Véronique Poulain aura attendu d'être mère à son tour pour raconter son enfance et son adolescence entre deux parents sourds-muets. Son oncle Guy est sourd lui aussi.
Et elle développe, d'une plume alerte, drôle ou émouvante, rageuse parfois, le quotidien d'une famille a-normale. Où elle peut dire des horreurs sans se faire entendre, se faire oublier dans la maison ou sur un balcon et s'époumoner en vain, avoir peur, avoir honte, s'énerver, se moquer un peu, faire de mauvaises blagues et ne pas supporter les réactions des autres (ah la boulangère qui ne comprend pas qu'on lui demande une baguette ! Qu'est-ce tu veux qu'il demande, un steak?). Car les muets parlent. D'une voix écorchée, entre trop d'aigus et trop de graves, avec force mimiques, force gestes codés. Il n'y a paraît-il pas plus bruyant qu'une classe de sourds-muets (dixit mon ancienne pro de philo) !
On écoute et on imagine Véronique, ses moments de chagrin, ses rires, et surtout sa grande angoisse au moment de tester l'audition de ses deux bébés.
Un récit touchant, souvent drôle, et qui pose la question de la place faite aux handicapés dans notre pays, vraiment en retard malgré les progrès des technologies et la prise en compte d'une nouvelle langue, celle des signes. L'action d'
Emmanuelle Laborit (
Molière pour Les enfants du silence en 1993) date déjà, qu'y a-t-il eu de nouveau depuis pour intégrer au mieux les sourds et malentendants ? le télétexte n'est même pas prévu sur toutes les chaînes de télévision ! Et il faut être très matinal pour avoir droit au journal traduit en langue des signes.
Et sans parler des gens handicapés, il faudra bien un jour tenir compte d'une population vieillissante dont l'acuité auditive a chuté, mise en danger ou exclue de la communication, isolée de fait. Toutes les pub pour des prothèses n'y changeront rien.
Même si notre pays peut se flatter d'avoir vu naître l'abbé de l'Epée, premier créateur d'une langue des signes, il reste beaucoup à faire.