Celui ou celle qui croit venir d'un autre temps n'a presque jamais été esclave ou scolopendre, mais marquise, chevalier ou grand prêtre d'Osiris. Le passé, proche ou lointain, n'est qu'une succession d'images fantasques et fardées, un tissu de légendes, des reconstitutions qui omettent l'essentiel : une certaine permanence de la dureté, la force accablante du présent, la laideur, la futilité, toutes sortes de misères.
J'ai souvent pensé aux hommes et aux femmes qui ont vécu dans ces étages, qui ont ouvert mes fenêtres, qui ont dormi dans notre chambre. Combien d'abandons, de rires, de cris, de déchirures, de fêtes ? Combien de comédies et de drames dont la pierre garde le souvenir? L'âme de la maison se cache dans ses murs, entre les tuyaux du chauffage et les réseaux de fils électriques.
L'idiot possédait un savoir inutile, dont il se contentait, ce qui pourrait définir la sagesse que je cherche, moi, exilé dans le temps, avec ce nouveau destin qui m'incommode.
La nuit n'efface rien. Les ennuis du jour s'amplifient dans le silence et dans l'obscurité. La nuit avive les piqûres de moustique, les démangeaisons et les angoisses.
... par le soupirail sortent des odeurs chaudes de confitures ; je respire une bouffée de framboise quand j'aperçois, venant de la boulangerie au coin de la rue Lord-Byron, un garçon en culottes courtes de jersey gris, avec une frange à la Marlon Brando sur le front, un museau de fouine, renfrogné ou égaré dans ses imaginations. Aucun doute : c'est bien moi et cela me pétrifie.
Si j'ai porté Marianne, la même et une autre, réelle mais inachevée, il n'y a aucune raison pour qu'un jour je ne tombe pas nez à nez avec le gosse que j'étais.
La nuit avive les piqûres de moustique, les démangeaisons et les angoisses.
Je ne la gronde pas de son intrusion : dans les chambres de bonnes des années 50, sans doute vit-on dans la familiarité de ses proches voisins, ...les facilités de la vie quotidienne dressent de fortes cloisons entre les gens