
Ce court roman est une très émouvante tranche de vie écrite simplement mais de façon percutante. L'auteur fait bien prendre conscience des dangers, des fractures qui peuvent traverser une famille unie. D'ailleurs, la lettre finale est d'une force incroyable, un moment impressionnant de lucidité et d'amour.
Ce qu'il faut de nuit est en lice pour le Prix des Lecteurs des 2 Rives 2021.

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Dans son premier roman Ce qu'il faut de nuit, Laurent Petitmangin, dans un style simple mais percutant, montre comment un jeune, dont le destin semblait tracé peut dévier de sa trajectoire et sa vie basculer sans que rien ne le laisse prévoir.
En Lorraine, un père élève seul ses deux garçons, la « moman » est morte après trois ans de maladie, de chimio et d'hospitalisation, à l'âge de 44 ans. Fus, appelé ainsi depuis ses trois ans, car passionné de fuβball est l'aîné, Gillou, lui n'a que dix ans. Quant au père, il travaille à la SNCF et se rend toujours à la section où il constate tout de même qu'il vient de moins en moins de monde.
Difficile d'élever seul ses deux enfants, mais il reste optimiste : « La vie ne m'avait pas fait trop de cadeaux, mais j'avais deux gaillards qui s'aimaient bien. Quoi qu'il arrive, l'un serait toujours là pour l'autre. »
Mais voilà que Fus en grandissant va se retrouver à soutenir des idées que son père ne peut admettre et la relation entre les trois hommes va s'en retrouver totalement modifiée.
Avec une très grande sensibilité beaucoup de finesse et de talent, Laurent Petitmangin décrit à merveille comment des destinées d'hommes se construisent et comment des accidents de la vie, des croisements, des rendez-vous manqués, des incompréhensions, des silences, des non-dits, le hasard aussi, souvent, façonnent les individus et les embarquent sur des chemins sur lesquels ils n'auraient jamais dû se retrouver.
Il brosse des portraits justes et émouvants, parfois durs, des trois protagonistes sans oublier de décrire le cadre qui les entoure et de fait, en partie responsable de leurs engagements. La relation entre ce père et ses deux fils et celle entre les deux frères relèvent d'une très grande psychologie.
J'ai beaucoup apprécié cette écriture simple, très juste et par là même très convaincante.
L'auteur aurait pu facilement être très caricatural. Au contraire, il nous appelle à plus d'écoute, plus de tolérance, sachant que nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade peuvent rapidement bifurquer.
Quant à la chute, même si elle pouvait s'avérer prévisible, elle m'a beaucoup touchée et émue aux larmes par sa forme.

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Sur le ton de la confidence, comme on s'épancherait sur l'épaule d'un vieil ami, devant un verre ou à la lueur d'un feu de cheminée, le narrateur nous conte son histoire, qui commence par le drame vécu après des mois d'allers et retours à l'hôpital, lorsque la maman s'en est allée. le laissant seul avec deux bons petits gamins, Fus, le champion de foot et son petit frère. Il a fait ce qu'il a pu, organisant ses journées entre le boulot, l'école, la maison et le foot. Et pourtant il n'a rien vu venir, avant que Fus n'arbore à son cou un bandana orné d'un symbole funeste, un symbole inacceptable pour ce père qui croit de moins en moins mais encore quand même sur le fond, aux valeurs de la gauche. le fossé se creuse entre lui et le fils passé à l'ennemi, jusqu'au drame.



C'est un récit bouleversant. La détresse de ce père qui assiste peu à peu à ce qu'il n'imaginait même pas un instant pour son gamin. La drogue, l'alcool, pourquoi pas, mais ça, c'est ce qui pouvait arriver de plus abominable. Et pourtant, l'amour qu'il éprouve pour lui est au-delà de cet affront. Prêt à le soutenir jusqu'au bout.
L'écriture rend parfaitement le ressenti de ce père brisé, bafoué dans ses valeurs, écartelé entre son amour et ses convictions et malgré tout aimant.

Lu en quelques heures sans pause, ni répit. Coup de coeur de cette rentrée.

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Ils ne sont plus que trois désormais à affronter un quotidien pas toujours rose dans ce village de Lorraine un peu paumé. le papa a supporté et aidé, autant que faire se peut, la maladie de la moman, Fus, en aîné, toujours à ses côtés. Mais aujourd'hui, elle n'est plus là. Il doit seul assumer la maison, l'éducation, les loisirs, en plus de son travail à la SNCF qui l'épuise et, de loin en loin, sa présence à la session et les tracts qu'il dépose. Il a fait comme il a pu, avec ses moyens mais surtout avec tout l'amour qu'il porte à ses deux garçons, Fus et Gillou. Avec l'âge, l'aîné a changé, devient plus taciturne, s'éloigne de son frère et se fait de nouveaux amis dont la tête ne revient pas trop au papa. Ce dernier, d'ailleurs, commence à s'inquiéter lorsque ce soir-là, Fus porte un bandana et une croix celtique...

Que de sensibilité et que d'amour dans ce court (et premier !) roman de Laurent Petitmangin. Il décrit, tout en pudeur, la relation d'un père et de ses deux fils qu'il a élevés longtemps seul. Mais malgré toutes les attentions, les lits bordés, les bobos soignés, les matchs de foot, les valeurs d'égalité transmises, l'on ne peut pas empêcher un écart. Comment ne pas se sentir alors responsable, voire coupable ? Où a-t-il failli ce bon père pour que son aîné prenne un chemin de traverse ? L'auteur interroge non seulement sur la responsabilité des parents, sur la transmission des valeurs mais il dépeint, également, avec une finesse et une délicatesse incommensurables, la relation qui unit ce père ébranlé et ses deux fils.
Un roman bouleversant, délicat et cruellement beau...
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critiques presse (2)
Actualitte
26 avril 2021
C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Actualitte
01 février 2021
Ce qu'il faut de nuit de Laurent Petit Mangin fait partie des 36 titres de la dernière rentrée littéraire sélectionnés par les libraires pour le Prix Libraires en Seine 2021. Multi-récompensé, ce premier roman trouve auprès des libraires un écho très particulier.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (171) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Fus s’arrache sur le terrain. Il tacle. Il aime tacler. Il le fait bien, sans trop démonter l’adversaire. Suffisamment vicieux quand même pour lui mettre un petit coup. Parfois le gars se rebiffe, mais Fus est grand, et quand il joue il a un air mauvais. Il s’appelle Fus depuis ses trois ans. Fus pour Fußball. À la luxo. Personne ne l’appelle plus autrement. C’est Fus pour ses maîtres, ses copains, pour moi son père. Je le regarde jouer tous les dimanches. Qu’il pleuve, qu’il gèle. Penché sur la main courante, à l’écart des autres. Le terrain est bien éloigné de tout, cadré de peupliers, le parking en contrebas. La petite cahute qui sert aux apéros et à la remise du matériel a été repeinte l’année dernière. La pelouse est belle depuis plusieurs saisons sans qu’on sache pourquoi. Et l’air toujours frais, même en plein été. Pas de bruit, juste l’autoroute au loin, un fin ruissèlement qui nous tient au monde. Un bel endroit. Presque un terrain de riches. Il faut monter quinze kilomètres plus haut, au Luxembourg, pour trouver un terrain encore mieux entretenu. J’ai ma place. Loin des bancs, loin du petit groupe des fidèles. Loin aussi des supporters de l’équipe visiteuse. Vue directe sur la seule publicité du terrain, le kebab qui fait tout, pizza, tacos, l’américain, steak-frites dans une demi-baguette, ou le Stein, saucisse blanche-frites, toujours dans une demi-baguette. Certains, comme le Mohammed, viennent me serrer la main, « inch’Allah on leur met la misère, il est en forme le Fus aujourd’hui ? » et puis repartent. Je ne m’énerve jamais, je ne gueule jamais comme les autres, j’attends juste que le match se termine.

C’est mon dimanche matin. À sept heures, je me lève, je fais le café pour Fus, je l’appelle, il se réveille aussi sec sans jamais râler, même quand il s’est couché tard la veille. Je n’aimerais pas devoir insister, devoir le secouer, mais cela n’est jamais arrivé. Je dis à travers la porte : « Fus, lève-toi, c’est l’heure », et il est dans la cuisine quelques minutes après. On ne parle pas. Si on parle, c’est du match de Metz la veille. On habite le 54, mais on soutient Metz dans la région, pas Nancy. C’est comme ça. On fait attention à notre voiture quand on la gare près du stade. Il y a des cons partout, des abrutis qui s’excitent dès qu’ils voient un « 54 » et qui sont capables de te labourer la voiture. Quand il y a eu match la veille, je lui lis les notes du journaliste. On a nos joueurs préférés, ceux qu’il ne faut pas toucher. Qui finiront par partir. Le club ne sait pas les retenir. On se les fait sucer dès qu’ils brillent un peu. Il nous reste les autres, les besogneux, ceux dont on se dit vingt fois par match, vivement qu’ils dégagent, j’en peux plus de leurs conneries. À tout compter, tant qu’ils mouillent le maillot, même avec des pieds carrés, ils peuvent bien rester. On sait ce qu’on vaut et on sait s’en contenter. Quand je regarde Fus jouer, je me dis qu’il n’y a pas d’autre vie, pas de vie sur cette vie. Il y a ce moment avec les cris des gens, le bruit des crampons qui se collent et se décollent de l’herbe, le coéquipier qui râle, qu’on ne trouve pas assez tôt, pas assez en profondeur, cette rage gueulée à fond de gorge quand ils marquent ou prennent le premier but. Un moment où il n’y a rien à faire pour moi, un des seuls instants qui me restent avec Fus. Un moment que je ne céderais pour rien au monde, que j’attends au loin dans la semaine. Un moment qui ne m’apporte rien d’autre que d’être là, qui ne résout rien, rien du tout. Le match terminé, Fus ne rentre pas tout de suite. Je ne l’attends pas, il arrive qu’on a déjà presque fini de dîner avec son frère. « Gros,
tu me laveras les maillots ?
– Vas-y, et pourquoi je le ferais ?
– T’es mon petit frère, t’inquiète, je te revaudrai ça. »
Il prend son assiette, se sert et va s’installer devant les programmes de l’après-midi. À cinq heures, quand j’ai le courage, je vais à la section. Il y a de moins en moins de monde depuis qu’on n’y sert plus l’apéro. Ça devenait n’importe quoi, les gars ne travaillaient plus et attendaient juste qu’on sorte les bouteilles. On est quatre, cinq, rarement plus. Pas toujours les mêmes. Plus besoin de déplier les tables comme on le faisait vingt ans avant. La plupart ne travaillent pas le lundi. Des retraités, la Lucienne qui vient comme elle venait du temps de son mari, avec un gâteau qu’elle découpe gentiment. Personne ne parle, tant qu’elle n’a pas coupé huit belles parts, bien égales. Un ou deux gars au chômage depuis l’Antiquité. Les sujets sont toujours les mêmes, l’école du village qui ne va pas durer en perdant une classe tous les trois ans, les commerces qui se barrent les uns après les autres, les élections. Ça fait des années qu’on n’en a pas gagné une. Aucun de chez nous n’a voté Macron. Pas plus pour l’autre. Ce dimanche-là, on est tous restés chez nous. Un peu soulagés quand même qu’elle ne soit pas passée. Et encore, je me demande si certains, au fond d’eux-mêmes, n’auraient pas préféré que ça pète un bon coup. On tracte ce qu’il faut. Je ne crois pas que cela serve à grand-chose, mais il y a un jeune qui a le sens de la formule. Qui sait dire en une page la merde qui noie nos mines et nos vies. Jérémy. Pas le Jérémy. Jérémy tout court, car il n’est pas du coin et nous reprend à chaque fois avec notre manie de mettre des « le » ou des « la » partout. Ses parents sont arrivés il y a quinze ans, quand l’usine de carters a monté sa nouvelle ligne de production. Quarante embauches d’un coup. Inespéré. Si on l’a pas inaugurée vingt fois cette ligne, on l’a pas inaugurée. Toute la région, le préfet, le député, toutes les classes d’école sont venus lui faire des zigouigouis. Jusqu’au curé qui est passé plusieurs fois la bénir en douce. La journaliste du Répu n’en finissait pas de faire la route pour les raconter tous devant cette chaîne, symbole qu’on pouvait y croire. « La Lorraine est industrielle et elle le restera. » Une belle blonde qui faisait son métier proprement avec les mots d’espoir qui vont bien. C’est elle qui prenait aussi les photos, alors elle variait les poses, histoire que la page Villerupt – Audun-le-Tiche n’ait pas chaque jour la même gueule. Elle a mis du temps cette chaîne à se lancer, peut-être trop de temps. Le jour où on avait enfin formé les contremaîtres et les opérateurs, le jour où on avait enfin trouvé le moyen de traiter à peu près correctement le foutu solvant, rien du tout, quelques centilitres par jour qui s’échappaient et qui bloquaient l’accréditation, on était à nouveau en pleine crise, celle des banques, celle qui allait achever la ligne et ses résidus en deux coups les gros. L’usine aurait pu cracher des matières radioactives, je ne pense pas mentir en disant que le village n’en avait rien à faire, qu’on aurait préféré boire une eau de chiottes plutôt que de retarder encore le lancement de cette ligne. Il n’y avait pas eu de débat à la section, on n’était pas encore très écolos à l’époque. On ne l’est toujours pas d’ailleurs. Jérémy faisait partie de la classe printemps, comme on l’avait appelée alors. Une vingtaine de gamins qui étaient arrivés en mars-avril avec les parents tout juste embauchés et qui avaient réamorcé une classe supplémentaire de cours élémentaire et une de cours moyen dès la rentrée suivante. Il a vingt-trois ans, Jérémy, un an de moins que Fus. Au début, les deux-là ont été potes. Fus l’aimait bien. Il nous l’a ramené à la maison plusieurs fois. Et pourtant il ne ramenait pas beaucoup de monde chez nous. Je pense qu’il avait un peu honte. De sa mère qui pouvait à peine quitter le lit. De moi peut-être. Quand Jérémy venait, c’était une belle journée pour ma femme. Si elle en avait la force, elle se levait et leur faisait des gaufres ou des beignets. Elle râlait un peu auprès de Fus en disant qu’il aurait dû prévenir, qu’elle aurait fait la pâte plus tôt, la veille, que ç’aurait été bien meilleur, mais elle finissait par les faire ses beignets, croustillants, glacés de sucre. Il y en avait le soir pour le souper et encore un saladier plein pour le lendemain. Jérémy et Fus se sont vus jusqu’au collège. Et puis Fus a commencé à moins bien travailler. À piocher. À ne pas aller en cours. Il avait des excuses toutes trouvées. L’hôpital. Sa mère. La maladie de sa mère. Les rares embellies dont il fallait profiter. Les derniers jours de sa mère. Le deuil de sa mère. Trois ans de merde, sixième-cinquième-quatrième, où il m’a vu totalement impuissant. N’arrivant plus à y croire. Ayant perdu toute foi dans une rémission qui ne viendrait plus. Même pas capable d’arrêter de fumer. Plus capable de m’asseoir à côté de lui, quand il était en larmes sur son lit, plus capable de lui mentir, de lui dire que cela allait bien se passer pour la moman, qu’elle allait revenir. Juste capable de leur faire à manger, à lui et à son frère. Juste capable de me reprocher d’avoir eu ces enfants bien trop tard. On avait déjà trente-quatre ans tous les deux quand notre Gillou est né. En troisième, Fus n’y arrivait plus. Il a largué les derniers copains du bon temps. Le temps où les maîtres des petites classes l’aimaient bien. Ceux au collège ont eu beaucoup moins de patience. Ils ont fait comme si de rien n’était. Comme si le gamin ne passait pas ses dimanches à Bon-Secours. Au début, il prenait ses devoirs à l’hôpital, puis il a fait comme moi, il s’est juste assis près du lit, il a regardé le lit, sa mère dans le lit, mais surtout le lit, les draps, comment ils étaient agencés. Les petits défauts dans la trame à force de les faire bouillir et de les passer à la Javel. Pendant des heures. C’était dur de regarder la moman, elle était devenue laide. Quarante-quatre ans. On lui en aurait donné vingt, trente de plus. Parfois les infirmières la maquillaient un peu, mais elles ne pouvaient pas cacher le jaune ocre qui prenait semaine après semaine son visage mal endormi, et surtout ses bras qui sortaient du drap, déjà en fin de vie. Comme moi, il a d
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J'aurais dû lui rentrer dedans, je m'en étais tenu à une discussion, pas même une engueulade : «Comment as-tu pu faire ça ?», je lui avais demandé. Il s'était contenté de me dire : «C'est pas ce que tu crois.» Qu'est-ce que je pouvais bien croire ? Puis il avait enchaîné : «Ça fait combien de temps que tu ne colles plus ? Que tu fais juste des petits goûters de section ? » Je lui avais demandé si ça ne le gênait pas de traîner avec des racistes. «Ils ne sont pas racistes, c'était avant, ça. En tout cas, mes potes ne sont pas racistes, pas plus que toi et moi. - Non, pas racistes, juste contre les immigrés, j'avais rajouté. - Contre l'immigration, Pa, pas contre les immigrés. Ceux qui sont là ne les dérangent pas tant qu'ils ne font pas le caillon.» Des gens normaux en définitive. Et puis comme s'il voulait achever de me convaincre, il avait dit de nouveau : «C'est des bons gars. Pas comme tu crois.» Il s'était assis en bout de table. Il attendait peut-être que je le rejoigne, que j'aille d'abord nous prendre deux canettes, qu'on se les descende à la coule ? J'étais resté dans le coin, près de la fenêtre, dans son dos. Surveiller si Gillou ne rentrait pas. Peur qu'il nous trouve comme ça. Fus avait continué à parler doucement : «Crois-moi, les mecs sont aux côtés des ouvriers, il y a vingt ans, vous auriez été ensemble. Ils s'en fichent pas mal de ce qui se dit à Paris, eux. C'est notre coin qui les intéresse, ils n'ont pas envie de le laisser crever. Ils se bougent. Ils en ont marre des conneries de l'Europe. Ils reçoivent de la tune de Paris qu'ils redistribuent dans le coin. Tiens, samedi dernier, ils ont rééquipé de fond en comble la maison d'un petit vieux qui venait de se faire cambrioler. Que cela te plaise ou pas, les gens ne crachent pas dessus.» Voilà comment on justifiait en moins de dix minutes de traîner avec l'extrême-droite. Comment on se résignait à ce que son fils soit de l'autre côté. Pas chez Macron mais chez les pires salauds. Les potes des négationnistes, des ordures. Fus était calme, presque content que cette explication arrive. Il assumait. Un vrai témoin de Jéhovah, perfusé de conneries, avec de nouvelles certitudes, qui restait aimable. J'avais honte. Désormais, on allait devoir vivre avec ça, c'était ce qui me gênait le plus. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on veuille, c'était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos. Et d'après ce que j'avais compris, il y prenait plaisir. On était dans un sacré chantier. La moman pouvait être fière de moi. Fus avait fini par se lever et dire : «Cela ne change rien.»
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Août, c’est le meilleur mois de notre coin. La saison des mirabelles. La lumière vers les cinq heures de l’après-midi est la plus belle qu’on peut voir de toute l’année. Dorée, puissante, sucrée et pourtant pleine de fraîcheur. Déjà pénétrée de l’automne, traversée de zestes de vert et de bleu. Cette lumière, c’est nous. Elle est belle, mais elle ne s’attarde pas, elle annonce déjà la suite. Elle contient en elle le moins bien, les jours qui vont rapidement se refroidir. Il y rarement des étés indiens en Lorraine.
(page 81)
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J’avais ressenti le besoin de retourner à la section comme d’autres celui de retrouver l’église. Même s’il ne s’y passait plus grand-chose, je me disais que je ferais partie des derniers. Ce qui me désolait, c’est que nous nous isolions de plus en plus. Elle était loin l’union de la gauche. Parfois j’avais l’impression que certains d’entre nous se dépensaient plus à casser les cocos qu’à taper sur les nantis. Où étaient nos combats ?
(page 41)
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Elle était issue d’une famille de polaques qui s’était installée en Moselle entre les deux guerres. Elle militait au FN depuis ses quatorze ans, « comme papa ». C’était toujours fascinant de voir comment des gens pouvaient se sentir aussi vite partie prenante d’une histoire, plus français que les Français, encore gorgés de bondieuseries et de traditions de leur coin d’origine, et, avec la même ardeur et la même obstination, comment ils refusaient un pareil droit à tous ceux qui arrivaient après eux.
(pages 143-144)
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Vidéo de Laurent Petitmangin
À l'occasion de la 45ème édition du festival "Le livre sur la place" à Nancy, Laurent Petitmangin vous présente son ouvrage "Les terres animales" aux éditions la Manufacture de livres. Rentrée littéraire automne 2023.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2886497/laurent-petitmangin-les-terres-animales
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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