À partir de l'histoire d'une patiente au moment de la seconde guerre mondiale,
Paola Pigani choisit de raconter, pour son roman
le château des insensés, les grands changements de la psychiatrie moderne, introduisant ce qui plus tard s'appellera la psychothérapie institutionnelle.
De Ville Evrard en août 1939, Jeanne, vingt-quatre ans, vient de perdre son enfant à la naissance.« Psychose puerpérale, beaucoup de jeunes mères en souffrent, une maladie de langueur et de mélancolie profonde parfois à l'origine de pensées suicidaires ». Son mari, Lucien, a demandé son internement lorsqu'il l'a vue sombrer.
Lorsqu'il faut évacuer les malades de Paris pour les protéger lors de l'occupation allemande, Jeanne est envoyée à Saint-Alban-sur-Limagnol en Lozère dans un beau château. le Dr Balvet dirige l'hôpital, aidé par la présence de religieuses dévouées. Lucien est mobilisé. Plus rien ne relie Jeanne à la vie !
Expérience hospitalière
Ce n'est pas uniquement les kilomètres qui vont faire la différence avec Ville Evrard.
François Tosquelles, membre d'un groupe communiste espagnol, est obligé de fuir l'Espagne fasciste. Il se rend seul au château et va révolutionner la prise en charge des patients avec ses nouvelles méthodes. En ouvrant la structure vers le travail, y compris à l'extérieur, et en favorisant leur liberté et leurs expressions, les malades retrouvent peu à peu la maîtrise de leur univers.
Jeanne rencontre Victor-pour-la-vie qui est un peu déficient mais tellement joyeux et chaleureux. Auguste Forestier, coiffé d'un képi décoré, avec ses réalisations en bois, de rois et de reines comme lui dira
Eluard, est reconnu comme artiste à part entière de l'art Brut par
Jean Dubuffet.
Paola Pigani le restitue dans toute sa singularité, sa souffrance et son talent.
Dans une époque où règnent les restrictions, la femme nommée « la Rillette » retrouve son appétit, symbolisant ainsi le désir de vivre qui fait défaut à tant d'hommes et de femmes internés, malgré le silence qui habite sa bouche. Marguerite Sirvins est devenue aussi artiste lors de son séjour à Saint-Alban. Elle récupère des bouts de fil qu'elle brode en les insérant sur de vieux draps.
Cette galerie de personnages est partagée par
Paola Pigani par deux voies, celle de Jeanne qui se reconstruit petit à petit au contact des petits orphelins d'une partie de l'hôpital et le journal de Soeur Rolande, incarnant une religieuse reconnue « Juste » pour son dévouement pendant la guerre.
Refuge des artistes menacés
L'arrivée du Dr Bonnafé donne une autre dimension à ce lieu particulier. Médecin orthodoxe, inscrit au parti communiste depuis 1934, il est obligé de se faire discret sous le régime de Vichy. Fréquentant les surréalistes de Toulouse, sa proximité avec les artistes fera de Saint-Alban un refuge pour les artistes menacés.
Paola Pagani consacre une partie intéressante au séjour de
Paul Eluard et de sa compagne Nusch. Son poème liberté, qui sera largué sur la France en 1942, pour redonner à tous, espoir et détermination, est également inspiré par ce séjour.
Une plume résolument sociale
Avec son écriture poétique et lumineuse,
Paola Pigani donne vie à cette communauté disparate mais tellement attachante pendant un épisode sombre de notre histoire. Amener l'abondance autant au niveau physique, mais aussi psychologique, dans cette période de restriction fut pour les deux médecins décrits une gageure réussie. La documentation historique est explicitée par l'aspect romanesque et la nourrit pour rapporter une expérience humaine étonnante.
Paola Pigani est une écrivaine sensible qui, par les sujets dont elle s'empare, dépose une brume humaniste sur les personnages auxquels elle donne vie. Dans
le château des insensés, c'est une communauté étrange, où la souffrance tente d'être dissoute par une attention et une empathie non feinte. Et pourtant, pas d'angélisme ici, juste l'évolution positive d'une jeune femme, surnommée Fauvette, qui sortira d'une psychose puerpérale avec succès. Une trajectoire de vie assez banale aujourd'hui, si détectée à temps, mais qui pour l'époque était une guérison révolutionnaire.
Seulement,
Paola Pigani ne limite pas uniquement son propos à ce personnage attachant. Elle dresse un univers de cette expérience psychiatrique qui avait fait l'objet d'une exposition aux Abatoirs de Toulouse en 2021 retraçant le parcours de ce médecin catalan,
François Tosquelles, qui a révolutionné la psychiatrie et aussi, créer l'Art, que depuis, on nomme Brut. Parfaitement réussi !
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