On devait continuer à nourrir cette part non aliénée en chaque patient, ses capacités à rejoindre les autres par le travail des mains, le jeu, le chant, la création, le rire.
Voilà ce que nous sommes, songea Jeanne, des frayeurs et des joies et pas de mots assez grands pour les partager.
A présent Jeanne les regardait mâcher leur pain. Leur vie était entre leurs mains, une mie tendre au-dedans et le silence tout autour. Puis ils grignotèrent la croûte épaisse, un arc de cercle barrant leur figure en deux, la peau des joues rayée. Leurs yeux roulaient de gauche à droite, de droite à gauche. Non, personne n'arracherait leur pain qu'ils dévoraient en vainqueurs. Aussi dure soit-elle, leur enfance devait durer encore.
Elle faisait seulement partie des petites mains qui tissaient autour d'eux un voile maternel à peine visible pour protéger ce qui leur restait d'enfance.
On ne dérange pas quelqu'un en pleine prière, pensa Jeanne, et on ne dérange pas cette femme en chemin vers la beauté.
Trop de vie dans la nuit et des pensées galopantes.
C'était donc ça l'amour? Se tenir enlacés dans l'attente de la nuit, une prière aux lèvres et qu'importe demain si aujourd'hui on perd son temps ensemble?
Pour Nush le théâtre était la chance de voir éclore des émotions inattendues, de se frayer dans un nouvel espace mental. On pouvait s'y déployer, chuter, se mouvoir dans un corps différent, emprunter d'autres vies. Pour un temps oublier la sienne.
Une véritable révolution consiste à reprendre son enfance.
"Cet homme est une île, il est heureux que quelques-uns l'accostent."