AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

3.88/5 (sur 76 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Romain Bertrand, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), spécialiste de l’Indonésie moderne et contemporaine, il a consacré de nombreux travaux à la question des dominations coloniales européennes en Asie du Sud-Est. Il est notamment l'auteur de "État colonial, noblesse et nationalisme à Java : la Tradition parfaite" (2005), "Mémoires d'empire. La controverse autour du « fait colonial »" (2006) et "L’Histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle)" paru aux éditions du Seuil en 2011, livre pour lequel il reçoit, en octobre 2012, le Grand prix du festival des rendez-vous de l’histoire de Blois.

Ajouter des informations
Bibliographie de Romain Bertrand   (13)Voir plus

étiquettes
Videos et interviews (18) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de

Romain Bertrand - Les grandes déconvenues : la Renaissance, Sumatra, les frères Parmentier

Podcasts (1)


Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
L’épopée des Indes, c’est cela : l’idée que durant près d’un siècle, toutes les navigations sont pensées et accomplies dans un seul et même but – rallier l’Inde, puis, surtout, l’empire du Grand Khan, dont Marco Polo a vanté les merveilles.
Et pour prouver la continuité de cette ambition, les chroniqueurs lisboètes transforment l’un des fils du roi Jean Ier de Portugal, l’infant Henri, en un personnage truculent : « Henri le Navigateur ». Mais « Henri le Navigateur » n’a jamais vraiment navigué. Tout au plus a-t-il traversé le détroit de Gibraltar puis financé, une fois devenu gouverneur de l’Algarve, certaines expéditions sur la côte ouest de l’Afrique. Et ce non pas pour remplir les blancs des portulans, mais simplement parce qu’il avait obtenu du pape le droit d’en tirer bénéfice. Son frère Pierre, lui, a voyagé loin – mais pas en direction de l’Asie : jusqu’au Danube, en passant par l’Angleterre.
Alors oui, ce sont peut-être les deux infants qui ont persuadé leur père de la nécessité de la conquête sabre au clair de l’enclave de Ceuta, sur les côtes marocaines. Mais il n’en allait de rien d’autre, semble-t-il, que de leur soif de titres. Ce que jeunesse veut…
Car pour les chroniqueurs de l’expansion portugaise, tout commence par la prise de Ceuta, en 1415, et tout s’achève avec l’arrivée de Vasco de Gama à Calicut, en 1498. Madère en 1419, les Açores en 1427, le cap Bojador, au sud du Sahara, en 1434, le Sénégal en 1441, la Guinée en 1450 : une progression par sauts de puce, en bordure de l’Atlantique Nord, à la lisière de ce que l’on appelle encore la « mer des Ténèbres ». Les caravelles ondoient le long des côtes, se faufilent dans les estuaires. Un peu d’or, beaucoup d’ivoire – des esclaves, déjà.
Pourtant, cette idée d’un grand plan, d’un dessein univoque obstinément poursuivi quatre-vingts ans durant, cette idée ne tient pas. La prise de Ceuta et des places fortes côtières du Maroc n’est en aucune façon la « phase 1 » d’un projet de conquête de l’Asie.
Quand on va voir les sources de près, comme les historiens l’ont fait, la prise de Ceuta n’est qu’un épisode parmi d’autres dans la rivalité séculaire entre la couronne portugaise et les pouvoirs musulmans nasride et mérinide. Il y est bien question du contrôle du détroit de Gibraltar, mais parce qu’il commande le négoce maritime entre la Méditerranée et la façade atlantique de l’Europe : pas parce qu’il ouvre sur le Grand océan qui conduit en Asie.
La conquête de Ceuta, d’ailleurs, c’est un surprenant point de départ, quelque chose comme l’Iliade à l’envers : la grande bataille qui décide de tout, mais placée en début de récit. Achille qui tue Memnon en lever de rideau – presque une bévue de scénariste.
Puis, c’est un carnage, pas une guerre en dentelles. Un mercenaire français, Antoine de La Sale, raconte qu’une fois les portes de la ville enfoncées, les soldats portugais combatirent dans les faubourgs « jusqu’au coucher du soleil, sans pièce de harnais désarmer ». Gomez Eanes de Zurara – le chroniqueur officiel de la cour – écrit encore qu’au terme de la bataille, les rues étaient jonchées de cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants, et que Jean Ier les fit tous jeter à la mer. Il faut beaucoup d’imagination – et pas mal d’indécence – pour y voir le prologue glorieux d’une odyssée planétaire.
Et si la morale peinait à se faire entendre, comme il lui arrive souvent, il suffirait de donner la parole au portefeuille pour prendre la mesure du désastre. La prise de Ceuta coûte à la couronne la bagatelle de 280 000 dobras, soit une fois et demie le revenu annuel du royaume ! Même en admettant que les nobliaux aient de temps à autre besoin de tirer l’épée, ça fait quand même très cher la tuerie.
Commenter  J’apprécie          20
Après le scandale suscité par le calendrier fautif, il s’agit d’avoir un calendrier exact, qui garantisse aux souverains mandchous la légitimité accordée en Chine à une dynastie investie du « mandat céleste ». Ce souci, autant que la curiosité, pousse l’empereur à étudier les sciences occidentales – ce qu’il entreprend peu après s’être enfin affranchi de la régence. Verbiest les lui enseigne. Par son entremise, « toutes les sciences mathématiques présentent à l’empereur un spécimen de leur talent ». Ces spécimens sont souvent des dispositifs techniques, dont certains jouent un rôle essentiel dans l’assise durable du pouvoir mandchou en Chine. Ainsi, de nouveaux instruments astronomiques sont fabriqués sur le modèle de ceux du célèbre astronome Tycho Brahe (1546-1601) pour l’Observatoire impérial, où ils se trouvent encore aujourd’hui. Outre sa place dans la fonction publique, le jésuite demeure professeur et ingénieur de cour jusqu’à sa mort, en 1688.
Commenter  J’apprécie          30
Plus personne, des décennies durant, ne se risqua à la traversée du détroit qui porte son nom - trop longue, trop dangereuse.
Pire encore : la réalité même de son exploit commence très vite à s'estomper. Dans La Araucana - poème martial en trente-sept chants composés dans les années 1560 - le conquistador Alonso de Ercilla, grand massacreur de Patagons, se fait gloire d'avoir été le premier, en 1558, à découvrir le détroit de la mer du sud "avec seulement dix compagnons, dans une petite barque allégée de son ballast".
A la fin du XVIe siècle, certains, en Espagne et aux Amériques, en viennent même à douter de l'existence de ce fameux passage. Dans son Histoire naturelle et morale des Indes, publiée à Séville en 1590, le jésuite José de Acosta écrit : " Le détroit que Magellan trouva dans la mer du sud, certains pensaient qu'il n'existait pas, ou bien qu'il s'était refermé."
A quoi bon, en somme, avoir fait le tour de tout ça?
Peut-être pour que les écrivains aient quelque chose à dire lorsque viennent les temps mauvais où chaque mot compte, où, dans les termes de Bertold Brecht, "parler des arbres est presque un crime, puisque c'est faire silence sur de tant de forfaits".
De 1935 à 1938, Stefan Zweig travaille à une biographie de Magellan. C'est à sa jeune compagne, Lotte, qu'il confie la tâche de rassembler sur l'homme et son voyage une vaste documentation - laquelle puise d'ailleurs aux meilleurs sources universitaires de l'époque.
Le Magellan de Zweig est un héros sans failles ni faiblesses, l'archétype de l'homme qui abat un à un les obstacles qui se dressent entre lui et on rêve. Mais il est surtout une certaine idée de l'Europe, en laquelle le romancier s'efforce de croire encore, et ce alors même que la nuit monte en lui.
La vraie mort de Magellan - c'est-à-dire la mort de l'idéal qu'on lui fait endosser comme une vêtement trop grand pour lui, la fin du rêve complaisant d'une Europe toute de courage et de curiosité -, la vraie mort de Magellan a donc lieu le 22 février 1942, à Petropolis, à 65 kilomètre de la ville de Rio de Janeiro, lorsque Stefan Zweig et Lotte Altman se suicident.
Car les héros sont comme les fées et les divinités des contes pour enfants : ils ne meurent vraiment que lorsqu'on ne croit plus en eux.
C'est douloureux, ça ne se fait pas sans un pincement au cœur, mais ça s'appelle grandir.
Commenter  J’apprécie          20
C’est l’alarme à Lisbonne. Pour tenter d’empêcher Magellan de se lier irrémédiablement à la couronne espagnole, Manuel Ier ne recule devant rien : flatteries, promesses de pardon et de richesses, menaces. Il recourt pour ses basses besognes aux services de son agent commercial à Séville, Sebastiáo Álvares.
À la mi-juillet 1519, Álvares se rend chez Magellan, qu’il trouve occupé à « remplir des coffres et des ballots de bouteilles, de conserves et d’autres choses », preuve de l’imminence de son départ. Sur la demande expresse de son souverain, Álvares manie la carotte et le bâton. Il assure Magellan que son retour au Portugal lui vaudra faveurs et louanges, tandis que seuls le déshonneur et l’infamie l’attendent s’il persiste dans ses intentions : « Et je lui dis qu’il était certain qu’il serait tenu pour traître pour avoir été à l’encontre des États de Votre Majesté. »
« Traître », tredor : le mot terrible, le mot sans retour est prononcé. Mais Magellan, tout à ses bagages, l’écoute d’une oreille distraite – et campe sur ses positions.
L’ire de Manuel Ier à l’encontre de son sujet félon est telle qu’il envisage d’en venir aux dernières extrémités. Le chroniqueur des Indes Antonio de Herrera nous apprend ainsi que « lorsque la nuit surprenait [Magellan et Faleiro] dans la maison de l’évêque de Burgos [le président du Conseil des Indes], ce dernier demandait à ses serviteurs de les raccompagner chez eux ». Les rues ne sont pas sûres : on craint le guet-apens et le coup de surin. Mais le monarque portugais renonce à son noir dessein, peut-être simplement faute d’assassins fiables sous la main. Il envoie toutefois une flotte de renfort aux Moluques pour intercepter l’expédition espagnole.
Commenter  J’apprécie          20
Le tableau de Paris de Rifā‘a al-Ṭahṭāwī

On trouve aussi, sous sa plume, des observations morales sur les us et coutumes des citadins. Ainsi peut-on déceler dans ses remarques sur les
Parisiennes les premières traces de son attention plus tardive à la condition féminine. S’il voit dans les rapports de genre en France un véritable système d’esclavage des hommes par les femmes, il est sensible à l’autonomie intellectuelle des individus, hommes comme femmes. Les critiques d’ordre religieux qu’il émet ne sont que de peu d’importance – les Français n’étant après tout pas musulmans – au regard de la « communauté morale » qu’il entrevoit. Si le comportement des hommes vis-à-vis de leurs femmes paraît insensé et indigne à première vue, il s’accompagne pourtant d’un sens de l’honneur qu’al-Ṭahṭāwī juge proche de celui des Arabes. Les deux plans du jugement moral et du jugement religieux sont donc distincts. Cette capacité à distinguer un ordre du spirituel et un ordre du temporel est l’une des caractéristiques de ce qui devient alors la pensée réformatrice musulmane. Elle trouve dans le récit du voyage parisien l’une de ses applications les plus fortes.
Commenter  J’apprécie          20
L'homme qui rejoint son désir ,l'homme qui donne à cela même qu'il convoite le nom de sa convoitise -et qui , pour finir, abolit entre son rêve et lui tout écart en baptisant à sa ressemblance un danger en forme de détroit...Tout le mythe Magellan ,pas moins de cinq siècles de légende ,tiennent dans la ridule de ce moment , sont tapis là,dans cette encoignure du temps.
Commenter  J’apprécie          30
cette mise en relation du passé colonial et du présent politique s’effectue par le biais d’une équivalence historiquement problématique, mais transformé en évidence indiscutable par sa réitération : celle qui établit une stricte équivalence, au regard de la constitution d’un tord républicain primordial, entre les colonisés d’hier et l’immigration discriminée d‘aujourd’hui.
Commenter  J’apprécie          20
Si l’étonnement ou l’émerveillement de Ḥanna à Paris ne se traduisent généralement pas par une opposition entre « eux » et « nous », c’est que lui même ainsi que le lectorat qu’il vise à Alep sont beaucoup plus connectés à la France de Louis XIV qu’on ne l’imagine. Avant son départ, il a travaillé pour des marchands provençaux installés au Levant. Il y a appris le français, et s’y est familiarisé avec l’art de vivre en usage dans les réseaux « francs » du négoce et qu’il retrouve pendant son périple. Quand il arrive à Paris, il n’est pas le seul Syrien dans la capitale française. Les Orientaux chrétiens sont alors assez nombreux à se rendre en Europe occidentale, soit pour collecter des aumônes au prétexte plus ou moins avéré d’avoir subi des persécutions de la part des « Turcs » à cause de leur religion, soit dans la perspective d’y faire carrière, notamment grâce à leur maîtrise des langues orientales.
Commenter  J’apprécie          10
Magellan…
Magellan, c’est la statue du Commandeur, une vie majuscule, le nom donné à un détroit du bout du monde et à une sonde spatiale lancée vers Vénus en 1989. Un nom qui dit les confins, les limites repoussées, l’impensable accompli.
Un nom, aussi, qui suffit à faire surgir les « Grandes Découvertes », c’est-à-dire l’idée arrogante que l’Europe s’est longtemps faite d’elle-même, de son excellence, de sa précellence – l’un des premiers maillons de la généalogie à fil tendu de notre orgueil.
Mais qui est vraiment Fernand de Magellan ?
Il est toujours plus facile de poser des questions simples que d’y répondre. Magellan c’est une vie majuscule, oui, mais des archives minuscules, du moins dès qu’il est question de l’homme et pas seulement de son exploit.
Commenter  J’apprécie          10
Les uns glorifient la colonisation en scindant l’histoire en violence inaugurale et malheureuse et en progrès de la civilisation sous la bannière de la république, sans traiter des rapports économiques et sociaux et de leurs violences spécifiques, dont l’inégalité citoyenne.
Commenter  J’apprécie          20

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Romain Bertrand (137)Voir plus

Quiz Voir plus

La guerre d'Espagne

Née dans une famille de mineurs basques, militante républicaine, elle est connue pour son surnom, ses formules, ses discours. Son nom : Ibarruri. Son surnom : La Pasionaria. Son prénom ?

Paloma
Dolores
Encarnacion

10 questions
152 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre civile , espagne-20ème siècle , guerre civile espagnoleCréer un quiz sur cet auteur
¤¤

{* *} .._..