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EAN : 9782212572896
324 pages
Eyrolles (19/03/2020)
3.89/5   67 notes
Résumé :
Barbara, la cinquantaine est sommée de prendre en charge sa mère frappée de sénilité. Elle refuse, ayant peu d'affection pour cette mère qui ne l'a jamais aimée; elle veut pouvoir vivre sa vie d'universitaire extravagante et libre. Cependant, la nouvelle la touche plus qu'elle n'est prête à le dire, modifiant sa relation à ses amants, à ses étudiants, et même à la lecture, son plus grand plaisir.
Dans le mêm temps, Charles Bodier, médecin fantasque et désabu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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Dans cette danse à mille temps gravitent trois personnages. Barbara la cinquantenaire, professeure des écoles et profondément abîmée par son enfance auprès de sa mère Rose qui n'a jamais réussi à l'aimer.
Charles le nouveau directeur de l'EHPAD où séjourne Rose la mère de Barbara. Charles qui essaie de faire pour un mieux et se bouscule aux aléas de la vie à commencer par son couple décrépi.
Lise, l'aide soignante de l'EHPAD, plus seule que jamais car quand on côtoie la vieillesse et la mort d'aussi près, les gens fuient.

Cette petite galerie de personnages forment à eux tous les coeurs imparfaits. On se rencontre, on se parle, on se fuit, on essaie de recoller les morceaux cassés.

Sur 325 pages, il me restait une cinquantaine de pages pour terminer ce roman. Mais non, j'ai capitulé en me disant que j'en avais assez lu. Une histoire que j'ai survolée sans parvenir à me sentir émue, concernée, intriguée, intéressée ou attachée aux personnages. L'écriture manque à mon sens de chaleur humaine, d'émotions, de passages qui font mouche, de psychologie. le ton est trop clinique et enfin, j'ai regretté que les personnages ne s'imbriquent pas davantage ensemble. Chacun mène sa popote et j'aurai aimé un peu plus d'implications entre les trois personnages.

J'avais beaucoup aimé de cette romancière Il n'y a pas internet au paradis. Je n'ai pas retrouvé ici la chaleur que j'avais tant aimée dans son précédent roman.

Il faut admettre que le thème de la vieillesse inspire plus d'un auteur, que pour nous lecteurs, il en faut peut-être plus, plus d'originalité, de saveurs, d'intérêt pour que la magie opère au risque de friser l'indigestion.
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Ils m'ont immédiatement séduite ces personnages qui gravitent autour de Rose, la mère de Barbara, qui perd peu à peu le fil de sa vie dans un EPHAD qui fonctionne à flux tendu, dans une ambiance d'économie de moyens qui lamine les meilleures volontés.

Barbara est convoquée par le chef de service, Charles, qui a opté pour une fin de carrière moins glorieuse que ne l'a été son parcours précédent, où il était un neurologue réputé. le professeur Bordier souhaite en effet aborder avec Barbara la difficile question de la tutelle pour Rose. C'est avec un peu de surprise qu'il se prend en pleine face un genre de « Allez vous faire foutre, ma mère je m'en balance! »

Au bal de cette petite communauté est aussi invitée Lise, , qui se consacre corps et âme au bien-être de ses patients et en crève de dépit de ne pouvoir prendre le temps de ces échanges gratifiants pour elle ô combien utile pour chasser pour un instant la solitude des résidents.

Et puis menant la danse, Barbara, une prof de lettres adulée par ses étudiants, affichant tous les stigmates de la réussite. Et pourtant…


C'est grâce à ces personnages profondément humains dans leur forces et leurs faiblesses, que se construit l'histoire, faite de mains tendues, prises ou refusées, avec au bout du compte de nouvelles alliances et et des plaies en voie de guérison.

J'ai déjà ressenti des émotions livresques identiques avec Ensemble c'est tout d'Anna Gavalda, que j'avais beaucoup aimé.

Et la crainte de devoir sortir un mouchoir à la fin ne s'est pas réalisée. Merci Gaëlle Pingault!

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Barbara est professeur de français en université, Charles, médecin, professeur en neurologie, Lise, aide-soignante. Mais qu'ont-ils donc en commun, ces trois personnages que tout semble opposer ?Un mal de vivre certes, mais surtout des stratégies pour gérer ce mal de vivre : Charles tente de sortir des sentiers battus en empruntant les routes de la fantaisie qu'il s'est interdite jusqu'alors, Barbara cherche le contact et trouve refuge auprès d'une de ses étudiantes tout en pratiquant l'immersion dans le milieu qu'elle s'était juré de ne pas fréquenter, à savoir, l'Ehpad ou se trouve sa mère qu'elle déteste, on en découvrira la raison. Cette immersion, elle la doit à Charles capable de communiquer sans jugement et établissant une relation propre à apprivoiser Barbara la rebelle. Lise pratique le yoga et s'échappe pour méditer dans la nature, se dévoue à ses malades et mise sur la bienveillance pour ne pas craquer.


L'intérêt du roman réside dans l'évolution de chacun de ces personnages et leur progression, comment ils parviennent à lâcher prise, ce qui fait de ce récit un bon roman feel good.


On apprendra beaucoup sur l'histoire de Charles et de Barbara : le passé glorieux d'un brillant neurologue réfugié désormais dans cet Ehpad ou il effectue le suivi des personnes âgées devenues dépendantes, l'enfance difficile de cette professeure de lettres qui fortuitement, apprend un secret de famille jalousement gardé par sa mère et la tante qu'elle adorait et qui emporte toutes ses croyances sur son passage. Son mal-être lié à cette enfance sans amour.

On comprendra l'importance des relations humaines, de la communication, du besoin des différences d'autrui pour s'enrichir, pour grandir et s'épanouir.


Par ailleurs, d'autres thèmes sont abordés dans l'histoire : l'accompagnement des personnes âgées, les conditions de travail des personnels soignants et le manque de moyens des établissements de soins, l'usure du couple, avec quelques soupçons de littérature toujours bienvenus dans un roman.


Une histoire enrichissante, presque un roman de travail sur soi.

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Barbara, Charles et Lise et la vieille dame

En rassemblant Les coeurs imparfaits de Barbara, Charles et Lise, Gaëlle Pingault réussit un second roman aussi fort que lucide sur la fragilité et le besoin des relations humaines. Et pose un regard acéré sur notre société.

Disons-le d'emblée, Gaëlle Pingault fait mieux que confirmer les promesses nées avec «Il n'y a pas internet au paradis». Il faut désormais l'intégrer au club très fermé des romancières qui parviennent à parfaitement ciseler leurs personnages, à entraîner le lecteur dès les premières pages et à construire son livre avec subtilité, par exemple en faisant alterner les temporalités. C'est ainsi que le chapitre introductif raconte de la naissance de Barbara et le bonheur de Rose, sa mère face à ce beau bébé.
Dans le chapitre suivant, on retrouve Barbara aujourd'hui, c'est-à-dire une quarantaine d'années plus tard. Elle est devenue prof de lettres à l'université et une femme qui ne s'en laisse pas compter, choisit ses amants comme ses escarpins, – pour agrémenter sa tenue – sûre d'elle et de ses choix. Elle a été un peu secouée d'apprendre que sa mère perdait peu à peu ses facultés et qu'il faut désormais songer à la placer sous tutelle, même si face à Charles, le médecin de l'EHPAD qui l'a contactée, elle a affirmé ne pas vouloir s'occuper de cette femme qu'elle n'aimait pas.
Retrouvant la chronique de son enfance, qui se déroule en alternance, on apprend en effet la rapide dégradation des sentiments de Rose vis-à-vis d'une progéniture qui l'empêche de se reposer. Il ne s'agit pas d'un blues post-natal mais d'un malaise qui va s'accroître au fil du temps, creusant le fossé entre elle et sa fille.
Répondant à une nouvelle convocation de Charles, Barbara va apprendre la bipolarité de sa mère et le lourd traitement aux neuroleptiques qui la ronge, ce qui va provoquer colère et désarroi. «Grandir avec un mensonge, c'est se promener avec une bombe à retardement». Lise, l'aide-soignante, a tout juste le temps de la rattraper pour qu'elle ne s'affaisse pas dans le hall de l'immeuble. Elle l'ignore, mais cette dernière est sans doute celle qui entretient les meilleures relations avec sa mère, notamment lorsqu'elle lui fait la lecture.
Gaëlle Pingault va dès lors rapprocher les trois cercles autour de Barbara, Charles et Lise. Trois personnages en quête d'une nouvelle vie. Charles est lassé de ses soirées auprès d'Éliane, une épouse qui ne semble plus faire partie de sa vie depuis longtemps. Barbara s'ennuie avec Antonio, l'amant italien qui ne l'amuse plus. Et Lise se cherche.
Les personnages secondaires sont, autre qualité de ce roman, très bien campés. Éliane et leurs enfants Louise et Paul, Antonio ou encore Ninon, une étudiante que Barbara veut pousser à la réussite et sa tante Suzanne avec laquelle elle aimerait retrouver sa complicité passée. Sans oublier les pensionnaires de l'EHPAD. Tous apportent au récit davantage de densité et de réalisme. Pour faire bonne mesure, on ajoutera quelques fantômes à cette galerie, car ils hantent aussi les pages de ce roman. Il y a là le mari de Rose, qui l'a quitté avant la naissance de Barbara, et Isabelle, l'amour de Charles qui s'est suicidée deux ans après leur rencontre. Deux traumatismes qui ont laissé de profondes traces. Charles s'est alors plongé dans le travail, Barbara dans les livres. Car elle a toujours pensé que la littérature serait sa planche de salut: «la passion, c'est ce qui résiste quand tout s'écroule autour». Et comme désormais «la lecture est une part fondamentale d'elle-même», on pourra trouver l'inspiration pour de prochaines lectures dans ses «alchimies littéraires imprévisibles».
Dans ce très riche roman, on trouvera aussi un écho l'actualité la plus brûlante. Charles s'y bat contre la directrice de l'EHPAD qui entend gérer son établissement comme une entreprise ordinaire, un centre de profits. Or «personne ne peut embrasser la complexité des métiers du soin, leurs forces et leurs faiblesses, pour aller ensuite briser les chaînes humaines et les complémentarités qui en garantissent la cohérence. Sauf à se cantonner aux hautes sphères, en réfléchissant à vide et surtout loin de toute expérience de terrain». Des phrases que nos politiques seraient avisés d'écouter!
On le voit, après s'être attaqué à la petite entreprise, Gaëlle Pingault confirme qu'elle est une observatrice acérée des rouages de notre société. J'attends avec impatience le troisième tome de ses Rougon-Macquart d'aujourd'hui !
Lien : https://collectiondelivres.w..
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C'est un texte de regrets : du temps qui passe, de ce que l'on a fait, de ce que l'on a pas fait, des petites lâchetés, des secrets bien gardés, de rancoeurs accumulées. Tous les personnages semblent englués dans une situation compliquée, inextricable : une relation mère-fille défaillante, un mariage qui s'enlise, un boulot qui épuise. C'est globalement sombre mais terriblement réel. A ne lire que si vous êtes heureux (sinon déprime assurée). La fin laisse entrevoir un peu de lumière (heureusement 😀).
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Elle est magnifique. Superbe. Belle à en couper le souffle. Il faudrait inventer des mots rien que pour elle, des mots nouveau-nés. Ceux qui existent ont déjà trop servi pour cette vie toute neuve.
— C’est une petite fille ! déclare la sage-femme enthousiaste en déposant le nourrisson contre le flanc de sa maman.
Rose avait imaginé que, peut-être, elle pleurerait d’émotion. À d’autres moments, elle avait eu peur de ne rien ressentir. Montagnes russes de fin de grossesse. Finalement, c’est une joie infinie qui la traverse. Une exaltation folle – non, pas folle, elle déteste ce mot, incroyable, plutôt – qui s’empare d’elle. Elle a envie d’une danse tribale, physique et rythmée, ses pieds nus foulant le sol.
— Bonjour, Barbara, murmure Rose en se penchant sur l’enfant, bienvenue, ma jolie puce.
La petite n’a pas crié. Cela n’inquiète pas la sage-femme, elle dit que tout va bien, et que, non, tous les bébés ne pleurent pas à la naissance. Barbara a de grands yeux sombres, qui observent déjà autour d’elle. De bonnes joues, des cheveux noirs, fins et soyeux, avec deux mèches plus longues, bouclées. Elle est grande. Cinquante-deux centimètres, ce n’est pas rien. Grande et belle. Puisse ta destinée l’être aussi, pense sa mère.
Rose est émerveillée. Le premier jour à la maternité ressemble à un voyage en apesanteur. Le contraste est net et délectable, avec son interminable et parfois douloureuse fin de grossesse. Elle n’était pas folle, quoi qu’aient pu en penser certains, elle était juste lasse d’être grosse. Désormais elle sent à peine le sol sous ses pieds, elle a l’impression de léviter. Elle marche pieds nus pour capter le maximum de sensations. Ce n’est pas très bien vu par le personnel, elle s’en fiche. Elle dort peu, mais ne se sent pas fatiguée. Elle écoute et suit les conseils, donne le bain, apprend à préparer les biberons. Tout a l’air facile. Tout est fluide. Rose est abasourdie par la douceur de la peau de sa fille, et par son odeur. Elle a le sentiment qu’elle reconnaîtrait les deux, même les yeux fermés. Rose est traversée par une puissance animale, instinctive, qu’elle n’a jamais ressentie. Et qui lui plaît.
La deuxième nuit, la petite pleure beaucoup, mais on avait prévenu la maman, c’est classique. Rose appelle l’infirmière, malgré tout. Elle est rassurante – vous savez, madame, un bébé qui pleure, c’est un bébé qui s’exprime. Au bout de quelques heures, elles s’endorment toutes les deux, Barbara lovée contre sa mère.
Rose aimerait que ce moment de calme et de douceur dure toute leur vie.

Depuis son arrivée au bureau ce matin, Charles se demande de manière obsédante si le point mousse est vraiment plus facile que le jersey, ou si c’est juste une légende urbaine. Après tout, ça n’est pas plus crétin, comme façon de passer le temps, que d’arpenter le bureau de long en large, entre la porte et la fenêtre.
Charles l’avouerait sans difficulté, il n’est pas toujours passionné par son travail. Il y a dix ans, il n’aurait pas cru cette situation possible, mais aujourd’hui, c’est le cas. Et même, régulièrement, il s’ennuie, il s’emmerde, il trouve le temps long. Le poste n’est pas déshonorant, mais enfin ça sent furieusement l’écurie. La fin de carrière n’est plus très loin, elle le guette au coin du couloir. Ses grandes années de prestige et de surcharge de travail sont derrière lui. C’est évident pour lui depuis un bon moment, et ça l’est désormais devenu pour tout le monde. Au bureau, il pourrait avoir pour nom indien Lucidité anticipatrice.
Il a de beaux restes. Mais ce ne sont jamais que des restes. Ici, il se contente de jouer un peu les prolongations, sans réel enjeu. Le match est plié depuis longtemps. Et ce genre de partie se termine toujours sur le même score : Vie active 0 – Retraite 1
Il a accepté ce poste de médecin coordonnateur d’EHPAD en toute connaissance de cause. Il n’en attendait rien de bien folichon, comparé à l’adrénaline des grands colloques où il intervenait et où il était applaudi par la profession. Mais il était temps de laisser place au renouvellement, à la tête du prestigieux service de neurologie qu’il dirigeait. Il est doté d’une grande quantité de dignité et d’éthique. Et en médecine, la dignité et l’éthique interdisent formellement de s’agripper à une place que Plus-jeune-et-plus-brillant-que-soi (du nom indien de son successeur neurologue) peut désormais mieux occuper et faire évoluer. Alors quand le poste s’est présenté, au sein de cette maison de retraite, il l’a pris. Un poste sans grand prestige, mais comprenant malgré tout quelques défis. Même s’il connaît bien les pathologies du vieillissement, Charles n’est pas gériatre de formation. Il allait devoir le devenir sur le tas et il aimait cette idée.
Il se doutait qu’il allait pas mal s’ennuyer. Et il en a eu très vite la confirmation. Nette et sans bavures. Pourtant, il reste discret sur le sujet. Ses commentaires seraient mal interprétés, sans doute pris pour de la condescendance. Son ennui n’est pas factuel, Charles a plein de boulot. C’est un ennui intellectuel. Il n’est plus confronté aux complexités passionnantes de la neurologie. Un soin d’escarre n’a pas grand-chose à voir avec une chirurgie éveillée du cerveau, il en est le premier désolé, mais c’est une réalité. Il n’est pas malheureux à l’EHPAD. C’est juste qu’il a été habitué à une tout autre pression, qui parfois lui pesait, mais qui aujourd’hui lui manque. Il se découvre versatile. Il n’y a pas d’âge pour les grandes prises de conscience.
Son côté philosophe a d’emblée avancé qu’il y avait plus grave. Pour s’ennuyer, il faut avoir le luxe d’être en vie. L’emmerdement est donc un privilège. Son côté taquin a clamé qu’au pire, il se mettrait au tricot. Point mousse, ou jersey donc, il commencerait par le plus facile. Voire, il apprendrait les deux dans la foulée – pourquoi pas ? Soyons fous. Tricoter pour ses petits-enfants, même s’il n’en a pas encore, c’est une belle idée. Ou pour lui, tiens, allez. Pourquoi un grand ponte de neuro ne tricoterait-il pas ? Rien que pour voir la tête de certains, ce serait à tenter. De manière bien visible et bien flagrante, à la pause-café, ou en réunion, ça devrait avoir son charme.
Au-delà de tout, il a d’emblée trouvé amusant d’attendre la retraite dans un EHPAD. Il sera aux premières loges pour décrocher une belle piaule le jour où il atteindra la limite d’âge. Paf, directement du bureau du médecin au lit de la 45, du restaurant du personnel au repas mixé, des réunions d’équipe aux redifs de l’inspecteur Derrick. Lucidité anticipatrice, mentionnait-il précédemment. Elle est pas belle, sa vie ?
Il a, depuis toujours, un côté potache un peu con. Éliane, sa femme, a sur ce sujet un comportement paradoxal. Il lui est arrivé d’en rire, mais depuis le premier jour, elle ne cesse de répéter qu’il serait temps que l’humour bête lui passe. Une affirmation de plus en plus pincée, au fil des années, d’ailleurs. Il se demande encore si c’est une simple formule ou si elle le pense vraiment.
Comme si on était obligé de devenir sinistre avec les années.
Comme si les facéties n’étaient autorisées qu’en dessous d’un certain nombre de cheveux blancs et de rides.
Comme si l’âge impliquait d’être sérieux, raisonnable et plan-plan.
Comme si l’âge impliquait d’être vieux.
Conneries.
Il a eu des cheveux blancs trop tôt pour se ranger dès qu’ils sont apparus, et il a décidé depuis longtemps de laisser ses ambiguïtés à sa femme. De toute façon, être ambiguë est devenu, au fil du temps, un genre de seconde nature chez elle.
Alors voilà, maintenant, pour appeler un chat un chat, il se fait un peu chier, mais puisque ça semble inévitable, et quasiment pour la bonne cause, il l’accepte, tout en envisageant donc de se mettre au tricot. L’état des lieux n’est pas si catastrophique.
Il est connu pour être plutôt délicat et empathique, ce qui est loin d’être le cas de l’ensemble du corps médical, hélas. Lui, on lui concède un petit truc en plus. Il est humain, murmure-t-on dans son dos, sans qu’il ignore, pour autant, le moindre avis qui circule à son sujet. Sa réputation, il en rigole. Ça l’occupe quand il s’ennuie trop, dans son nouveau bureau à l’EHPAD – il n’a pas encore commencé le tricot. Il n’en démordra pas, c’est un comble que ça suscite des commentaires. Si on en est rendu à trouver fôôôôrmidââââble qu’un médecin soit humain, avec des accents circonflexes et des bouches en cul-de-poule, c’est que la médecine va diablement mal. Ce qui, d’ailleurs, lui paraît probable. Mais c’est un autre sujet dont il n’a aucune intention de s’occuper ni aujourd’hui, ni demain, ni d’ailleurs à aucun moment d’ici sa retraite. Il a activé l’option place aux jeunes, et il s’y tiendra, y compris pour les grandes batailles philosophico-déontologico-politico approximatives.
Par la fenêtre de son bureau, Charles a vu s’avancer la femme qu’il attendait. Il l’a trouvée belle et il a été ému. Il a pensé que c’était injuste qu’on soit plus souvent touché par ce qui arrive aux beaux qu’aux laids. Aux minces qu’aux gros. Aux intelligents qu’aux crétins. Ou alors c’est juste lui et son regard bourgeois ?
Pendant qu’elle remontait l’allée, il l’a observée. Il a admiré sa démarche galbée. Elle avait juste la bonne hauteur de talons pour n’être ni vulgaire – trop haut –, ni banalement passe-partout – trop plat. À vue de nez, dans les sept centimètres, sept centimètres et demi. Oui, il s’y connaît en hauteur de talons, c’est ainsi, chacun ses petits secrets. Il le doit à une copine de fac, qui l’a initié aux charmes des chaussures féminines comme d’autres vous initient aux échecs ; il s’était pris au jeu au point de devenir, et de rester, un excellent élève.
C’est triste, ce qui frappe cette femme qui a rendez-vous à l’EHPAD. Et à défaut d’y pouvoir grand-chose sur le fond, il essaiera que la conversation à venir soit la moins pénible possible sur la forme.
— Professeur ? dit sa secrétaire en ouvrant la porte, Mme Albin.
Elle s’efface pou
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On soutient les gens qui se battent contre un cancer ou contre une maladie génétique, on organise des téléthons et des courses pour des tas de maladies physiques… Est-ce qu’on ne pourrait pas rendre hommage, aussi, aux gens qui souffrent de maladie mentale ? Ce doit être si dur à vivre !
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Comment peut-on diriger des établissements ou des politiques de soin à l’aune de la seule rentabilité? C’est sûr, il ne faut jamais être intervenu dans la chambre d’un malade soi-même, sinon ce serait impossible. Personne ne peut embrasser la complexité des métiers du soin, leurs forces et leurs faiblesses, pour aller ensuite briser les chaînes humaines et les complémentarités qui en garantissent la cohérence. Sauf à se cantonner aux hautes sphères, en réfléchissant à vide et surtout loin de toute expérience de terrain. p.145-146
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Depuis plus de quinze jours maintenant, Barbara ne lit plus. Une éternité, pour Elle. Et une douleur, aussi. La lecture a toujours été son amie. Sa compagne de route.
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Quand il était encore interne, avec Isabelle, ils avaient mis au point une technique. Ils se prévenaient régulièrement : Évite de passer pour un GCMS. GCMS : Gros Con de Médecin Suffisant. Cela consistait, lorsqu'ils étaient contredits par des patients, à compter mentalement jusqu'à vingt avant de leur répondre. Vingt secondes, cela peut paraître anodin, mais c'est bien assez long pour se dégager du tac au tac. Pendant que le silence s'étire, on s'extrait de l'immédiateté et des réponses réflexes. Vingt secondes offrent un peu de recueil et permettent de se calmer si on se sent remis en cause. On évite bien des réponses cassantes, de cette manière, et on y gagne en sérénité. Ce qui est essentiel.
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Vidéo de Gaëlle Pingault
Un roman actuellement disponible en librairie.

Barbara est seule. Sa solitude a des allures de refuge ou de bastion, érigé dès l'enfance, pour tenir une mère imprévisible à distance. Quand le médecin de l'EHPAD "Les genêts" la convoque, ce passé qu'elle fuit la rattrape.Médecin en fin de carrière, Charles s'ennuie. Coincé dans sa vie, coincé dans son couple, voilà où l'ont conduit des choix par défaut. L'intransigeance de Barbara le contraint à faire face à ses propres petites lâchetés.Lise est aide-soignante. Elle s'impose une discipline rigoureuse, tente d'offrir aux résidents des Genêts des moments de partage arrachés à la cadence minutée des soins. Mais pour combien de temps ?Barbara, Charles, et Lise... Dans l'histoire de chacun, des empêchements sont venus enrayer la possibilité d'aimer librement. Autour de Rose, la mère absente, ces coeurs imparfaits se rencontrent et inaugurent des voies possibles de consolation.

Gaëlle Pingault est novelliste, romancière, animatrice d'ateliers d'écriture, orthophoniste, Bretonne. Tout dépend du sens du vent ! Celui quelle préfère, c'est le noroit qui claque. Elle a été lauréate du festival du premier roman de Chambéry et du prix Lions club de littérature grand ouest pour son premier roman II n'y a pas internet au paradis. "Les coeurs imparfaits" est son deuxième roman.
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