L'ambitieux

La jeune femme s’appelait Blanche. Elle était d’une beauté radieuse et pleine de candeur. Mais on sentait bien que, sous cette apparente innocence, coulaient des rivières de lave. Il n’était que de lire ses livres, aussi foutraques que ciselés. Ses personnages frôlaient toujours les précipices ; tout lecteur doté de logique se prenait à les trouver presque normaux alors qu’objectivement, ils étaient fous à lier. Ses héroïnes se scarifiaient, s’imposaient d’invraisemblables sacrifices et semblaient parcourues de désirs incontrôlables. Car le sexe était omniprésent dans l’œuvre de Blanche Sagan..

C’est bien connu, en politique mon prédécesseur est un incapable et mon successeur un usurpateur…

Il avait bien conscience que cette filiation lui avait été favorable pendant sa campagne et continuerait de l’aider. En revanche, il s’était mis d’accord avec son père pour éviter de se retrouver avec lui en public.

Charles se souvint alors des étreintes de sa mère lorsqu’il revenait de classe et qu’elle lui avait préparé un délicieux chocolat chaud pour le goûter. Plus jamais il n’avait retrouvé cette saveur-là, ni celle de ses abricots ou de ses mirabelles. La nostalgie le submergea. Cette femme, qui lui avait tenu la main jusqu’à son douzième anniversaire avant de le quitter, lui avait permis de croire en lui et de se réconcilier avec un monde qu’il ne pensait pas fait à sa mesure. Le petit enfant, malade de timidité, qui n’avait pas osé se présenter à l’élection des délégués de classe, allait devenir chef du gouvernement de son pays.

Il iest impossible de se battre contre un ennemi qui n’a pas de nom, pas de visage.

Dans le monde politique, au départ méfiant, puis prudent, puis atteint de sidération, la température commençait à monter dangereusement. De nombreuses voix exigeaient une intervention présidentielle, d’autres réclamaient carrément la démission de Victor Exbrayat. À l’intérieur même de la majorité, des dissensions se firent entendre. Au départ très feutrées, elles prirent de la force à mesure que s’accumulaient les révélations. On sentait l’Élysée acculé face à l’amoncellement des preuves.

A-t-on le droit de trahir un homme à qui l’on doit sa carrière et qui ne vous a rien fait de vraiment mal, sauf de préparer des dossiers pour vous dissuader de le trahir ?

Quand on n’est pas dans la lumière, il n’y a rien de plus jouissif que d’assister, faussement apitoyé, à la chute d’une idole qui trop longtemps a tenu le haut du pavé. Chez les hommes et femmes politiques, la réaction fut plus contrastée. Un franc soutien en privé, par téléphone ou même par lettre, ce qui peut être plus compromettant, mais en public un silence assourdissant.

C’est le propre des grands hommes que de ne devoir dépendre de quiconque. L’ingratitude est la règle. C’est moche mais c’est ainsi. Quand on arrive dans cette sphère, bien au-dessus du commun des mortels, on pense ne devoir son destin qu’à soi-même. On ne peut fonctionner par renvoi d’ascenseur. Aujourd’hui, l’opinion ne le permet plus.

Entre être et ne pas être j’ai choisi : ne plus être. Ne donne pas des mots savants à ce qui va suivre, et surtout n’en parle à personne. Ce sera notre ultime secret. Personne n’aura le droit de le partager. Toute ma vie j’ai pensé à la façon dont mes parents ont choisi d’interrompre le cours de leur existence à seulement 20 ans et cela m’a obsédé. Moi aussi je vais choisir. Je n’attendrai pas que le destin le fasse pour moi.