Manon Lescaut

Excellent.

J'étais au lycée à cette époque, en classe de première à Meudon. Je venais d'arriver dans la salle voisine de celle de la bibliothèque, là où notre cours de français devait avoir lieu. C'était au dernier étage d'un petit bâtiment dont les fenêtres donnaient sur de la verdure. Pendant que je m'installais à une table, un des autres garçons de la classe m'a demandé si j'avais lu le livre que nous devions commencer à étudier. Oh oui, ai-je répondu avec un enthousiasme que je ne souhaitais pas excessif. J'ai adoré, je l'ai terminé en pleurant. Il m'a regardé avec un mélange de curiosité et d'étonnement, comme s'il avait devant lui quelqu'un d'un peu étrange, et a dit avec un zeste presque imperceptible de lenteur : " Tu as pleuré ? " Oui, j'avais commencé Manon Lescaut sans envie particulière, comme on commence une lecture scolaire,

L'Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, le titre original, est un chef d'oeuvre rocambolesque qui sonne vrai, et c'est aussi une ode à la liberté de conscience.

Rocambolesque car les évènements plus invraisemblables les uns que les autres s'enchaînent à une vitesse incroyable qui rappelle l'unicité de temps qui caractérise le théâtre. C'est d'abord l'histoire d'une descente aux Enfers de deux jeunes gens bien éduqués et ayant de bonnes dispositions naturelles.

Entre eux deux, c'est le coup de foudre. Alors que Manon se rendait dans un couvent, de Grieux décide de partir avec elle car il trouve avec raison, qu'un tel destin serait gâché une telle beauté. de Grieux, par sa naissance, ne pourrait épouser Manon car son père n'y consentirait pas. Elle-même est destinée à devenir une soeur car elle a manifesté une certaine inclination aux plaisirs.

L'abbé Prévost fait ressorti à dessein ou non, toute l'injustice qui règne au début du 18ème siècle. Il est d'ailleurs étonnant de constater que les hommes étaient infantilisés à l'époque, même s'ils le sont dans une moindre mesure que les femmes. Aussi, s'ils se sont détournés tous deux de la voie tracée pour eux, ils apparaissent néanmoins sympathiques.

Le père de de Grieux retient son fils six mois suite à sa vie dissolue (à noter qu'il a été déononcé par Manon). M. G… M…, un personnage haut placé, les fait enfermer sans jugement lorsque les deux amants parviennent à l'escroquer ; de Grieux est enfermé à St-Lazare et Manon à l'Hôpital. Suite à une nouvelle mésaventure, avec le fils de M. G… M…. cette fois, de Grieux sera emprisonné au Châtelet et Manon envoyée dans les colonies, à la Nouvelle-Orléans avec une cargaison de catins sur la décision du Lieutenant de Police. Une fois débarqués du Mississippi, le Gouverneur de cette province est presque tout-puissant ; il décide de la répartition des femmes afin de réaliser les mariages en fonction de sa connaissance de la qualité de chacun.

Mais ils n'ont manifestement pas la même conception de l'amour. Alors que de Grieux y voit un attachement vertueux assez classique, Manon veut faire du « greluchonnage », c'est-à-dire qu'elle soit avoir des amants qui l'entretiennent et conserver de Grieux comme amant de coeur. C'est ce qu'on découvre au fur et à mesure que la belle s'échappe avec ces personnes libérales que sont successivement M. de B., le vieux G.. M.., puis son fils. le propre frère de Manon marche de la combine, car il considère « qu'une fois violée les lois de son sexe », une femme appartient au genre humain.

Cet amour hors de la vie réglée conduit de Grieux à commettre d'autres forfaitures ; il devient un tricheur aux cartes, un meurtrier, un ami à la fois menteur et manipulateur, un fils ingrat (il espère la mort de son père afin de pouvoir hériter pour pouvoir entretenir sa maîtresse) et un escroc. Car Manon ne supporte pas la privation et de Grieux apprend à « Aimer l'argent sans être avare ». Davantage que cette dégradation morale, c'est sa faiblesse pour son amour qui choque davantage. le vers de Corneille « L'amour a ses raisons que la raison ignore » n'a jamais trouvé plus bel exemple. Une telle faiblesse est coupable et on ressent une gêne qui fait grincer des dents à le voir acquiescer aux arguments de Manon qui sont si contraires à ses principes initiaux.

Et pourtant, grâce à ce don de soi, à cet oubli de son propre intérêt, après s'être débarrassé de tout ce qu'il avait famille, amis, héritages et positions, le chevalier de Grieux finit par convertir Manon, dont le sacrifice de de Grieux apparaît telle une illumination. Cette conversion à l'amour vertueux, se triple d'une conversion à la vertu et à la volonté de se marier devant Dieu. Ainsi ce que les conseils de la famille et des amis n'avaient pu faire, le libre arbitre et l'esprit quasi-saint de de Grieux l'ont fait. Il suffisait aux deux amants de pouvoir s'aimer librement pour que les choses se passent bien.

Comme toujours les deux amants oscillent entre l'Enfer et le paradis, et lorsque le gouverneur apprend que Manon n'est pas mariée, il décide de la promettre à son neveu. Dans un duel, le chevalier de Grieux le laisse pour mort et s'enfuit avec Manon, dans l'espoir de rejoindre une colonie britannique à travers les déserts sauvages de l'Amérique.

Il était écrit que ce serait un drame, mais un drame raté. Et dans une fin qui rappelle légèrement la fin de Roméo et Juliette, Manon, qui s'avère être une fleur bien fragile, meure après avoir marché deux lieues seulement. de Grieux est retrouvé moribond sur la sépulture qu'il a creusée pour elle. le neveu du gouverneur également retrouvé est à peine blessé. de Grieux apprend, trop tard, qu'il avait renoncé à épouser Manon suite à ce duel et donc que cette mort était inutile.

Ces rebondissements sont tellement incroyables et ces scènes entre amants sont si peu communes, que beaucoup d'écrivains et d'érudits se sont dits qu'une telle histoire et de telles situations ne pouvaient être inventées. Seule la réalité peut dépasser la fiction, dit-on. Beaucoup se sont essayés à rechercher les contemporains de l ‘auteur derrière les personnages, ou des explications autobiographiques. L'abbé Prévost signe une superbe oeuvre grâce à un style épuré et délicat. A lire et à relire.

best-seller de l'époque qui fit couler beaucoup d'encre...........