Monsieur, vous vivez dans la ruine et le silence. On vous envie cette sauvagerie. On vous envie ces forêts vertes qui vous surplombent.
Chapitre IV.
Vous pourrez aider à danser les gens qui dansent. Vous pourrez accompagner les acteurs qui chantent sur la scène. Vous gagnerez votre vie. Vous vivrez entouré de musique mais vous ne serez pas musicien.
Avez-vous un coeur pour sentir? Avez-vous un cerveau pour penser? Avez-vous idée de ce à quoi peuvent servir les sons quand il ne s'agit plus de danser ni de réjouir les oreilles du roi?
Cependant votre voix brisée m'a ému. Je vous garde pour votre douleur, non pour votre art.
« Monsieur, il y a longtemps que je souhaite vous poser une question.
— Oui.
— Pourquoi ne publiez-vous pas les airs que vous jouez ?
— Oh ! mes enfants, je ne compose pas ! Je n'ai jamais rien écrit. Ce sont des offrandes d'eau, des lentilles d'eau, de l'armoise, des petites chenilles vivantes que j'invente parfois en me souvenant d'un nom et des plaisirs.
— Mais où est la musique dans vos lentilles et vos chenilles ?
— Quand je tire mon archet, c'est un petit morceau de mon cœur vivant que je déchire. Ce que je fais, ce n'est que la discipline d'une vie où aucun jour n'est férié. J'accomplis mon destin. »
Chapitre XIV.
La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens, elle n'est pas tout à fait humaine.
tous les matins du monde sont sans retour
Tous les matins du monde sont sans retour. Les années étaient passées. Monsieur de Sainte-Colombe, à son lever, caressait de la main la toile de Monsieur Baugin et passait sa chemise. Il allait épousseter sa cabane. C'était un vieil homme.
Chapitre XXVI.
quand je tire mon archet, c'est un petit morceau de mon coeur vivant que je déchire. Ce que je fais, ce n'est que la discipline d'une vie où aucun jour n'est férié. J'accomplis mon destin.
Monsieur Marais approcha la chandelle du livre de musique. Ils regardèrent, refermèrent le livre, s'assirent, s'accordèrent. Monsieur de Sainte-Colombe compta la mesure vide et ils posèrent leurs doigts. C'est ainsi qu'ils jouèrent les Pleurs. A l'instant où le chant des deux violes monte, ils se regardèrent. Ils pleuraient. La lumière qui pénétrait dans la cabane par la lucarne qui y était percée était devenue jaune. Tandis que leurs larmes lentement coulaient sur leur nez, sur leurs joues, sur leurs lèvres, ils s'adressèrent en même temps un sourire. Ce n'est qu'à l'aube que Monsieur Marais s'en retourna à Versailles.
La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler.
Vos larmes sont douces et me touchent. Je vous abandonne parce que je ne songe plus à vos seins dans mes rêves. J'ai vu d'autres visages. Nos cœurs sont des affamés. Notre esprit ne connaît pas le repos. La vie est belle à proportion qu'elle est féroce, comme nos proies.
Chapitre XVIII.