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211 pages
L. Fournier (01/06/1931)
4/5   1 notes
Résumé :
Description matérielle : 215 p. ; in-8
Collection de l'Ancre
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un ouvrage peu connu, mais fort attrayant, qui est l'un des rares à aborder de manière à la fois romanesque et érudite la colonisation française au Liban, ou plus exactement en Syrie, puisque en 1931, le Liban était encore sous tutelle syrienne.
"La Captive de Kurd Mourad" est un récit co-signé par Pierre Redan, nom de plume du général Pierre-Jean-Daniel André, orientaliste fécond mais relativement méconnu, du fait qu'il appartenait avant tout à l'armée coloniale, mais qui a beaucoup écrit sur l'histoire de l'empire ottoman, et sur toute la région qui entoure l'actuelle Turquie. Bien que tenu par son grade et sa fonction à des écrits forcément sérieux, documentés et administratifs, ce militaire de carrière a eu très tôt un penchant certain pour la littérature, puisqu'il a publié, chez de petits éditeurs et sans forcément en informer la bibliothèque nationale, un recueil de poésie et au moins trois romans d'aventure.
Pierre Redan s'est associé ici avec un certain Jack Villars, vraisemblablement le pseudonyme d'un écrivain à la ligne qui s'est chargé de la narration basique, tandis que Pierre Redan est plutôt à l'origine du caractère documentaire et tactique du roman.
"La Captive de Kurd Mourad" se déroule d'abord à Beyrouth, puis à Tchoukour-Ova (francisation du nom turc de Çukurova) et dans ses environs. Si ce nom est aujourd'hui celui d'un district dans une région turque, il semble désigner pour l'auteur à la fois une ville et la plaine qui l'entoure. Je manque de connaissances personnelles sur cette région du monde pour pouvoir me montrer plus précis, mais il est bon de noter que Pierre Redan ne cache pas, dans sa dédicace d'ouverture, se baser sur des souvenirs de jeunesse, et il n'est pas totalement exclu qu'en dépit de son érudition, l'auteur décrive cette région telle qu'elle lui est apparue plusieurs décennies auparavant.
Par ailleurs, du fait de la brièveté de ce roman, on ne peut le considérer comme un livre véritablement instruit, même s'il ne manque pas de détails très complets et d'anecdotes vécues, ce qui est rare pour un récit fantaisiste. Car comme son titre l'indique, "La Captive de Kurd Mourad" est avant tout un roman d'aventures, destiné à un public occidental plutôt féminin, qui aimait à frissonner en s'imaginant aux mains des "barbares" orientaux.
L'intrigue elle-même, assez minimale, se veut surtout un mélo très légèrement épicé : Dernière survivante d'une famille parisienne de la haute-bourgeoisie criblée de dettes, la jeune Claude Louveciennes retourne au peuple, avec un sincère désir de gagner sa vie dignement, et décide de devenir secrétaire. Un chemin parsemé d'embûches, car Claude est une jolie blondinette que tous les hommes tentent de coucher dans leur lit, non sans parfois y mettre de la brutalité, mais sans aucun succès. Vierge et pure, déterminée par son éducation comme par sa volonté à se réserver pour l'homme qui partagera sa vie, Claude résiste aux assauts de tous ces mâles en rut, et se met bien des hommes influents à dos faute de leur prêter le sien, car dans ce milieu prolétaire, son élégance et ses manières la font passer pour une cocotte, et une cocotte qui se refuse, c'est forcément très humiliant.
Son dernier employeur, l'homme d'affaires Jean Giss, pour se venger de sa résistance, la détache auprès d'un officier gouverneur de la province de Tchoukour-Ova, région frontalière de la Turquie, à l'époque quasiment inaccessible, et qui nécessitait un long et difficile trajet en train depuis Beyrouth, puis à dos de mulet. Une partie non négligeable du roman - et de ce fait un peu trop longue - s'appesantit sur les difficultés de ce voyage, et aussi sur les mauvaises rencontres faites par la jeune femme à Beyrouth, ville alors plus florissante qu'aujourd'hui mais qui servait de plaque tournante à toutes les fripouilles et les mercenaires du Moyen-Orient.
C'est véritablement l'arrivée d'une jeune fille douce et candide, éblouissante de féminité virginale, dans une terre âpre d'hommes habitués à se vautrer sans finesse sur les prostituées du port. Néanmoins, de justesse car il s'en est fallu de peu, Claude part pour Tchoukour-Ova avec son hymen intact et une même détermination infailible à remplir sa mission. Parvenue à bon port, Claude doit aussi essuyer la colère de l'officier-gouverneur auquel elle est attachée. le capitaine Pierre Prignac, incarnation fantasmée de l'auteur, attendait un secrétaire masculin : s'encombrer d'une femme qui a traversé tout le désert syrien jusqu'à Tchoukour-Ova sans renoncer à sa jupe et à ses talons hauts, c'est une infamie qu'il promet de lui faire lourdement payer. Heureusement, il change d'idée assez vite et se rend compte que Claude peut lui-être vraiment très utile.
La seconde partie du roman est indéniablement la plus intéressante, car elle est prétexte à décrire avec une précision d'orfèvre le contexte de la région de Tchoukour-Ova, au début du XXème siècle, et l'on découvre que la mission d'un gouverneur colonial n'est pas fondamentalement différente de celle du diplomate le plus anticolonialiste des Nations Unies : il s'agit d'assurer la paix dans un pays fractionné entre des communautés religieuses et ethniques différentes, hostiles entre elles, et prêtes à se massacrer au moindre prétexte. Et, bien évidemment, en recourant le moins possible à la force ou à l'autorité, car il faut donner l'exemple, et le capitaine Prignac, obligé par sa hiérarchie à empêcher les conflits sans y participer directement, s'est formé sur le tas à un rôle diplomatique qui consiste avant tout à abandonner le ton guindé de l'occidental et à se faire à la rhétorique et aux valeurs morales de ses interlocuteurs, quitte à connaître par coeur les versets du Coran appelant à la paix.
Si l'on trouve évidemment dans ce roman bien des exemples verbaux ou stratégiques de la domination autoritaire coloniale, et qui sont de nature à choquer des lecteurs actuels, il est néanmoins bon de stipuler - d'autant plus que c'est rare - que non seulement l'auteur a la plus grande estime pour les civilisations et les cultures dont il parle, mais il exprime même ouvertement sa tendre préférence pour les musulmans, et son mépris à peine voilé pour les communautés chrétiennes, qu'il juge sournoises et prétentieuses par rapport à la rude franchise, à l'humilité et au code d'honneur des musulmans.
Dans cette société métissée, multiculturelle et clanique, les femmes forment souvent une caste à part, isolée dans des "haremliks", des maisons réservées aux femmes de tous âges, et où elles vivent en autarcie. le capitaine Prignac ne peut pénétrer en ces lieux, même pour de simples mondanités, mais il sait que les femmes y échangent bien des secrets et beaucoup de rumeurs sur le pays. Aussi envoie-t-il auprès d'elles la jeune "roumia" Claude Louveciennes, qui y est cordialement acceptée, et qui pousse même la diplomatie jusqu'à partager avec ces femmes les séances de hammam. Moins perçue comme une secrétaire que comme la maîtresse officieuse du capitaine Prignac, Claude ne tarde pas à ressentir pour son supérieur hiérarchique un tendre penchant auquel celui-ci ne répond que par la rigueur absolue et glaçante du devoir militaire et patriotique. Mais lorsque Claude se fait enlever par les hommes du brigand arabe Kurd Mourad, en échange du versement d'une rançon délirante, - faute de quoi, la blonde Claude subira les derniers outrages avant d'être revendue dans un harem à l'intérieur du pays -, son sang ne fait qu'un tour, et en quelques heures, grâce aux complicités des femmes musulmanes longuement acquises à sa cause par Claude, le capitaine Prignac vole au secours de sa secrétaire accompagnée d'une armée de fidèles, force l'entrée du haremlik où elle était retenue prisonnière, et finalement - non sans avoir préalablement demandé au médecin local de vérifier qu'elle avait bien encore son hymen - lui avoue son amour et la demande en mariage.
"La Captive de Kurd Mourad" est assez typiquement un récit écrit par un militaire de l'armée coloniale : on y retrouve un réalisme observateur et méthodique, non dénué d'une certaine brutalité de manières, assez bizarrement associé à une bougonnerie infantile et un sentimentalisme niaiseux de midinette que l'on n'aurait pas soupçonné au premier abord chez un général.
Pierre Redan profite allègrement de ce roman pour régler ses comptes avec tous les gens qui lui déplaisent, et qui sont assez nombreux : les civils - et particulièrement les entrepreneurs qui négligent toute sécurité pour installer leurs industries -, les communautés chrétiennes, les kurdes "primitifs" et les arméniens "hypocrites". Ainsi, en filigrane de cette bluette exotique, a-t-on la surprise de croiser, entre deux chapitres romantiques ou instructifs, la rancoeur bileuse d'un vieux général en fin de carrière qui vide son sac sans prendre de gants.
Le résultat est d'autant plus comique que les deux auteurs de ce roman sont assez mal assortis : Jack Villars écrit médiocrement, mais on sent un conteur (ou une conteuse) expert(e), qui rédige des dialogues efficaces, des situations romantiques classiques mais émouvantes. Toute la première moitié du roman est dominée par sa plume d'une grande fluidité, sans fioritures inutiles : un bon travail de feuilletoniste, peu imaginatif mais sincère dans sa volonté de faire rêver la lectrice.
Dès l'arrivée à Tchoukour-Ova, Pierre Redan prend la relève et cela se voit immédiatement : le style est meilleur mais il est besogneux, habitué à aller dans les détails, fixant les souvenirs avec quelque chose d'un peu austère qui sent le rapport administratif. Pierre Redan est aussi l'homme des batailles, des luttes de pouvoir, ce qu'on regrette parfois car ces scènes cruciales sont souvent pesantes et truffées d'ellipses plus ou moins volontaires qui en rendent parfois difficile la compréhension.
Enfin, Jack Villars reprend la plume pour les deux derniers chapitres narrant une happy end un peu trop happy au milieu d'une ville ensanglantée où les têtes tranchées des brigands sont brandies par la population hilare. Diable, diable !...
Néanmoins, et aussi étrange que cela puisse paraître, ce côté un peu mal ficelé, un peu amateur, mal équilibré, est pour beaucoup dans ce que ce roman peut avoir d'attachant, car sous une plume plus linéaire, cette intrigue aurait semblé très conventionnelle. Cette rencontre contre-nature entre une sorte de proto-Angélique pure-mais-forte et les souvenirs sanguinolents mais précis du Général Redan, génère involontairement une impression ironique et un charme un peu "nanardesque", où la vieille gânache se noie dans l'eau de rose et la fait déborder du vase, et où tout cela finalement s'avère extrêmement sympathique, à défaut d'être objectivement réussi.
Qui plus est, c'est un roman exotique typique des années 30, qui bien qu'un peu pudique par rapport à certains ouvrages du même genre, témoigne de l'état d'esprit d'une époque, et de préoccupations coloniales diplomatiques rarement évoquées, du fait qu'elles restent toujours d'actualité dans des contextes plus modernes.
À défaut de montrer la réalité de ce qu'était l'empire colonial français, "La Captive de Kurd Mourad" témoigne de la mission de civilisation et de pacification dont les militaires français, qui n'étaient là ni pour évangéliser ni pour s'enrichir, se sentaient parfois investis, au risque hélas de paraître autoritaires par goût de la domination des faibles, aux yeux des indigènes, pour lesquels la lutte des clans relevait d'un ordre naturel.
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