Emmanuelle Pirotte est décidément, définitivement, irréductiblement, une auteure hors norme. du roman historique à la dystopie, de la fantasy à l'anticipation, elle semble prendre un malin plaisir à noyer les poissons, à brouiller les pistes… bref, à nous égarer pour mieux nous tenir à sa main ! On peut néanmoins déceler – je crois – une préoccupation centrale, récurrente, écrasante : celle de la liberté, sous toutes ses formes. Et, parfois, du prix de la liberté.
Ce roman bref – 150 pages – nous invite à parcourir un drôle de chemin, celui de Dominique Biron, cette vieille dame indigne, mais qui, finalement, nous contraint à accepter qu'en réalité, sa dignité est d'une autre couleur, d'une autre valeur, d'une autre nature. Pour ces trois derniers jours qu'elle s'est choisis, elle fait ses comptes. Pas tant pour les régler que pour les solder.
Dressée – plus qu'élevée – pour entrer dans le moule de cette bourgeoisie chrétienne des années 50, dans laquelle l'idée même que les femmes puissent avoir un rôle parait surréaliste, Dominique a laissé passer le temps. Passée de la domination de sa famille à celle de son mari, d'un intérieur bourgeois à un autre intérieur bourgeois, elle a traversé la vie sans véritablement la voir. Sans même s'en rendre compte, elle a cédé son âme contre un confort matériel dont elle découvre un jour qu'il l'étouffe.
D'une certaine manière, mourir est son premier choix, sa première décision. Émancipatoire. Désormais, elle s'autorise à dire que son fils est un con ; que son mari ne la rendait pas heureuse ; que toute sa vie a été une imposture. Elle s'accorde le droit d'être lucide, comme lorsqu'elle dit, en pensant à son beau-fils :
« Brave Gaétan. Je me suis toujours demandé comment ma fille pouvait vivre avec un type aussi stupide et alors je me souviens de mon mari, et je sais. On s'habitue à la médiocrité bien plus aisément qu'à l'incandescence, au panache, à la vérité qui fait peur, qui fait mal, qui demande, qui exige pour survivre des choses que beaucoup d'entre nous ne sommes pas prêts à donner. La vraie vie n'est pas pour les chiches, les radins. C'est ainsi. » (p. 25-26)
Mais il n'y a pas d'acrimonie dans sa prise de conscience. Il est idiot, Gaétan, il est con, John (son fils), mais elle ne leur en veut pas, elle ne leur en fait pas grief. Simplement, elle s'autorise à le constater, à le regretter, éventuellement.
Les trente dernières pages de ce livre sont un magnifique manifeste qui nous invite à vivre ici et maintenant. L'auteure nous suggère même quasiment une playlist, allant de Jimmy Fontana à Nirvana. Auxquels j'ai ajouté Arno – pour faire couleur locale – et
Leonard Cohen. Merci infiniment, Madame Pirotte !
Et puis, tout de même… ce titre ! Car il est flamboyant, en effet, ce crépuscule de cette vieille conformiste qui, jusque-là, n'avait pas su voir comment le carcan qui lui avait été imposé était étriqué ! Qui, par colère, par aigreur, pour se dégager de ses propres envies, de ses désirs, préférait stigmatiser les petits défauts de ceux qui l'entouraient plutôt que de se laisser emporter par les émerveillements de la liberté…
Alors, êtes-vous prêt(e) à prendre le temps de partager un moment avec Dominique Biron ? Prenez, à tout hasard, un briquet et un verre, dès fois qu'elle accepte de partager ces Côtes châlonaises ou même ce Mercurey…
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