AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Eric75


Avec “Mort sur le lac”, le vingt-troisième tome de la série des Canardo, je retrouve mon détective palmipède préféré renouant avec l'humour traditionnellement grinçant et glauque de la série culte, lancée par Benoît Sokal en 1979. L'humour du précédent album intitulé “Le vieux canard et la mer” (on est toujours dans la parodie des titres célèbres), et dont le scénario était signé d'Hugo Sokal, le fils, était plus satirique que désabusé. Ici, la dénonciation sans concession des turpitudes de notre monde « moderne » est toujours bien présente, mais l'histoire recentrée sur une ribambelle de personnages plombés par la mouise totale et un statut social plutôt déprimant, marque le retour du valeureux canard en robin des bois défenseur de la veuve et de l'orphelin, des sans-grades et des damnés de la terre victimes innocentes du cynisme et de la cupidité des puissants.

Dès la première page, qui plante un décor sinistre à souhait d'installations portuaires à l'abandon sous une pluie battante, apparaît la cliente de notre détective, Laura, une troublante jeune femme devenue amnésique à la recherche… de son identité. Elle confie cette enquête à Canardo, qui, malgré son air bourru et perpétuellement blasé, est sensible aux charmes de cette belle inconnue, surtout lorsqu'elle lui montre de façon ingénue les indices trouvés à la surface de son corps, comme un tatouage sur la fesse ou une brûlure de cigarette sur la poitrine.

L'enquête conduira Canardo à s'intéresser à un trafic louche de boat peoples wallons risquant leur vie pour pouvoir traverser le lac Belga et se rendre au Belgambourd, dans l'espoir d'une vie décente que la Wallonie économiquement sinistrée n'est malheureusement plus capable de leur offrir. Pour ces malheureux, dont on retrouve les corps sur le rivage, la mort est souvent au bout du voyage. Face à l'amoncellement de cadavres, que la tempête seule ne peut expliquer, Canardo soupçonne une réalité encore plus sordide.

On retrouve avec plaisir dans cet album certains personnages déjà rencontrés au cours des précédentes enquêtes : la Duchesse du Belgambourg, au langage si cru, et l'ancien commissaire Garenni, sorti de sa retraite et devenu Chef de la Police du Lac aux ordres des puissants, mais aussi quelques nouveaux venus dans le bestiaire anthropomorphe sokalien, toujours aussi superbement typés, comme Albert, le journaliste de Walloniapart (avec un air de fouine et des rouflaquettes à la Robert Redford dans “Les Hommes du Président”), et bien sûr, l'énigmatique Laura, dont le passé compliqué nous révèlera bien ses surprises (on pense à XIII : amnésie, tatouage, aptitude au maniement des armes, sont leurs points communs les plus frappants).

Les clins d'oeil ne s'arrêtent pas là. Canardo, que la proximité du lac rend romantique, clame des vers De Lamartine, comme pour conjurer une nature devenue hostile. Harry le pêcheur d'anguilles, propriétaire du bar minable décoré d'un immense espadon ou marlin empaillé (autre référence à Hemingway, après le titre du précédent album), semble tout droit sorti du “Port de l'Angoisse” adaptation d'un autre roman du même HemingwayEn avoir ou pas” (dont le héros qui se prénomme également Harry organise le passage de clandestins vers les États-Unis). On se souviendra également du titre de l'un des albums de la série : "Le Canal de l'angoisse". Les frères Dardanne, la famille de taiseux qui hébergent Laura, renvoient incontestablement aux frères Dardenne, cinéastes belges et réalisateurs de films sociaux tels que “Le Silence de Lorna”, drame sur l'immigration clandestine. Toutes ces références renforcent sans l'occulter un scénario très élaboré pimenté par l'humour habituel de la série.

Cet album est le premier volet d'un diptyque, et s'achève sur un cliffhanger. le lecteur totalement conquis mord de bonne grâce à l'hameçon qui lui est tendu et ne peut qu'attendre le second volet, intitulé “La Mort aux yeux verts”. Après des titres suggérant Hemingway et Agatha Christie, voici qu'est annoncé Maurice Leblanc. Décidément, les Sokal multiplient leurs sources d'inspiration, et si avec cette énigmatique demoiselle aux yeux verts le romantisme s'associe une fois de plus au crime, ce sera comme toujours pour notre plus grand plaisir.
Commenter  J’apprécie          211



Ont apprécié cette critique (19)voir plus




{* *}