Les livres c'est comme les chats, on habite chez eux pas l'inverse.
Regarde ses commandes hors office: de romans hongrois, italiens...les polar suédois, elle admettait...les français qu'elle prenait par dix, tous elle essayait de les refiler aux petites dames qui venait demander un roman avec du cul dedans, tu sais le gris nuancé, les bâtards du sexe, mais tintin, elle en voulaient pas de Claudel, de Martinez, Chalandon, Garat, du coup elle achetaient rien...Tu les connais toi, ces écrivains?
Oui.
Abdel connaît, ils sont remarquables, des auteurs importants, qui prennent le monde dans le filet des mots, c'est son métier n'est pas, de peser les destins littéraires. Il essai de convaincre son petit peuple d'élèves de les lire. Sans beaucoup de succès non plus. C'est vrai. La culture n'est même plus un lieu d'affrontement social ou ethnique. Chacun chez soi, à sa place vide. Et Zita termine son petit cours rapide: les livraisons, il faut le payer tout de suite mais si on renvoie, le remboursement est à 90 jours! A condition de retourner les colis avant un an. et Yvonne ne daignait même pas s'occuper des retours. Alors à force de mépriser ce qui se vend, on vend même plus ce qu'on aime, voilà ce qu'elle pense Zita !
Logiquement les morts n'ont plus de place à eux, ils sont expulsés de la communauté et sont parqués dans des cimetières, c'est une villégiature, on peut y deviser avec eux, qu'ils soient visibles ou non. Il faut juste savoir leur patronyme.
Parfois il pense que le vieil homme n'est pas dupe de lui-même, qu'il accentue ses étrangetés pour se protéger, masquer sa différence culturelle et ses trouilles d'immigré vulnérable par la comédie d'un doux handicap profond. Qu'on lui foute la paix.
Ainsi,suivant les étagères comme on s'abandonne au cours d'un fleuve,au fil d'un chemin,Abdel explore la surface de sa vie et le détail d'une géographie dont les continents sont demeurés immuables,sans dérive aucune:jeunesse,policiers,sciences humaines,littérature française,étrangère...
Et qui achèterait une librairie quand un géant de le vente de livres en ligne s'installe dans la ville?
Il parlait de la sorte,Georges,disait que les guerres sont finies et que les ivres sont des amis communs à tous les hommes,des lieux où faire la paix.
Juste au creux de l'artère,de l'intérieur du magasin qu'on peut dépasser d'un seul pas allongé comme pour sauter un ruisseau,on n'a d'horizon qu’un haut mur aveugle de pierre noircie et de brique sale
Des romans qui racontent ces liaisons étouffées par les convenances de classe sociale, l'argent et les préjugés de tous ordres, qui font scandale et mènent à la perte, des histoires de tragique amoureux, Abdel pourrait en citer des pages , ne serait-ce que celle de Julien Sorel, même cette bécasse de Bovary, et justement, Yvonne de Galais avec Meaulnes, ah merde, Yvonne entichée d'un terroriste peut-être repenti au point de s'équiper en dessous coquins et de conserver cette panoplie comme un morceau de la vraie croix après rupture du Don Juan, qui l'eût cru?
Yvonne a également hérité de l'officieux fonds social de son père qui partageait ses enthousiasmes de lecture avec les clients pour combattre l'analphabétisme, l'illettrisme, enchanter le monde et faciliter l'intégration des polacks, espingouins, portos, macaronis, niakoués, bicots et bougnoules, Oui monsieur faut pas avoir peur des mots, les gros faut les convoquer, les regarder en face et leur faire honte en public.