Citations sur La Dame de pique - Récits de feu Ivan Pétrovitch Bielkine.. (59)
Trois jours après la nuit fatale, à neuf heures du matin, Hermann se rendit au monastère *** où l'on devait célébrer les obsèques de la comtesse. S'il ne ressentait pas de remords, il ne pouvait cependant pas étouffer complètement la voix de sa conscience qui lui répétait : tu es l'assassin de la vieille! Il n'avait guère de vraie foi, mais il avait quantité de superstitions. Il croyait que la comtesse morte pouvait exercer une influence néfaste sur sa vie, - et il décida de paraître à son enterrement pour lui demander pardon.
Ma grand-mère ne savait plus que faire.
Elle connaissait de près un homme des plus remarquables. Vous avez entendu parler du comte de Saint-Germain, dont on dit tant de choses extraordinaires. Vous savez qu'il se faisait passer pour un juif errant, pour l'inventeur de l'élixir de vie, de la pierre philosophale et j'en passe. On se moquait de lui comme d'un charlatan, et Casanova, dans ses Mémoires, dit qu'il était un espion ; pourtant, Saint-Germain, malgré tout son mystère, avait une mine des plus respectable, et se montrait en société d'une obligeance parfaite. Ma grand-mère, aujourd'hui encore, est folle amoureuse de lui, et se met en colère quand on ne parle pas de lui avec assez de respect. Grand-mère savait que Saint-Germain pouvait disposer de fortes sommes. Elle résolut de s'adresser à lui. Elle lui écrivit un billet pour lui demander de venir la trouver sans attendre.
On jouait aux cartes chez le chevalier garde Naroumov. La longue nuit d'hiver passa sans qu'on s'en rendit compte ; le souper fut servi sur les cinq heures du matin. Ceux qui avaient gagné mangeaient de grand appétit ; les autres, distraits, restaient devant leurs assiettes vides. Mais le champagne parut, la conversation s'anima et tous y prirent part.
Elle était capricieuse, avaricieuse et enfermée dans un égoïsme froid, comme toutes les vieilles personnes qui ont passé l’âge d’aimer et à qui le présent est étranger.
Son visage trahit un violent mouvement de l’âme…
En effet, Lisaveta Ivanovna était une bien malheureuse créature ! Le pain de l’étranger est amer, dit le Dante, et les marches de l’escalier d’autrui sont pénibles à monter. Et qui pouvait mieux savoir l’amertume de la servitude, que la pauvre élève de la noble comtesse *** ? Certes, la comtesse n’avait pas l’ame méchante, mais elle était entière comme une femme gâtée par le monde, avare et absorbée par le plus froid égoïsme, comme toutes les vieilles gens qui au temps passé ont aimé et beaucoup, et qui sont étrangers au temps présent qu’ils ne comprennent plus. Elle prenait part à toutes les futilités du grand monde, se traînait à tous les bals et figurait là, toujours assise dans un coin, couverte d’une couche de rouge et habillée à l’antique. — C’était un monstrueux et indispensable ornement de toute salle de danse. — Chacun, en arrivant, par un reste d’usage, s’approchait d’elle et lui faisait un profond salut ; puis c’était fini pour la soirée, personne ne s’en occupait plus. Chez elle, elle recevait toute la ville, et cela avec la plus stricte étiquette ; mais c’était merveille, si elle reconnaissait quelqu’un et si elle n’embrouillait pas et les titres et les noms.
Son nombreux domestique engraissait, vieillissait, grisonnait dans ses antichambres, et ses femmes de chambre, ne faisant que leur volonté, la volaient à tour de rôle, et à qui mieux mieux. Il n’y avait que Lisaveta Ivanovna qui était le martyr né de la maison. Elle faisait le thé, et recevait force réprimandes et gronderies, parce que le sucre allait trop vite. Elle lisait à haute voix les romans, et se trouvait accusée et coupable de toutes les fautes de l’auteur. Elle accompagnait la comtesse dans ses promenades et était responsable de la rigueur du temps et de la dureté des pavés. Il lui était fixé des honoraires qu’on ne payait jamais en entier, et on exigeait d’elle qu’elle fût habillée de la façon la plus simple, c’est-à-dire la plus élégante. Dans le monde, elle jouait le plus triste rôle. Tous la connaissaient et personne ne daignait la remarquer. Au bal, elle ne dansait que s’il manquait un vis-à-vis, et les femmes ne lui parlaient et ne la prenaient amicalement sous le bras que s’il leur fallait aller dans la chambre de toilette pour arranger quelque chose à leur robe ou à leur coiffure. Certes, elle sentait bien sa triste position, la pauvre Lisaveta Ivanovna, et son amour-propre blessé attendait avec impatience un sauveur qui lui ferait prendre sa revanche ; mais les jeunes gens, calculateurs avant tout, avaient trop de froide vanité pour l’honorer de leur attention, et ils lui préféraient d’impertinentes et raides promise, mille fois moins jolies qu’elle. Aussi, que de chagrins, que de tortures ! et que de fois il lui arrivait de se glisser furtivement hors de l’ennuyeux et magnifique salon, et de s’en aller pleurer toutes ses larmes dans sa pauvre petite chambre, dont tout le mobilier ne consistait qu’en un misérable paravent de papier, une commode, un lit en bois peint, un petit miroir et une mauvaise chandelle qui brûlait d’une lumière triste et sombre dans un chandelier de cuivre.
« La comtesse était si vieille, que (…) l’on s’était accoutumé deuis longtemps à la regarder comme déjà hors de ce monde ».
« Cependant, tout chez elle était au pillage, comme si déjà la mort fût entrée dans sa maison ».
Tchekalinski commença à tailler; ses mains tremblaient. A droite, on vit sortir une dame; à gauche un as.
Lisavéta Ivanowna était le martyr d la maison. Elle servait le thé et recevait des reproches à propos des dépenses de sucre. A haute voix, elle lisait les romans, et on lui imputait toutes les erreurs de l’auteur. Elle accompagnait la comtesse dans ses promenades, et c’est elle qu’on rendait responsable du temps et des pavés. On lui avait fixé des appointements, dont elle ne touchait jamais la totalité. Néanmoins on exigeait d’elle qu’elle fût vêtue comme le sont toutes les autres personnes, c’est-à-dire comme une très petite élite. (…) Elle avait de l’amour-propre, ressentait vivement sa situation et, dans l’attente du libérateur, regardait autour d’elle avec impatience.