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Critique de Lucilou


Quand les éditions Gallmeister délaissent les rivages de l'Amérique pour les paysages de l'Italie, elles se trompent rarement et les histoires qu'elles nous offrent ne nous font pas regretter une seconde le changement de cap, de langue et de continent! J'avais ainsi été éblouie par "Un jour viendra" de Giulia Caminito et je sors presque transie et hébétée de "Lîle des âmes" qui me fait l'effet de constituer un petit (mais sanglant!) miracle, comme si "True Detective" (saison 1) avait rencontré Fred Vargas et le commissaire Adamsberg.
"L'île des âmes" est un roman dense, nerveux, tellurique et dont l'intrigue vertigineuse répand une odeur de soufre et de mystère comme je les aime, convoquant au passage les fantômes et les échecs du passé autant que d'ancestrales croyances aux contours flous et passablement inquiétants. Un délice quasi-horrifique, une enquête sous tension trempée de mysticisme, teintée de mort et de folie. le genre de roman qu'on peine à lâcher et qui vous fait apprécier le confort moelleux et presque sans surprise du quotidien!
La plume de Piergiorgio Pulixi convoque pour nous la Sardaigne et plus particulièrement la Barbagia, région reculée et montagneuse de l'île. On y retrouve un jour, sur les ruines d'un lieu de culte paléolithique, le corps supplicié d'une jeune fille dont on a tranché la gorge, qu'on a mise à genoux et recouverte d'une peau de mouton. Elle porte un masque, étrange et imposant, figure zoomorphe sculptée dans le bois. Ce meurtre glaçant aux forts accents rituels réveille pour les hommes chargés de l'enquête les fantômes d'affaires d'autrefois. Autres temps, autres jeunes filles mais même mode opératoire, même absence d'identification des victimes... Il y eut même un inspecteur pour y perdre la raison, un homme presque mort de ne pas avoir su, de ne pas avoir pu.
La découverte du corps maque le point de départ d'une intrigue en forme de chute libre et de catabase où la folie et le sang mettent à mal la lucidité et les certitudes de policiers aguerris qui s'écorchent et s'égratignent sur les épines de cette histoire, éthnopolar virtuose, habité, possédé même, aux accents déchirants et quasi surnaturels.
Pulixi a su doser à merveille les différentes constituantes de son récit: ambiance mythologique très solidement documentée en ce qui concerne le culte nuragique de la Déesse-Mère et ses rituels; inquiétante étrangeté de certains personnages dont il dit trop peu pour dire beaucoup; description sensuelle et vibrante de la Sardaigne, de ses odeurs, de ses couleurs, présentation et construction de personnages complexes et bien campés avec une mention spéciale pour le duo d'enquêtrices aussi tourmentées qu'attachantes... Par ailleurs, il a soigné la construction de son texte: rythme implacable et saccadé jusqu'à la suffocation, alternance de passages d'une poésie qui frôle le sublime, le lyrisme et d'autres beaucoup plus crus, montée progressive de la tension jusqu'à l'éclatement final en mode crescendo et coeur battant. Sang qui cogne et frénésie épileptique.
Et cette intrigue complexe, fouillée qui voit plus loin que le simple thriller, qui se dévoile progressivement et de plus en plus intensément, ce final lourd et oppressant, cette rudesse qui bouscule et qui blesse, qui interroge l'âme humaine et toute la noirceur dont elle est capable...!
Singulière et envoutante île des âmes! J'espère y retrouver un jour Croce et Rais... et cette atmosphère si particulière.


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