Barbara, Charles et Lise et la vieille dame
En rassemblant
Les coeurs imparfaits de Barbara, Charles et Lise,
Gaëlle Pingault réussit un second roman aussi fort que lucide sur la fragilité et le besoin des relations humaines. Et pose un regard acéré sur notre société.
Disons-le d'emblée,
Gaëlle Pingault fait mieux que confirmer les promesses nées avec «
Il n'y a pas internet au paradis». Il faut désormais l'intégrer au club très fermé des romancières qui parviennent à parfaitement ciseler leurs personnages, à entraîner le lecteur dès les premières pages et à construire son livre avec subtilité, par exemple en faisant alterner les temporalités. C'est ainsi que le chapitre introductif raconte de la naissance de Barbara et le bonheur de Rose, sa mère face à ce beau bébé.
Dans le chapitre suivant, on retrouve Barbara aujourd'hui, c'est-à-dire une quarantaine d'années plus tard. Elle est devenue prof de lettres à l'université et une femme qui ne s'en laisse pas compter, choisit ses amants comme ses escarpins, – pour agrémenter sa tenue – sûre d'elle et de ses choix. Elle a été un peu secouée d'apprendre que sa mère perdait peu à peu ses facultés et qu'il faut désormais songer à la placer sous tutelle, même si face à Charles, le médecin de l'EHPAD qui l'a contactée, elle a affirmé ne pas vouloir s'occuper de cette femme qu'elle n'aimait pas.
Retrouvant la chronique de son enfance, qui se déroule en alternance, on apprend en effet la rapide dégradation des sentiments de Rose vis-à-vis d'une progéniture qui l'empêche de se reposer. Il ne s'agit pas d'un blues post-natal mais d'un malaise qui va s'accroître au fil du temps, creusant le fossé entre elle et sa fille.
Répondant à une nouvelle convocation de Charles, Barbara va apprendre la bipolarité de sa mère et le lourd traitement aux neuroleptiques qui la ronge, ce qui va provoquer colère et désarroi. «Grandir avec un mensonge, c'est se promener avec une bombe à retardement». Lise, l'aide-soignante, a tout juste le temps de la rattraper pour qu'elle ne s'affaisse pas dans le hall de l'immeuble. Elle l'ignore, mais cette dernière est sans doute celle qui entretient les meilleures relations avec sa mère, notamment lorsqu'elle lui fait la lecture.
Gaëlle Pingault va dès lors rapprocher les trois cercles autour de Barbara, Charles et Lise. Trois personnages en quête d'une nouvelle vie. Charles est lassé de ses soirées auprès d'Éliane, une épouse qui ne semble plus faire partie de sa vie depuis longtemps. Barbara s'ennuie avec Antonio, l'amant italien qui ne l'amuse plus. Et Lise se cherche.
Les personnages secondaires sont, autre qualité de ce roman, très bien campés. Éliane et leurs enfants Louise et Paul, Antonio ou encore Ninon, une étudiante que Barbara veut pousser à la réussite et sa tante Suzanne avec laquelle elle aimerait retrouver sa complicité passée. Sans oublier les pensionnaires de l'EHPAD. Tous apportent au récit davantage de densité et de réalisme. Pour faire bonne mesure, on ajoutera quelques fantômes à cette galerie, car ils hantent aussi les pages de ce roman. Il y a là le mari de Rose, qui l'a quitté avant la naissance de Barbara, et Isabelle, l'amour de Charles qui s'est suicidée deux ans après leur rencontre. Deux traumatismes qui ont laissé de profondes traces. Charles s'est alors plongé dans le travail, Barbara dans les livres. Car elle a toujours pensé que la littérature serait sa planche de salut: «la passion, c'est ce qui résiste quand tout s'écroule autour». Et comme désormais «la lecture est une part fondamentale d'elle-même», on pourra trouver l'inspiration pour de prochaines lectures dans ses «alchimies littéraires imprévisibles».
Dans ce très riche roman, on trouvera aussi un écho l'actualité la plus brûlante. Charles s'y bat contre la directrice de l'EHPAD qui entend gérer son établissement comme une entreprise ordinaire, un centre de profits. Or «personne ne peut embrasser la complexité des métiers du soin, leurs forces et leurs faiblesses, pour aller ensuite briser les chaînes humaines et les complémentarités qui en garantissent la cohérence. Sauf à se cantonner aux hautes sphères, en réfléchissant à vide et surtout loin de toute expérience de terrain». Des phrases que nos politiques seraient avisés d'écouter!
On le voit, après s'être attaqué à la petite entreprise,
Gaëlle Pingault confirme qu'elle est une observatrice acérée des rouages de notre société. J'attends avec impatience le troisième tome de ses Rougon-Macquart d'aujourd'hui !
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