Citations sur Intouchable (52)
J’essaye simplement de reconstituer avec ce qu’on a. D’abord elle a bu, pour se donner du courage. Ensuite elle s’est injecté le produit, puis elle avait une minute ou deux pour prendre les somnifères, pour être sûre qu’elle reviendrait pas sur… sa décision. Vous comprenez ?
Manon avait avalé beaucoup d’alcool. Du whisky, l’équivalent de deux grands verres. Également, elle avait ingéré des somnifères en quantité massive, le médecin avait trouvé vingt-deux gélules encore non digérées. Très au-delà de la dose mortelle. Enfin il avait détecté du Tracrium, un anesthésiant très puissant, uniquement utilisé dans les hôpitaux, sous forme d’ampoules, à utiliser en injections intraveineuses ou intramusculaires.
Suicidée.
Dans un moment de bêtise, d’émotion, parce que je l’avais écouté dix ou vingt fois, j’avais fini par taper sur la mauvaise touche et l’appel de Manon s’était perdu pour toujours. Le réalisant plus tard, j’avais pris comme un choc au plexus, j’en avais pleuré en fouillant mon téléphone et je l’aurais écrabouillée, cette machine, écrasée à coups de marteau, émiettée, mais ça n’aurait servi à rien.
Penser que je délirais, que j’exagérais, que je m’étais raconté des histoires parce que la réalité était trop difficile à supporter. Et pourtant, je l’avais bien reçu cet appel, la voix de Manon me résonnait encore dans le crâne, haletante et pleine d’angoisse, et cette angoisse persistait dans mon esprit, elle me réveillait parfois la nuit.
J’étais dans la scène sans y être, je me voyais entrer dans la morgue, je m’entendais marcher dans le couloir, mes pas résonnaient, mon corps éprouvait le froid et mes yeux, l’éclat froid des tiroirs en inox, je parcourais des yeux la forme fine sous ce drap blanc, au fond de ce long tiroir, n’osant croire en sa réalité.
Elle était belle, ça, on pouvait le dire. Il pensait que quelque chose s’était rompu dans son esprit, comme un virus, un poison qui détraque et brise une machine faite pour durer. Il avait téléphoné au substitut du procureur, cependant que ses collègues emportaient le corps vers l’institut médico-légal de Poitiers, à quatre heures de route de là.
Il en avait conclu au suicide. Ingestion de médicaments puis d’alcool, d’après l’odeur. Il y avait des traces de vomi au coin de ses lèvres. Je l’ai lu sur le rapport, avec d’autres détails tous insupportables.
Je ne l’ai jamais touché, jamais approché au point de le sentir. Il doit être sans odeur, puisqu’il est sans âme. Deux femmes en en tenue d’hôpital l’écoutent, une blonde plus âgée, une brune aux cheveux frisés, de grands yeux noirs, de type méditerranéen. Sans l’entendre parler, je retrouve son arrogance intacte, la fascination qu’il exerce, son culot infernal et ce sourire mécanique de celui qui sait.
Le bébé nous ressouderait, tout serait réparé. J’observe Michel, ses grosses mains qui soulèvent le poids plume de l’enfant, le serrent doucement contre son buste, il retrouve des gestes très anciens, une religion ancienne. Le bébé a un jour et je suis grand-mère, tout ça me paraît irréel.
Nos vies se sont définitivement séparées quelques semaines plus tard, après l’assassinat de Manon. Assassinat, je sais que ce n’est pas le bon terme, on me l’a souvent reproché, mais pour moi c’est le seul valable.