Citations sur Les lames du Cardinal, tome 2 : L'alchimiste des Ombres (29)
Après l’intelligence et la beauté, ce qui la qualifiait le mieux était son absence de scrupules. Elle était vénale et ses services, excellents, se payaient fort chers.
C'était bien le petit dragonnet qui approchait à grands et vaillants mais maladroits coups d'ailes, trop fatigué sans doute pour maintenir l'enchantement permettant à son corps de devenir translucide. Alessandra n'en avait cure, cependant. A cet instant, il lui importait seulement que Charybde soit en vie et, oubliant toute prudence, elle ouvrit la fenêtre pour recevoir le dragonnet dans ses bras.
- Je trouve cette Italienne bien capricieuse. Et je dis qu'il suffirait sans doute d'une bonne fessée pour la ramener à la raison. Le Cardinal ne la ménage que trop, si vous voulez mon avis.
Les autres s'entre-regardèrent en trouvant un certain bon sens aux paroles du vieux soldat. Marciac, cependant, fut le seul à réellement imaginer la fessée.
Comme hypnotisé, le jeune drac ne pouvait plus quitter Saint-Lucq des yeux. Tout bouillonnait en lui. Ses deux congénères qui l'encadraient perçurent son trouble. Ils n'en comprirent pas la cause mais commencèrent à s'agiter.
Alors le sang-mêlé porta le coup de grâce: un discret clin d'oeil et un baiser esquissé.
Le jeune drac poussa un cri de rage et se rue soudain à l'assaut.
- Les intrigues. Les cavalcades. Et même les coups d'épée... Tu as toujours aimé cela, Marie-Agnès...
- Et les garçons. Vous oubliez les garçons, ma mère.
La mère supérieure gloussa.
_ Oui. les garçons... Sais-tu que le lierre du mur nord est encore appelé le "lierre d'Agnès", par certaines anciennes ?
- Je ne l'ai pas pourtant pas grimpé si souvent...
- Disons plutôt que tu n'as pas été attrapée chaque fois...
Les bons artisans savent à quelle allure il convient de faire les choses si l'on veut les bien faire. Cela force la patience et l'humilité. Cela apprend le temps...
Il roule sur le flanc et, appuyé sur un coude, tend la main vers un coffret dissimulé, près de ses bottes, sous un vieux linge. Il ouvre le coffret, dans lequel se trouvent quatre grosses flasques en verre et métal tenues par des lanières de cuir. La première est vide. Les trois autres – dont l’une est à peine entamée – contiennent la précieuse liqueur de jusquiame, un liquide épais ressemblant à de l’or liquide.
Comme toujours, la première gorgée est un délice.
L’Alchimiste se laisse retomber sur le dos, un petit sourire aux lèvres. Les yeux clos, il apprécie ce moment autant que possible. Un bien-être doux et tiède l’envahit, apaise ses douleurs, berce son âme…
Mais des cris viennent rompre l’enchantement. Des sentinelles donnent l’alerte et c’est aussitôt le branle-bas. L’Alchimiste se lève et va voir à sa fenêtre, qui n’est qu’une ouverture béante d’où l’on domine la cour du manoir et la campagne environnante.
Des cavaliers arrivent au galop par la route.
Des cavaliers en armes, et menés par une silhouette blanche.
L’Alchimiste comprend aussitôt à qui il a affaire. Il comprend également qu’il est pris au piège dans ce manoir qui ne résistera pas longtemps à un assaut.
Il tourne subitement la tête vers le coffret resté près de la paillasse.
Trois flasques de jusquiame dorée.
De quoi tuer un homme.
Et réveiller un dragon