Indonésie : la reinvention d'un archipel

L'ouvrage de François Raillon inaugure une nouvelle collection de la Documentation française. Intitulée "Asie plurielle", elle propose aux non-spécialistes, sous forme de monographies, une première approche d'un pays. le projet n'est pas ambitieux et risque de décevoir le lecteur initié qui attendait des informations plus substantielles sur le pays musulman le plus peuplé au monde, engagé au lendemain de la démission du président Suharto, dans un difficile processus de transition démocratique.

Le projet de l'auteur est à la fois plus modeste et plus ambitieux. Il cherche dans ce court ouvrage (200 pages), au-delà des récents événements politiques, à souligner les continuités socio-culturelles qui caractérisent l'Indonésie : l'insularité d'un archipel morcelé en plus de 17 000 îles, la fragmentation ethnique d'une population dépassant les 200 millions d'habitants et parcourue de mouvements centrifuges (Timor Oriental, Irian Jaya, Aceh ...), l'unification nationale en retour, portée par la prééminence javanaise (60 % de la population sur 6 % du territoire) et cimentée par l'imposition du Bahasa Indonesia comme langue nationale, l'omniprésence de l'Islam enfin, dont témoigne la résurgence d'associations religieuses modernistes (la Muhammadiyah de Amien Rais) ou traditionalistes (le Nahdlatul Ulama de Gus Dur).

Mais ces invariants culturels n'ont pour François Raillon d'intérêt qu'en tant qu'ils permettent d'éclairer les enjeux contemporains. Il démontre par exemple que la corruption et le népotisme auxquels le FMI a tôt fait d'imputer l'origine des maux que connaît l'archipel depuis 1997, plongent leur racine dans un paternalisme, un « familialisme » pour reprendre la riche expression de Romain Bertrand, propre à la société indonésienne. C'est sous le choc de la mondialisation que la « pauvreté partagée » est devenue une « richesse partagée » alors même que les structures économiques (par exemple les banques qui pullulent à Jakarta dans les années 80 en menant une politique téméraire) n'ont pas suivi le mouvement. On comprend mieux dès lors pourquoi Suharto contre toute logique a refusé fin 1997 le démantèlement des cartels que dirigeaient ses proches ou ses enfants : céder au diktat du FMI revenait à sacrifier l'un des piliers de la société indonésienne.

A la fin de son ouvrage, François Raillon souligne le dilemme auquel l'Indonésie est aujourd'hui confrontée : l'ouverture sur le monde qui sape les fondements de la culture indonésienne et de la religion ou le repli culturel ? Les récents événements invitent à l'optimisme : après les élections générales de juin 1999 et le référendum est-timorais, les Indonésiens ont opté pour la Reformasi.