Il y a des livres exigeants, qui nécessitent une totale attention, qui te font parfois douter de là où ils veulent t'emmener, qui t'envoient même, fugacement, la tentation d'abandonner, mais qui ne se révèlent pleinement qu'à la fin de leur lecture, te procurant la satisfaction d'avoir lu un grand livre.
L'écho du temps de
Kevin Powers -traduit par
Carole d'Yvoire- est de ceux-là.
Que s'est-il passé en 1865 près de Richmond en Virginie, sur la plantation Beauvais, peu après la fin de la guerre de Sécession ? Un drame s'y est manifestement déroulé, épilogue d'un scénario qui couvait depuis longtemps ente les différents protagonistes : Levallois, le propriétaire arriviste et affairiste ; Reid l'ancien propriétaire, que l'on croyait mort à la guerre ; Emily sa fille désabusée ; sans oublier Rawls et Nurse les esclaves en passe d'être affranchis,
John Talbot le rescapé ou le colonel Fitzgerald nordiste vainqueur venu appliquer la nouvelle loi dans le Sud défait. Et parallèlement, Georges, qui des années plus tard tente de comprendre ce pan d'histoire dont il fut acteur malgré lui.
Vous l'aurez compris – et j'en omets volontairement – le nombre d'acteurs du drame est important et Powers s'attache à nous les décrire longuement un à un (y compris les personnages a priori secondaires), comme s'il souhaitait que l'on comprenne chacun. C'est lent, c'est émouvant, c'est souvent très beau. Des longs chapitres, peu de dialogues, une mise en place déstructurée des scènes, époques et points de vue, mais une remarquable maîtrise de la construction littéraire qui finit par faire sens au fil des pages.
Enfin, au-delà du drame, c'est une plongée originale dans une tranche d'histoire de quelques semaines, période charnière et violente où l'Amérique -en tout cas ses états du sud- a hésité, vacillé, presque perdu ses repères. Fin de la guerre, abolition de l'esclavage, développement à marche forcée des infrastructures routières et ferroviaires, montée en puissance des investisseurs-roi opportunistes… Cela fait beaucoup de bouleversements simultanés pour le vieux Sud traditionnaliste. Et 90 ans plus tard, tout a-t-il vraiment changé ?
L'écho du temps est un grand livre, certes exigeant. Mais n'est-ce pas le propre de la plupart des grands livres ?