En 2001, comme plusieurs kosovars fuyant la guerre, un frère et une soeur arrivent en France, à Lyon plus précisément ; c'est leur parcours que nous retrace l'autrice. Chacun des deux a une volonté différente, leur avenir l'est aussi : l'une souhaite ardemment s'intégrer à la société française , ce qu'elle réussira, l'autre, malgré une histoire d'amour avec une jeune artiste, finira par repartir.
J'ai beaucoup apprécié les descriptions poétiques de l'hiver lyonnais, j'ai parcouru avec les protagonistes de l'histoire les rues et les quartiers que je connais bien, j'ai compris sans regarder le lexique un des seul mot albanais que je sais.
Hélas, la situation est bien différente maintenant, près de vingt ans après et il n'est plus guère question de droit d'asile et d'accueil décent pour ces migrants venus de l'Est !
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Beau roman d'une grande sensibilité, magnifiquement écrit, qui amène le lecteur à partager le quotidien de deux demandeurs d'asile kosovars, Mirko et sa soeur Simona, leur histoire passée et leurs espoirs présents.
Sans en rajouter, à petites touches, Paola Pagani décrit par bribes l'horreur d'un conflit, la fuite à l'étranger comme seule solution à une spirale de violence, l'arrivée dans un pays étranger où tout est inconnu, angoisse et incompréhension, à commencer par la langue.
La langue, c'est ce qui soutient Simona, qui se projette dans son désir d'intégration. Elle se veut comme les autres et pour se faire apprend la langue française, mot par mot, avec la complicité taquine d'Ousman, le vigile du magasin qui l'emploie.
Mirko, de chantiers en chantiers, côtoie la communauté bigarrée des travailleurs étrangers. Ses pauses, ses déplacements, sont autant de moments où son esprit erre encore là bas, au Kosovo. Plus âgé que Simona, il ressort plus marqué de ce qu'il a vécu.
Par moments, dans sa nouvelle vie à Lyon, il retrouve un groupe informel de tagueurs. Un univers d'où vient Agathe, désormais passée à peinture, et qui commence à exposer lorsqu'elle croise Mirko. De non dits en regards croisés, Agathe et Mirko se rapprochent. Mirko se laisse aller avec elle à verbaliser ce qu'il a vécu et subi.
Ce beau roman a le grand mérite de ramener ces « venus d'ailleurs » à leur quotidien, au plus prés, sans esbroufe. Bien au delà des statistiques et des chiffres.
Au passage, la ballade dans Lyon, vue au niveau de la rue et des quartiers si différents, recrée bien les ambiances de la ville, pour qui la connaît un peu.
La fin du livre perd un peu de la magie que les mots avaient su créer, mais qu'importe ; ce court roman mérite une plus large diffusion.
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Il s'étonne de ces agencements à l'occidentale, préfère le baroque des cimetières de son pays où Turcs, Albanais, Serbes se côtoient dans un désordre séculaire. C'est le premier et le dernier cimetière qu'il découvre en France. Pourquoi est-il désert ? Là-bas, dans son pays, la rue se poursuit entre les tombes, chiens, chats, enfants et vieilles dames avec leurs seaux, leurs fleurs. On s' y assoit, on y mange. Il y a du bruit, des pleurs, des cris. Ici, ce n'est qu'un monde minéral qui l'enserre.
Avait commencé pour eux une longue représentation théâtrale. Il fallait jouer le rôle unique des demandeurs d'asile. Ne pas essayer d'en faire plus. Entrer dans la peau des requérants. S'armer de patience et acquérir tous les codes. Apprendre à répondre aux questions et à prononcer des chiffres, donner des dates. Naissance, arrivée sur le sol français. Mort du père, exode. Nombre de frères et soeurs. Nombre de jours, de mois passés avant la frontière. Après la frontière. Nombre de kilomètres. Nombre de vaccins à recevoir, de papiers à fournir. Nombre de jours d'accueil possibles, nombre de jours à ne pas dépasser avant d'envoyer le dossier de demande d'asile à l'OFPRA, nombre de semaines à attendre la réponse. Le probable, l'improbable, et en attendant, vivre. Au milieu d'hommes, de femmes et d'enfants venus du monde entier. Rwanda, Mali, Turquie, Sri-Lanka, Chine, République du Congo. Arrivés jusqu'ici le plus souvent par miracle. Sur une île boisée entourée d'une France inconnue.
Simona garde les mots en bouche comme des bonbons. Elle en suce le silence jusqu'à ce que son cerveau veuille bien associer les images aux sons., aux lettres, et restituer une partie de leur corps. Elle roule sa voix sur cette nouvelle langue. Elle l'aime. Elle la crache. Elle la chante avec toute la hargne qui l'habite. C'est une histoire tendre et nerveuse qui lui coûte du temps.
Il la regarde penchée comme sur l'eau d'une rivière. La fatigue le berce tout autant que les gestes qu'il découvre. Elle prend sa matière première, du gris-brun dans une écuelle de gouache. Elle peint avec la tranche de la main. Un balayage doux et sombre sur des reliefs bleus. Lui reste suspendu au mouvement de son bras, aux couleurs qui se rencontrent. C'est trouble. Plus encore l'expression de son visage, un rien douloureuse. Ses cheveux tombent sur ses joues, elle pince ses lèvres. Une fossette qu'il ne lui connaissait pas apparaît. Un CD tourne dans le lecteur. Une musique indienne qu'il a jamais entendu.
Le balancier du corps d'Agathe est régulier entre ses couleurs, son matériel et la grande toile. Mirko voit les marques du châssis sur ses genoux, deux traits rouges sur sa peau blanche. Elle n'a sur elle qu'un vieux sarrau noué par deux attaches en haut du dos. À chaque mouvement, le tablier se fend, laisse voir un peu de sa peau nue. Il touche un à un les petits cailloux de ses vertèbres, en partant du bas de ses reins. Ses doigts remontent lentement toute la colonne vertébrale. Lorsqu'ils atteignent enfin sa nuque, Agathe a cessé de peindre. Dans un mot, il égrène son approche, gravit ce dos offert jusqu'au noeud osseux des cervicales où la peau est tendue et tiède sous la masse de cheveux. Un parfum de savon et d'orgeat. L'odeur de sa peau se révèle à lui alors qu'il ne voit pas ses yeux, sa bouche, alors qu'il est à présent tout contre son corps sans visage.
– Tu veux repartir, c’est ça ?
Pour tout aveu, il l’enlace un court instant.
Agathe frissonne, gagnée par la désolation des lieux. Tout est si flasque, ici. Plus rien ne ferme rien. Pas même les bras de Mirko autour d’elle.
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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