"Tu sais, rien ne meurt vraiment, ce jour-là est inscrit en nous comme les constellations au ciel, comme les lignes dans la main. Même si j'aime ailleurs, même si je me consume et que je t'échappe, il y aura toujours cela, ce temps défié et vaincu, ces instants sans durée, ce baiser."
Jane est abasourdie de constater les ravages de l'amour sur sa propre personne : une femme s'obsède jusqu'à la nausée, désire jusqu'à la fureur, jusqu'à l'extase religieuse ou la souffrance la plus intolérable, jusqu'à la plus parfaite dissolution ; elle se noie, s'émiette, se dissout dans la passion.
Te voici redressée, les mains sur les hanches, bien campée dans la terre, le regard porté loin par-delà les haies et les champs, vers la mer et le ciel menaçant que tu tiens en respect. Tu sembles toujours défier ce que tu embrasses du regard. Tu exiges la pleine moisson de la vie. Et tu as raison. Elle ne donne qu'à ceux dont l'appétit est féroce.
Mais Bradley ne se laissait pas impressionner, et il en va du combat comme du théâtre : le public y devine toujours le manque d'engagement, l'impardonnable imposture.
C'est si triste, ce superbe jeune homme qui tremble déjà avant de vivre.
Ils en redemandaient encore et encore, et leur faim ne trouvait jamais d'apaisement. Car il en est ainsi du théâtre : il nourrit, sans jamais le combler, le désir le plus intime et le plus humain de tous les désirs, celui d'échapper aux limites de son étroite réalité pour être propulsé dans un monde plus fort, plus cruel et plus beau, aux côtés d'êtres qui transcendent leur humanité et la poussent à sa plus abominable ou sa plus sublime expression. Ce qui est, peut-être, à peu près la même chose.
En pensant à Jane, à la manière dont elle se débattait avec la vie, il lui apparut ceci : tel le dieu conçut à leur image, les hommes ont, « par un décret éternel de leur volonté », prédestiné les femmes à une existence implacable. Elles portent tous les péchés du monde, naissent en esclavage, et doivent lutter à chaque instant pour obtenir le moindre adoucissement de leur condition misérable.
Pourquoi cette déchirante impression d'être plus vivante, mais d'exister moins ?