- Elle n’est pas malheureuse, murmura Rêveur. Elle est méchante, point final.
- Et bien, c’est peut-être le malheur qui rend les gens méchants.
Un voeu n'est rien d'autre qu'une malédiction déguisée.
- Tu sais, rien ne vaut une bonne malédiction, répondit la vieille en poussant son arrière-petite-fille sur le bord du trône pour caser ses hanches osseuses à ses côtés. La mort, c'est le dernier recours. Tandis qu'un sortilège ... c'est le pouvoir.
- Alors je voudrais lui jeter un sort qui la ferait dormir à jamais, dit Lilith, bien consciente que sa voix avait retrouvé le ton maussade de ses jeunes années.
- A jamais, ça fait bien long, dit la vieille. Hormis la mort, la seule chose éternelle, c'est le véritable amour.
Elle fouina dans les replis de ses guenilles loqueteuses pour en tirer une pomme rouge.
- Tiens, mange ça, dit-elle. C'est bon pour toi.
Soudain, Blanche-Neige d'arrêta et fronça les sourcils, mais avant même qu'elle ait pu soupçonner la présence de l'intrus, celui-ci s'avança vers elle.
- C'est ça que vous cherchez ? dit-il en lui présentant ses vêtements.
Elle se ramassa légèrement sur elle-même, prête à combattre, mais sans se soucier de couvrir sa glorieuse nudité.
Du regard, elle cherchait aux alentours ce qu'elle pourrait bien utiliser comme arme. Il ne l'en apprécia que plus.
- Je ne suis pas venu pour vous faire du mal, dit-il. Bon, en fait, techniquement, je suis là pour vous tuer, mais comme elle me doit une vie en compensation de celle qu'elle a gaspillée, je choisis de vous épargner.
L'homme est en effet la plus sournoise des créatures, et bien rares sont ceux à qui on peut se fier.
Lilith lui avait donc promis qu'aussi longtemps que le garçon lui resterait soumis, jamais elle ne ferait le moindre vœu. D'ailleurs, cela lui convenait très bien. Très tôt, son arrière-grand mère lui avait appris qu'un vœu n'est rien d'autre qu'une malédiction déguisée.
Un voeu n'est rien d'autre qu'une malédiction déguisée.
Certes elle n'avait sûrement pas conquis leurs coeurs, mais au moins, elle savait qu'elle leur inspirait de la peur.
Elle avait tenté de s'excuser, mais sans trouver les mots justes. Jamais elle ne pourrait dire ce qu'il fallait. Elle pensa aux corsets, puis à son mariage malheureux, et au soulagement qu'elle avait éprouvé quand le roi était parti à la guerre. Elle essaya d'imaginer Blanche, si libre et si farouche, prisonnière d'une union semblable à la sienne. Aucun corset ne peut préparer à ça. Le vin lui tournait la tête et son cœur était lourd de choses qu'elle ne comprenait pas.
Soudain, sous le coup d'un élan tel qu'elle n'en avait plus connu depuis l'époque où, enfant, elle courait autour de la maison de son arrière-grand-mère dans les bois, elle prit le petit peigne et le fourra dans une boîte. Elle ne suspendit pas son geste. Elle n'hésita pas. Elle ne voulait pas courir le risque de changer d'avis. Elle se précipita dans l'immense bibliothèque vide, tenant d'une main le bas de sa robe retroussée. Ses longs cheveux blonds flottaient derrière elle comme la traîne d'une mariée. Après tout, peut-être pouvait-elle améliorer les choses ? Un bonheur factice n'était sans doute pas si terrible, si celui qui l'éprouvait ignorait son caractère artificiel. C'était le bonheur qui comptait avant tout, non ?
Elle tenait cette beauté de sa mère, et c’était sans doute ce qui les avait sauvées toutes deux du bûcher lorsque le roi avait découvert que son épouse était une vipère glissée dans sa couche. Et lorsqu’il avait appris la vérité au sujet de l’arrière-grand-mère de Lilith, la vieille chouette dans sa maison de pain d’épices au fond des bois – là même où Lilith avait passé son enfance à apprendre l’art sacré en jouant avec les os des enfants perdus.