Heart No Kuni No Alice
Traduction :
Fédoua Lamodière
Adaptation graphique : Ki-oon
ISBN ; 97823555921551
Avant toute chose, sachez que cette série, qui comprend six volumes, connut en France un succès des plus honorables. Pas seulement en France d'ailleurs, ce qui donna sans doute aux éditeurs l'idée regrettable d'imaginer une "Alice Au Royaume de Trèfle" avant de terminer (on l'espère) par "Alice au Royaume du Joker." Tous les sites consacrés aux mangas vous le diront et vous le répéteront : ces deux dernières séries, qui ne sont d'ailleurs pas dessinées par la même mangaka, ne valent vraiment pas le détour : ce sont des "sequels" dans lesquels des personnages-clefs de la série initiale, comme l'inoubliable Chapelier, ne sont plus que des silhouettes ou presque même si l'on m'a dit que le Chapelier reconquérait sa place auprès d'Alice à la fin de la série "Joker."
A mille lieues au-dessus se situe "Alice Au Royaume de Coeur", qui combine le roman de
Lewis Carroll avec diverses intrigues issues de l'imagination des créateurs japonais. le début est le même, bien entendu, à savoir que la jeune Alice dort et rêve dans son jardin, que sa soeur la réveille, lui propose de lire un livre, puis de jouer aux cartes et que, alors que l'aînée s'éloigne vers la maison pour chercher un jeu de cartes, Alice se rendort sans en avoir réellement conscience ...
Jusqu'à ce que jaillisse des fourrés le fameux Lapin Blanc, avec sa jaquette, ses gants et une montre de gousset de taille impressionnante.
Seulement, à ce moment-là, nous basculons à pieds joints dans le manga car le Lapin adopte presque tout de suite l'apparence d'un jeune homme à lunettes, doté de deux longues oreilles de lapin, et qui, Alice l'apprendra plus tard, se nomme Peter White et occupe, au Royaume de Coeur, le poste de Premier ministre de la Reine. Pour épicer un peu les choses, White s'affirme amoureux fou d'Alice et l'entraîne avec lui dans son terrier où, après la descente rituelle, tous deux atterrissent au Royaume de Coeur. Peter veut à tout prix que la jeune fille absorbe le contenu d'une petite fiole et, comme elle s'y refuse avec indignation et méfiance, il la lui fait ingurgiter de force d'une manière que je vous laisse découvrir.
Nous sommes dans un manga "shojo" et la séduction, voire l'érotisme plus ou moins discret sont de rigueur. le destin d'Alice, qui a tant rêvé de ce monde, selon, en tout cas, les dires de Peter, est d'y être aimée par la plupart des hommes qu'elle rencontre - et même par la Reine de Coeur, laquelle répond au joli nom de Vivaldi. le lecteur comprend au passage qu'Alice a été abandonnée par un homme qu'elle aimait (mais qui l'ignorait peut-être) au profit d'une autre qui, en apparaissant un moment en silhouette, nous fait penser immanquablement à la soeur de la jeune fille.
Dans ce premier volume, le lecteur reconnaît sans effort, parmi les jeunes gens, outre le Lapin Blanc personnifié par Peter White, le Lièvre de Mars qui porte ici le nom d'Elliott March et qui occupe sans complexe le poste de second du chef de la pègre locale, le très redouté Chapelier Fou, lequel ressemble trait pour trait ou presque à l'ancien "petit ami" d'Alice. Dès lors, on comprend mieux la fascination que le Chapelier, beau garçon à la façon manga, commence très tôt à exercer sur elle. le manoir du Chapelier est gardé, en principe, par deux garçonnets qui, de leur côté, proviennent en fait d'"Alice Derrière le Miroir" : Tweedledum & Tweedledee, abrégés en "Dum" et "Dee."
Le célèbre Chat du Chester est un membre du Parc d'Attraction appartenant à un personnage "ajouté" par les créateurs, Goround, un farfelu obsédé par la gâchette mais dans le fond assez sympathique, en guerre quasi perpétuelle avec le Chapelier, celui-ci ayant eu la malice de révéler à tout le Royaume son prénom : "Mary." le Chat lui-même est un jeune homme fort attirant bien qu'un peu "punk", nommé Boris.
Autre "acteur" connu - dans le Royaume de Coeur version manga, la population se sépare en "acteurs" (les personnages principaux) et en figurants (domestiques, militaires, etc ...) qui, bien que pouvant parler et agir, possèdent des visages sans traits définis - Ace, le Chevalier (ou bien l'As de coeur, j'avoue ne pas avoir réussi à démêler la chose), dont la caractéristique essentielle est de s'égarer toujours et partout, jusque dans les couloirs du château de la Reine. Charmant et aimable, il "travaille" avec, là encore, un personnage inventé pour les circonstances, Julius l'Horloger, un véritable bourreau de travail, qui traite toutes les montres du pays (chacun, en effet, acteur ou silhouette, possède une montre qui paraît lié à la vie du personnage, comme si cette montre était un coeur).
C'est chez Julius le Misanthrope, dans la Tour de l'Horloge, au beau milieu du royaume et en zone neutre (les autres zones possédant des "chefs" toujours en conflit) qu'Alice finit par s'installer. Bien que bourru et toujours le nez dans ses montres, Julius ne l'inquiète pas - au contraire de White, qu'elle prend pour un déséquilibré absolu, et du Chapelier, lequel lui remémore sans doute trop de souvenirs.
Dans ce premier volume, Alice, qui, à la différence de sa soeur, n'a pas lu le roman de Carroll, avance un peu à l'aveuglette, estimant souvent à par elle que, en ce lieu étrange, c'est un peu à qui paraîtra comme le plus original. Elle prend souvent le thé, notamment avec Vivaldi, la Reine de Coeur, infiniment plus jolie et plus raisonnable que l'abominable mégère aux pulsions aussi tyranniques que meurtrières imaginée par Carroll, puis avec le Chapelier. (Fait à remarquer, Julius, lui, ne prend que du café.) Alice observe également que, dans ce Royaume bizarre, le temps ne s'écoule pas comme il le devrait : on passe ainsi du matin à la nuit complète sans aucun crépuscule.
Enfin, elle constate qu'un certain mystère plane sur les activités de tous (y compris Julius) et que tous ces jeunes gens sont bien prompts à vouloir tirer sur celui ou celle qu'ils tiennent pour leur ennemi, souvent pour une raison futile. Goround, quant à lui, ne semble pas posséder de pistolet mais, comme le violon dont il tire d'ailleurs des sons qui font fuir tout le monde se transforme, quand il le désire, en une arme meurtrière, il se montre sans problème tout aussi bon que les autres à ce petit jeu - car il semble bien que, pour tous, cela tienne du jeu.
J'oubliais de vous signaler la présence de Nightmare, autre personnage imaginé par les Japonais, et qui se définit comme le Maître des Rêves. C'est lui également qui commande aux curieuses petites fioles comme celle dont White a voulu qu'Alice avalât le contenu. Dans le prologue, il est clair que, pour obtenir qu'Alice soit introduite dans la "partie", White a d'ailleurs dû recourir à la complicité de Nightmare.
Tome d'exposition, ce premier volume met très habilement en place et les personnages et l'ambiance vraiment particulière dans laquelle ils évoluent pour beaucoup avec grâce, naturel et nonchalance. Cela n'empêche pas l'action d'avancer, vaille que vaille, et le lecteur de clopiner à la suite d'Alice, à la découverte de ce Royaume de Coeur qui diffère sensiblement de celui de
Lewis Carroll. La "chute" est à la fois inquiétante et étonnante et c'est avec impatience qu'on ouvre le second volume, sur lequel nous reviendrons prochainement. ;o)