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Critique de Alzie


Alzie
18 décembre 2017
Aux marges de la production actuelle une jolie surprise : G. Picard aux éditions Corti. Un essai et un auteur atypique (un temps ouvrier, puis journaliste, il se consacre maintenant à l'écriture) dont on découvre la démarche littéraire et le tempérament dans ce texte. L'entrée en matière de « Cher lecteur » fai son petit effet :

« Je ne suis pas un écrivain médiatique. J'estime que la rencontre d'un auteur et de ses lecteurs doit se faire par la lecture et non par le biais des médias. La voix intérieure de l'écrivain, sa chaleur et sa couleur particulière, son style, son rythme mental, seul le texte les transmet. » Et je ressortais d'une librairie avec un nouveau livre sous le bras.

L'apostrophe semble désuète aujourd'hui ? Lisez plutôt ce livre. Cette réflexion où l'on entre à petits pas j'aime espérer que de nombreux lecteurs s'y dirigeront et s'y plairont. Telle une lettre, plutôt une conversation, au ton confidentiel et amical où l'auteur s'adresse aux amoureux de la lecture, familiers des « sauts et gambades » de l'esprit chers à Montaigne avec qui il semble complice ; on peut parler ici d'une connivence entre l'écrivain et le lecteur, elle s'établit très vite et s'approfondit au fil de la lecture car, en plus de l'attention qu'il lui accorde Picard implique particulièrement son lecteur dans cette suite fertile de propos personnels libres et très pénétrants, sur la lecture et l'écriture. À mille lieues de toute espèce de complaisance. En ces temps de « décervelage collectif » où la marginalisation de la « culture dense et de la réflexion posée » font défaut, l'auteur est cependant loin de la déprime.

Certes l'exercice est prisé et nombreux sont les écrivains qui y excellèrent (G. Picard rend d'ailleurs un hommage appuyé à Bonnet, Manguel, Eco ou Gracq (« En Lisant en écrivant »). le danger serait de donner à la fin l'impression de s'auto célébrer d'avoir tant lu. Pas de ce narcissisme chez Picard. Quelque chose d'un échange assez généreux se dégage du fond de cette « divagation » douce, pleinement assumée, plutôt pertinente. La pensée est argumentée, diversifiée, mais peut aussi se laisser aller :

« Ecrire sur l'écriture ou la lecture en laissant les idées jaillir sans ordre précis, simplement pour le plaisir de les énoncer », en s'accordant « une liberté qui ne peut plaire qu'à un certain type d'esprit dilettantes » (p. 37). Les esprits en question se reconnaîtront d'eux-mêmes.

Des souvenirs de ses lectures « naïves » d'enfance, instants miraculeusement protégés que nous avons peut-être aussi en mémoire, G. Picard passe à celles de l'âge adulte, nombreuses, riches et variées, et offre de vrais moments d'intensité (avec Léautaud et Rousseau), instants d'apprentissage à la littérature au milieu de livres et d'auteurs connus ou oubliés (heureuse d'entendre parler de Benjamin Fondane tout comme des romans de Charles Morgan).

Habitudes, battements de coeur, affolements et autres jubilations ponctuent de courts chapitres, mais aussi délaissements, résistances, retrouvailles ou déceptions, autant d'émotions que chaque lecteur reconnaît à chaque pages, identifie comme siennes et partage avec lui. Ailleurs, il évoque le style : « le style, qui est tout sauf une parure (et sans doute le véritable sens de l'oeuvre) ouvre lui aussi un espace de délectation (ou de répulsion) » (p. 33) ; ou encore la langue : « J'aime la langue classique, j'aime aussi les langues chiffonnières qui ne respectent rien, sauf l'authenticité de leur propre inspiration » (p. 39)…

Il questionne la forme du roman aujourd'hui, engage un débat par livre interposé (« Comment parler des livres qu'on n'a pas lus ») poussant jusqu'à leurs limites les arguments de Pierre Bayard sur la non lecture comme mode de connaissance. Sa méfiance à l'égard de toute rhétorique fallacieuse, de certain style pamphlétaire, me rapprocherait de lui à moins que ce ne soit son amour de Proust et De Stendhal. Ou alors son choix de la simplicité dans l'expression d'une pensée qui ne sacrifie jamais rien à l'esprit de nuance. Revenu d'un « égarement » maoïste de jeunesse, il préfère se mettre en mode silencieux plutôt que d'énoncer des sottises trop habilement tournées. le texte respire, ici ses redécouvertes, là ses prises de distance avec le monde universitaire ou celui de la critique, ou encore ses préférences :

«les journaux intimes et les journaux de pensées, les recueils d'aphorismes, les idées adventistes levées sous l'inspiration du moment, les décrochages et les coqs-à-l'âne que l'on trouve dans les correspondances, les mémoires ou les livres de confidences spontanées »…

Plus loin, le choc des grands incontournables de la littérature qui intimidèrent le futur écrivain et vers lesquels cependant il revient sans cesse. Lire, écrire, sont pour lui en effet les deux fils d'une même activité intellectuelle : penser. Une pensée caracolant entre philosophie et littérature, dont il se réclame et se nourrit alternativement nous révélant quelques ressorts intimes de son « programme ». Qu'est-ce qu'écrire ? Voilà sans doute (surtout?) son sujet. Se libérer « d'un regard intérieur, moqueur et désillusionné » (le sien), avoir à choisir…. Plus la lecture avance, plus la dimension philosophique et méditative de son travail transparaît. Avec une chaleur singulière, le début du livre n'est donc pas démenti, la voix de l'écrivain parle à tous les « lecteurs qui n'attendent pas de la littérature des performances, mais quelque chose de bien plus profond qui touche à leur raison de vivre. » (p. 79 – 80). Un très très beau moment passé avec lui.
Aller chez Picard revêtira désormais pour moi un sens tout particulier !!!
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