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Étonnant roman que Berlin Finale, pavé de presque neuf cent pages qui se lit moins pour son intrigue romanesque que pour la richesse documentaire qu'il apporte sur la bataille de Berlin et par la même occasion sur la fin du IIIe Reich.
Il y a bien une fiction qui se concentre sur un groupe d'antifascistes se réunissant chaque soir ou presque dans le bar de l'un d'eux avant l'alerte aérienne, mais les dialogues maladroits, répétitifs et très démonstratifs affectent l'intérêt. Ils éloignent le regard qui se porte plus volontiers sur la dimension historique. Ainsi on s'attarde moins sur leurs faits et gestes et les rebondissements très cinématographiques que sur l'incroyable traversée de Berlin que propose Heinz Rein, une traversée captivante autant géographique avec le bruit de fond constant de l'avancée des russes que humaine avec la description de la vie quotidienne des civils.
Il faut préciser qu'en s'intéressant à la biographie de l'auteur, on apprend qu'il a sillonné chaque jour d'avril 1945 les rues de Berlin pour enregistrer mini-reportages, messages militaires et conversations de ceux réfugiés dans les abris antiaériens.
Fort de cette expérience de guerre immédiate, le journaliste Rein a capté un matériau précieux, une densité informative qu'il a su exploiter dans son bouquin avec les sentiments de confusion et de fébrilité croissante qui vont avec. On se passionne pour un récit qui puise sa dramaturgie dans la double menace provenant de la progression des russes avec les bombardements puis la pénétration des fantassins, et la panique des autorités nazies qui, prêtes à anéantir la ville et sacrifier la population, a généré une terreur et un chaos sans commune mesure avec le désordre de la guerre et de la défaite.
Certaines scènes sont effroyables, on est saisi par la puissance des descriptions des paysages de ruine et des situations dramatiques sur lesquels l'auteur s'attarde. Elles sont bien plus convaincantes que les dialogues en forme d'exposé rappelant comment les dignitaires nazis ont réussi à créer un mythe plus puissant que la vérité, un mythe qui a aveuglé la population et qui a signé leur naufrage moral.
Malgré ses défauts littéraires, ce bouquin est essentiel car il se fait le témoin lucide d'une période où le discernement et le bon sens étaient ensevelis sous les décombres chez les nazis habités par leur utopie jusqu'au-boutiste, les soldats de la Wehrmarcht ferrés à leur devoir d'obéissance et les civils réfugiés dans les tunnels et abris antiaériens qui isolent de la vérité mais pas de la propagande hitlérienne.
Lecture marquante.
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Avril 1945: une ville qui agonise sous les bombardements.

Après la reddition allemande, Heinz Rein produit un docu-fiction glaçant et réaliste de l'effroyable vécu des berlinois au printemps 1945, coincés entre les deux fronts alliés, vivant comme des rats dans les décombres avec un stoïcisme apparent.

Le lecteur est immergé dans le quotidien de survie, la peur de l'anéantissement, le « jusqu'au boutisme » imposé, l'ébauche d'un esprit de résistance anti nazi, et le fatalisme général.

Berlin Finale est un récit de l'intérieur apportant une image complète de l'évolution des mentalités de la société allemande depuis la fin de la Grande Guerre. le parcours de personnages symboliques offre un décryptage psychologique d'un pays entraîné par consentement ambiguë dans l'horreur du national-socialisme. Ceci permet de comprendre comment tout un peuple s'est peu à peu soudé derrière son dirigeant, au point de demeurer autiste à la défaite jusqu'aux derniers jours, ou de faire «comme si» par crainte du terrorisme d'Etat.

C'est un témoignage très littéraire, presque théâtrale dans les dialogues. On imagine bien que certaines conversations n'ont pu avoir lieu dans l'état d'urgence du moment. L'ensemble privilégie la réflexion, l'analyse et l'introspection à la fiction narrative, permettant une approche avec plusieurs angles de vue. Les événements sont néanmoins décrits par le menu, que ce soient les déplacements ou les combats de rues.
Avec des extraits de discours ou informations, c'est tout à fait remarquable historiquement.

Un regret de ne pouvoir s'appuyer sur une carte de l'ancien Berlin, qui aurait été bien utile pour suivre les précisions millimétrées des quartiers décrits, et une réserve sur quelques longueurs qui frôlent le risque d'ennui.

#HeinzRein#Berlinfinale#NetGalleyFrance
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Berlin Finale est un témoignage cruellement immersif de ce Berlin à l'agonie en ce printemps 45. Nous y sommes: dans la poussière, le sang, les ruines et les flammes, dans le chaos des esprits laminés et résignés, dans la défaite nazie qui refuse de dire son nom.
Les descriptions sont débitées avec la précision chirurgicale du scalpel, les sons et les odeurs exhalées des pages vous prennent à la gorge au fil des mots.
Nous y sommes.

La documentation historique est exceptionnelle, imagées d'extraits de journaux ou de proclamations officielles, émaillée de dialogues pointus et engagés (trop parfois!). La frénésie de tuerie est omniprésente, dans un souci d'auto-destruction des nazis les plus acharnés, mais aussi par instinct de survie. le chaos et l'anarchie décime les rues berlinoises aussi sûrement que l'avancée des russes et des Alliés. La Grande Histoire se déroule mais c'est aussi la terreur de chacun qui blanchit l'aube…

Car toute description physique, aussi fidèle, réaliste et précise qu'elle soit, n'émeut pas si des êtres humains ne sont pas présents pour faire vibrer l'ensemble. Et c'est ce que l'auteur nous accorde avec le récit de ces personnages, que ce soit un médecin devenu résistant, que ce soit un déserteur ou un clandestin. Des instantanés de vies, d'état d'esprit, de réflexion, de croyances, de fidélités. Des moments de doutes, de peurs et d'incertitudes également. Et quand la trivialité du quotidien effilochent les relations humaines, il reste les convictions pour avancer. Et les inévitables traîtres et compromissions.

Un bémol? Quelques longueurs ou répétitions accompagnées d'une couleur politique qui aurait pu se faire plus discrète et un cruel manque d'une carte de l'ancien Berlin pour suivre les déplacements ultra-précis décrits dans ce docu-roman.

Berlin Finale est un témoignage historique de première main, exceptionnel, tant par le déroulement des événements, sa fidélité historique, que par l'analyse de la situation et de la psyché des berlinois dans les derniers mois de la guerre, au jour le jour. Incontournable pour tenter de cerner la complexité de ce qui liait les allemands au nazisme alors que Berlin chute car nous le savons bien, rien n'est tout noir ou tout blanc…
Lien : http://livrenvieblackkatsblo..
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Ce roman a été écrit au sortir de la Seconde Guerre mondiale par un Berlinois né en 1906 et dont les écrits avaient été boycottés par les nazis. Installé dans la partie Est de Berlin donc contrôlé par les soviétiques, Heinz Rein a écrit en urgence cette histoire qui se déroule sur 15 jours à peine. Mais pas n'importe quels jours : ce sont les derniers jours de la bataille de Berlin quand la capitale a été attaquée à la fois par les armées de Joukov et de Koniev.
Le roman met en scène 6 personnages principaux pris au piège dans la capitale. Il y a un jeune soldat déserteur Lasshen qui, par miracle, est repéré par un propriétaire d'un café Klose qui va l'abriter et lui donner de faux papiers. Klose appartient à un groupuscule d'opposants qui aimeraient écourter la guerre. C'est ainsi que Lasshen fait connaissance avec un ancien syndicaliste, vivant dans la clandestinité Friedrich Wiegand, sa femme Lucie, un médecin –le Dr Böttcher- et un mécanicien communiste Schröter. Ce qui relie ces personnages c'est leur haine et leur dégoût du National-Socialisme et chacun aimerait agir. Mais dans cette ville bombardée nuit et jour, parmi cette population berlinoise écrasée par la propagande nazie, il est quasiment impossible de faire quoi que ce soit. Ils ne peuvent assister qu'à l'effondrement de la ville.
C'est un roman témoignage très long (880 pages !) mais c'est un roman que j'ai trouvé extraordinaire car il est écrit par un témoin qui vivait au coeur de cette dernière bataille. Les chapitres commencent tous par une longue description d'un quartier de la ville, à chaque fois, c'est le même décor apocalyptique qui est décrit et, parmi ces ruines, des Berlinois qui continuent de vivre en dépit des obus qui tombent, des avions qui passent et des derniers nazis obsédés qui circulent, arrêtent, pendent arbitrairement tout homme qui montrerait une quelconque faiblesse. de temps en temps, Heinz Rein reproduit des extraits de journaux nazis qui tiennent jusqu'au bout les mêmes discours effarants, prédisant à chaque ligne que l'ennemi va s'effondrer alors qu'il est déjà derrière la porte ! C'est donc un livre que je vous recommande vivement !
Je mets 4 chats et demi (le demi point en moins est dû à la densité du roman qui peut donner envie d'arrêter)
Lien : https://labibdeneko.blogspot..
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Lassehn se réfugie dans le café de Klose le 14 avril 1945 à Berlin. Il a déserté 3 mois plus tôt.
Activistes anti fascistes, Klose et ses amis, le Dc Böttcher et le syndicaliste Wiegand vont le prendre sous leur aile dans ces jours cruciaux de la bataille de Berlin.
Entre alertes aériennes, caches, conciliabules dans l'arrière salle du café, distributions de tracts anti nazis, déplacements risqués à travers les rues en ruine pour échapper aux SS, à la Gestapo, aux réquisitions du Volksturm (ces unités constituées de civils âgés, malades) censées défendre la capitale du grand Reich contre les chars russes… Heinz Rein nous donne à voir la ville , ses rues éventrées, ses murs effondrés, ses canalisations crevées, dans laquelle les incendies font rage.
Et bien sûr, il nous donne à voir et à entendre les Berlinois.
Ceux qui comme Lassehn ouvrent enfin les yeux sur la folie nazie, qui n'en peuvent plus, qui critiquent en douce quand aucune chemise brune ne traine dans le coin ou bien, crie, hurle leur souffrance après la perte d'un proche, d'un enfant.
Des Berlinois tellement convaincus de la supériorité allemande, tellement embrigadés aux théories nazies qui croient ou veulent croire à la propagande qui inondera jusqu'aux derniers instants les populations d'annonces de succès, de renforts, d'armes secrètes.... et les exhortera à résister jusqu'au bout.
Et enfin, les brutes, les purs, les durs, acculés, prêts comme leur Führer à sacrifier la ville entière et sa population dans l'hystérie guerrière.
Le texte est étonnant (ce ne serait pas un roman, ce n'est pas un document, l'auteur s'en défendait).
Entre d'abondantes descriptions de la ville martyrisée, les dialogues sont nombreux et permettent de confronter les différents points de vue des personnages, de mener des réflexions sur l'avenir, HR mêle des textes réels : extraits de journaux de propagande, de discours de Goebbels habilement introduits dans le récit par le souci de chacun de se tenir au courant des événements, de faire la part du vrai et du faux des informations diffusées.
Enfin, il y a aussi des chapitres entiers consacrés à un personnage absolument secondaire mais dont le destin éclaire le propos général. Ce sont comme de petites parenthèses, des anecdotes dans ce déroulement chronologique implacable : une biographie d'un national-socialiste, la folie d'un homme frappé par le deuil.
J'ai beaucoup aimé ce roman qui m'a fait énormément penser à deux textes de Sébastien Haffner « Considérations sur Hitler » et « Journal d'un Allemand ». La lucidité de Heinz Rein qui publie dès 1947 laisse entrevoir sa détestation du national-socialisme. Les dernières paroles échangées par ses personnages laisse entrevoir à leur tour l'avenir de ce qui deviendra bien vite la RDA et la position de l'auteur face au nouvel ordre soviétique.
Je n'ai qu'un regret. J'ai choisi la version audio-livre. Non pas que la lecture de Jean Christophe Lebert soit mauvaise, au contraire. Elle est agréable, vivante, juste.
Je pense cependant, que pour moi, en tous cas, la version papier aurait été plus judicieuse me permettant de farfouiller dans le volume, de relire des échanges d'arguments.
Un livre hors norme. Une découverte.
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Cet écrit qui n'est pas vraiment un roman, pas non plus vraiment un reportage , m'a fait entrer de plein pied dans l'horrible quotidien du Berlin de l'époque pas si lointaine .L'auteur analyse avec une grande lucidité la manipulation des jeunes générations qui ont été élevées dans le culte d'un mégalomane ;il s'intéresse de près aussi à ceux que la peur rend "lâches" ,à ceux qui, comme lui, veulent à tout prix que l'horreur s'arrête quitte à se rapprocher de l'ennemi russe. Trahir son pays pour sauver son peuple, quel choix douloureux. Certains l'ont fait ,leur histoire m'était inconnue, grâce à ce livre elle ne l'est plus et j'aime bien cette idée.
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Lorsque je me suis rendue à Berlin, j'ai trouvé cette capitale architecturalement moche, en comparaison à Vienne ou bien Paris. En effet, Berlin n'est que béton. Se pose donc une question : « Pourquoi une telle laideur ? ». Je savais que Berlin avait été bombardé à la fin de la Seconde Guerre Mondiale mais j'ignorais que le centre-ville fut détruit à 70 % ! Voulant me renseigner sur le sujet, je me suis plongée dans « Berlin finale ».

Ce roman est un texte majeur de la littérature allemande d'après guerre. « Berlin finale » raconte la chute de Berlin à travers des résistants allemands. En ce mois d'avril 1945, les langues se délient contre le parti national-socialiste mais certains y restent fermement attachés. Ce qui est justement intéressant ! Ce contraste entre deux types d'allemands, ceux qui sont dévoués au Führer et ceux qui le haïssent, est saisissant. Les fanatiques refusent de croire à la chute du Reich, jusqu'à la fin ils croient à la victoire. Évidemment car ils sont la race supérieure, ils ne vont tout de même pas se faire battre par une bande de paysans de l'Oural.Tandis que les résistants attendent patiemment l'arrivée de leurs libérateurs.

Plusieurs personnages intéressants dans ce roman ! Nous suivons surtout les résistants, à noter qu'ils n'ont pas forcément les mêmes idées politiques mais leur haine pour le nazisme les réunit. Il est touchant de voir l'entraide de ces différents personnages pour survivre. Toutefois l'entraide n'est pas de vigueur entre tous les Berlinois. Les Berlinois sont vaccinés contre la mort. Étant présente dans tous les coins de la ville, ils ne sourcillent pas lorsque l'on tire sur des déserteurs ou face à des pendaisons publics. Les Alliés ont tué évidemment énormément de civil mais les allemands ont été barbares également entre eux. Chaque fois qu'un personnage mourrait, je me disais : « Bon sang ! Il lui restait tel nombre de jours et il aurait survécu. ».

Souvent les personnages citent des extraits de la littérature allemande. Je ressent comme un besoin de l'auteur de se remémorer ou de nous faire remémorer que l'Allemagne avait été une nation éclairée. C'est ce que l'on appelle (pompeusement pour certains) le génie allemand. Comment un peuple possédant un grand nombre d'intellectuels (Hermann Hesse, Goethe, Rilke etc.) ont-ils pu laisser faire ?

Le style de Rein est directe. Aucune recherche artistique. Nous somme plongés dans la guerre et non pas dans les salons proustiens.

Bref « Berlin finale » est un livre dur, triste, lourd (dans les deux sens du terme :)). C'est un livre qui nous plonge profondément dans l'Histoire ! Maintenant, je vais de ce pas regarder « der Untergang » et très bonne lecture.
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"Notre peuple est hélas intellectuellement pourri jusqu'à la moelle. C'est difficile de le dire mais c'est la vérité, malheureusement, et un jour il sera reconnu coupable par L Histoire pour ça."

Ce jugement implacable, venu d'un des personnages de Berlin finale, résume en partie les plus de 800 pages de cette oeuvre hors norme et atypique.
Ce roman trop peu connu fut publié en 1947 par Heinz Rein, journaliste sportif expédié en camp de travail par la Gestapo à cause de son soutien aux causes socialistes. C'est dire si l'auteur sait de quoi il parle, quand il décrit la mainmise des nazis sur la population de Berlin, et par son prisme de toute l'Allemagne.
Écrit vraisemblablement dans l'urgence (sans doute rédigé dès la fin de la guerre), le livre a connu un immense succès populaire, plus de 100 000 exemplaires vendus ! Il fallut pourtant attendre 2018 pour qu'une traduction en français voit le jour. Un délai plus qu'incompréhensible, tant cette oeuvre est marquante, et importante d'un point de vue historique.

Je parlais en préambule d'un roman atypique. En effet, l'auteur utilise une structure narrative qui semble classique au premier abord, mais dont on comprend vite qu'elle sert de prétexte à un découpage au scalpel de la psychologie de la population allemande en 1945. Alors que le Troisième Reich agonise, repoussé par l'Armée rouge à l'est et par les USA, Grande-Bretagne, Canada et restes de l'Armée française à l'ouest, les habitants de Berlin survivent au rythme des raids aériens et des bulletins d'informations quotidiens de la Wehrmacht et du service de propagande. On leur promet des armes secrètes qui vont renverser le cours de la guerre. Puis on leur affirme que ce repli est en réalité une stratégie géniale de Hitler, un piège mortel destiné à détruire d'un seul coup les alliés avant de reconquérir le monde. Alors que chaque jour, le front se réduit en direction du centre-ville, il est dit que de formidables armées de réserve vont à leur tour encercler les russes et les anéantir...

Voilà pour le contexte du récit, qui se déroule pendant le mois d'avril 1945, qui a précédé la capitulation du régime nazi. On vit ces évènements à travers le regard de Lassehn, un jeune déserteur qui trouve refuge auprès de partisans communistes, et qui n'aura de cesse de traverser la ville en tous sens et de débattre avec ses compagnons et avec les personnages croisés au hasard des ruines. À travers ces discussions, l'auteur nous offre une palette variée d'un échantillon qu'il a voulu représentatif du peuple allemand. Est-il coupable ? Complice ? Victime ?
Autant de questions auxquelles il semble bien mal aisé de répondre, même bientôt 80 ans après. Heinz Rein, lui, n'est pas tendre avec ses contemporains. L'amertume et le mépris transparaissent de ses mots, ce qu'on peut comprendre, étant donné qu'il fut lui-même victime de ce régime totalitaire.
Au-delà d'une simple chronologie de ce qui fut appelé la bataille de Berlin, ou d'un reportage dépeignant le quotidien d'une ville assiégée, l'auteur s'attache à décrypter les mécanismes qui ont pu mener à l'invraisemblable. Comment un peuple tout entier a-t-il pu confier les clés de son destin à ce que l'auteur appelle "la plus grande bande de criminels et de psychopathes de toute l'histoire" ? Même reclus dans des caves, dans une ville qui se réduit jour après jour à quelques blocs, beaucoup de berlinois s'accrochent encore à l'illusion de la victoire, mais surtout, trop peu se dressent face aux SS fanatisés qui préfèrent le destruction totale à la reddition. Et nombreux préfèrent ne pas se souvenir qu'ils ont fermé les yeux lorsque les SA, puis les SS, ont confisqué les biens de la population juive pour leur redistribuer, en un pacte de sang qui allait les lier jusqu'à l'inévitable enfer.

"60 ou 70 personnes, des ouvriers, des salariés, des marchands, des vieillards et de vieilles femmes, des enfants, qui se taisent, s'inclinent, s'aplatissent et poussent des gémissements de dévouement comme des chiens battus, se soumettent, se font bien voir, affichent un sourire docile, uniquement parce qu'un gringalet à l'attitude de souverain porte un uniforme brun (...) Des hommes tout à fait honorables en temps normal qui se transforment en hypocrites, des larbins, des lèche-culs, des lâches, parce que derrière cet uniforme brun de merde s'étend une énorme puissance menaçante, qui a droit de vie et de mort, qui décide du sort de chacun."

Le texte n'est pas exempt de défauts. Ainsi, les très nombreux dialogues qui sont autant de débats politiques et philosophiques au sein du groupe de partisans sont peu naturels, nuisent au rythme et deviennent pénibles à la longue. L'auteur se montre également complaisant avec l'Armée rouge, trop facilement présentée comme une simple armée de libération, alors que ses exactions sont tues. Il faut ainsi attendre la postface pour que soient évoqués les viols collectifs systématiques des berlinoises... Malgré cela, la valeur historique de ce texte colossal, ponctué de retranscriptions des documents d'époque, cette vision au plus près d'un témoin central de ces évènements qui ont marqué l'Europe et le monde au fer rouge, cette valeur est inestimable.

Ce livre est indispensable pour toute personne intéressée par la Seconde guerre mondiale, ou qui souhaite comprendre par quels mécanismes un obscur caporal est parvenu à plonger l'humanité dans une folie meurtrière inédite. Selon moi, ce livre devrait être offert à tous les lycéens. À l'heure ou la France et le reste du monde semblent tentés par un retour vers des systèmes politiques autoritaristes, il devient salutaire de se souvenir des leçons que l'histoire nous a enseignées, et que nous oublions trop facilement.



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Disons le franchement, je suis très intimidé à l'idée de prendre la parole, d'écrire des mots à la suite de la lecture de cet immense roman. Il me semble qu'aucune phrase, aucune métaphore, aucune tournure ne pourrait rendre fidèlement compte de l'humanité, la très profonde humanité qui parcourt les lignes de Heinz Rein.
Berlin finale est, et restera sans doute, le plus grand roman que j'ai lu sur la seconde guerre mondiale. C'est toute la logique d'un système et toutes ses conséquences sur les esprits, des plus faibles au plus aiguisés, qui nous sont données à voir et, ce qui est bien plus fort encore, à comprendre.
En finissant en 1984 je m'étais dit que j'avais lu un roman total où toute les dimensions d'une vie à l'échelle d'un homme et où toutes les questions politiques les plus essentielles à l'échelle des hommes avaient pu être abordées, et avec quel brio. J'ai retrouvé cette même impression en tournant la dernière page de Berlin final : grâce à Heinz Rein, j'ai enfin pu entrevoir ce que la guerre, et donc la paix, peuvent signifier.
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Berlin finale est un roman de l'écrivain et journaliste allemand Heinz Rein, boycotté et persécuté par le régime nazi. Publié en Allemagne en 1947, ce livre n'a été publié en français que cette année par la maison d'édition Belfond.

A vrai dire, je ne m'explique pas pourquoi il a fallu attendre plus de soixante-dix ans pour proposer au lectorat francophone une traduction de ce roman hors normes. Sur la plateforme NetGalley grâce à laquelle j'ai pu lire ce livre en service de presse, le résumé proposé par l'éditeur m'avait tout de suite attiré :

" « Nous tenons entre nos mains un témoignage historique absolument unique. »
Fritz J. Raddatz, essayiste et journaliste

Publié en 1947 en Allemagne, vendu à plus de 100 000 exemplaires,
Berlin finale est l'un des premiers best-sellers post-Seconde Guerre mondiale. Une oeuvre passionnante, haletante, audacieuse, qui a su, alors que l'Europe se relevait à peine de la guerre, décrire dans toute sa complexité le rapport des Berlinois au nazisme.

Jusqu'alors inédit en France, un roman-reportage brillant qui nous raconte, à travers les destins d'une poignée de résistants, les derniers jours de Berlin avant sa chute. Un texte majeur, un Vintage événement. "

Heinz Rein nous plonge dans Berlin en avril-mai 1945, lorsque la ville est encerclée par l'armée russe et que le régime nazi ordonne à la population de se battre jusqu'au bout. Nous suivons plusieurs personnages engagés dans la résistance : un jeune soldat déserteur, un médecin social-démocrate, un syndicaliste pourchassé par la Gestapo, la femme de ce dernier, un ouvrier communiste, et un patron de bistrot qui accueille avec bienveillance ce petit groupe de résistants.

Ecrit juste après les événements qui y sont relatés, ce roman est un témoignage glaçant des dernières semaines du Troisième Reich et des combats dans Berlin. L'auteur montre parfaitement comment Hitler et ses sbires étaient prêts à sacrifier toute la population civile de Berlin plutôt qu'admettre la défaite face aux Alliés et en particulier face à l'ennemi soviétique. Il met également en évidence comment les nazis avaient réussi à mettre dans la tête de beaucoup de gens, soldats comme civils, que national-socialisme et Allemagne ne faisaient qu'un et que la chute du régime ne pouvait qu'entrainer la chute totale de la nation allemande.

Le texte d'Heinz Rein alterne des scènes d'action, avec leur lot de rebondissements, des descriptions glaçantes de la ville assiégée et détruite, et de longs dialogues.

Dans ces derniers, les personnages ont parfois tendance à parler comme dans un livre, se substituant ainsi à l'auteur pour lui permettre d'exprimer une opinion, une analyse, certes très souvent intéressante, mais qui ne cadre pas forcément avec les situations dans lesquelles sont plongées les personnages. Cela donne parfois un côté artificiel, faussement romanesque, mais les idées développées sont tellement fortes et intéressantes que cela ne réduit en rien la qualité de l'oeuvre. Dans sa post-face, Fritz J. Raddatz l'exprime bien mieux que moi :

" Dans les moments où Heinz Rein aimerait lui-même prendre la parole, en quelque sorte, où, dans les dialogues, il fait passer à travers la bouche des personnages de son livre ses positions politiques très honorables. D'un côté, c'est encore une fois un principe cinématographique ; car un film a besoin de dialogues, il ne peut fonctionner en se fondant uniquement sur des atmosphères, sur la contemplation extérieure de ses acteurs et actrices. Toutefois, Rein distend ce principe jusqu'à l'improbable. Il est vrai qu'il a réuni un ensemble de personnages intéressants avec son Dr Böttcher plutôt réservé, le pur Berlinois Klose, à la forte personnalité sympathique, le résistant Wiegand qui vit dans la clandestinité, et surtout le déserteur Lassehn qui, très hésitant au début, est toujours surpris de son propre courage. Mais ils parlent trop. Ils fatiguent souvent, sur plusieurs pages, avec des débats et des formes de dialogue laborieuses, avec leurs multiples exposés sur la nature du système nazi, les formes éventuelles de gouvernement après la guerre, sur des dilemmes moraux et sur la possible inutilité du travail de l'ombre : petits séminaires de sciences politiques au café de Klose. "

Parmi ces longues mais passionnantes réflexions de l'auteur à travers ses personnages, j'en ai surlignées de très nombreuses (sur mon Kindle, car je ne maltraite pas les livres papiers au stabilo). Je ne vais pas toutes vous les citer ici, mais je tiens tout de même à partager celles qui me semblent les plus représentatives ou les plus fortes :

Sur la génération élevée sous le Troisième Reich :

" C'est bien la première fois dans l'histoire de l'humanité que la jeunesse ne se sent pas supérieure à la vieillesse, qu'elle n'est pas fière d'être jeune. Quand vous avez dit à l'instant, monsieur Lassehn, que vous nous enviiez notre âge, votre formule n'était pas tout à fait pertinente, ce n'est pas tellement notre âge que vous convoitez, mais le savoir et les expériences que nous avons accumulés à une époque où le national-socialisme n'avait pas encore restreint la pensée à une formule élémentaire unique. Bien sûr, la plupart de ceux de votre génération n'ont pas encore pris conscience de cette idée, parce qu'elle est masquée par la guerre et les discours de Hitler et de Goebbels qui s'évertuent à être rassurants, mais un jour la guerre finira, Hitler et Goebbels ne seront plus là, et quand le grand silence s'abattra sur eux et que plus personne ne sera là pour approuver leurs actes, quand, de tous côtés, on leur fera des reproches, alors seulement ils comprendront que leur jeunesse a été honteusement trahie, que leur capacité d'enthousiasme a été scandaleusement maltraitée, que leur pensée a été induite en erreur. Un vide immense s'ouvrira devant eux, car, tandis que les générations précédentes peuvent encore trouver refuge dans des conceptions antérieures, le socialisme, le communisme, le libéralisme ou la démocratie, l'Église ou un système philosophique quelconque, la jeunesse se retrouvera tout à fait démunie spirituellement.

[…]

Dans les vingt à vingt-cinq ans. C'est la génération sur laquelle les nazis ont eu une influence totale. Mais nous devons vraiment compter dessus et nous en rapprocher à tout prix. — Et pourquoi ça ? demande Schröter. — Parce que, un jour, quand nous nous retirerons – et ce moment n'est pas très lointain, car nous ne sommes plus tout jeunes, tous autant que nous sommes –, ils seront amenés à gouverner, répond le Dr Böttcher avec gravité.

Ce serait absurde de toute manière de condamner toute une génération, de la radier de la vie de la nation, de l'exclure de l'organisation de son propre avenir. Quand cette guerre désastreuse sera finie, il n'y aura – en gros –que deux directions pour la jeunesse : une partie sera incorrigible et restera aussi national-socialiste qu'avant, elle imputera l'échec aux insuffisances techniques et militaires ; l'autre partie, sans doute plus importante, sera nihiliste, elle errera et vivra en nomade sur le plan politique et intellectuel parce que les fondements de l'existence que les jeunes ont vécue jusqu'ici, de leur foi et de leur, disons, idéologie, leur auront été brusquement arrachés. Il est évident que nous ne pouvons pas assister à ça sans rien faire et laisser la jeunesse livrée à elle-même, mais nous ne devons pas non plus… »

[…]

Car si on en est arrivés au point où la jeunesse allemande est tombée entre les mains des criminels bruns et ne s'est pas rendu compte de la démence de leur doctrine, ce n'est pas sa faute – si toutefois on peut vraiment parler de faute –mais celle de ceux qui ont laissé faire ça. "


Sur la « fusion » entre nation allemande et national-socialisme :

" Les nazis ont réussi, dit Lassehn, à identifier le national-socialisme à la nation allemande, à rendre tout à fait naturelle l'idée que la chute du national-socialisme devait forcément signifier la chute de l'Allemagne et du peuple allemand. J'ai connu plusieurs camarades qui expliquaient en toute franchise qu'ils n'avaient pas de sympathie pour le national-socialisme mais qu'ils se trouvaient dans une situation contraignante et devaient défendre l'Allemagne.

[…]

Ils mettent l'Allemagne à terre en toute conscience parce qu'ils ne savent plus quoi faire. N'ont-ils pas dit clairement que si le parti national-socialiste devait sombrer, ils entraîneraient tout le peuple allemand dans leur chute pour qu'il ne soit pas livré au bon vouloir sadique et à l'asservissement des bolchevistes et des ploutocraties occidentales ? "

Sur le patriotisme allemand :

" Vous savez, dit-il, quand j'entends le mot “Allemagne”, j'ai toujours des sueurs froides, à chaque fois j'entends dzimboum ratatam ratatam et des coups de canon noirs, blancs et rouges.

— Et moi j'entends des Lieder de Schubert et des poèmes d'Eichendorff, je vois la forêt de Thuringe et le lit de la Weser, réplique le Dr Böttcher. Mon cher Schröter, chez certains d'entre vous – et vous semblez faire partie de ceux-là –c'est la même chose que pour les Juifs. de la même façon qu'ils flairent l'antisémitisme dès que quelqu'un ne fait même que prononcer le mot “Juif”, vous entendez toujours nationalisme dès qu'arrive le mot “Allemagne”. "

Sur la culpabilité du peuple allemand :

" Ce n'est pas bien de désigner un seul côté comme coupable, dit le Dr Böttcher. Si nous voulons vraiment aborder la question de la culpabilité, alors je peux vous dire tout de suite mon avis : tout le peuple allemand – à l'exception du petit noyau des combattants clandestins –est coupable, par négligence, par ignorance, par lâcheté, par cette nonchalance typiquement allemande, mais aussi par arrogance, méchanceté, cupidité et besoin de domination. "

Sur la nation allemande et l'humanité :

" En tant qu'Allemands, nous devons gagner cette guerre, avec toutefois cette petite réserve : en tant qu'hommes, nous en avons un peu peur.

— C'est une opinion largement répandue, dit le Dr Böttcher, mais il est facile de la réfuter. Comment peut-il y avoir une divergence entre “allemand” et “humain” ? Il y a quelque chose qui ne va pas, mon ami. Si “allemand” ne veut pas dire “humain”, si je dois dissocier de mon humanité mon identité allemande, alors je ne veux plus être allemand. Or ce qui est allemand a toujours été humain, Dürer, Beethoven, Kant, Goethe, Leibniz sont allemands et universels dans leurs oeuvres, il n'y a pas de différence entre leur origine ethnique et leur culture cosmopolite. Croyez-vous que Beethoven, s'il vivait aujourd'hui, aurait écrit dans le dernier mouvement de sa Neuvième : “Embrassez-vous, millions de sang allemand” ? Non, ce baiser était adressé au monde entier. Et ça ne devrait plus exister aujourd'hui ? "

Au-delà de ces tirades que j'ai trouvées très fortes, il y a un récit rythmé avec des personnages attachants, et surtout la description d'une ville assiégée qui attend la fin de la guerre dans une souffrance intolérable et incompréhensible. J'ai mis une dizaine de jours à le lire, c'est un pavé très riche (plus de 800 pages en version papier), mais ce roman est véritablement un témoignage passionnant et saisissant.

Toujours dans sa post-face, Fritz J. Raddatz résume parfaitement ce livre :

" Un film. Ce livre est un film tourné sur papier. Il a le rythme qu'affectionnent les réalisateurs de documentaires, le montage sec d'un thriller politique, le décor admirablement soigné des grands axes de circulation, des minuscules rues adjacentes, des « passages » quasi inextirpables d'une ville aux millions d'habitants, et cette direction des dialogues qui tantôt sont vifs comme des échanges de ping-pong, tantôt s'étendent largement, dont un roman n'a pas nécessairement besoin, mais dont le cinéma ne peut se passer. Et il a lui aussi un thème musical, dont le compositeur est Heinz Rein : sa haine des nazis, sa rage envers leur crime, appelé la guerre, son effroi devant ce qui a été infligé aux hommes dans l'Allemagne de Hitler, son horreur, doublée de supplication, face à l'assassinat de la ville nommée Berlin, perpétré par des fous – eux-mêmes lâches –méprisant l'humanité, dans un combat final absurde qui n'épargna ni les femmes, ni les enfants, ni les vieillards, ni les estropiés, pas plus que les jeunes aveuglés : Berlin finale."

En conclusion, je ne peux m'empêcher de citer celle de Fritz J. Raddatz, encore et toujours dans post-face :

" Nous devons nous rappeler. Et il faut rappeler ce purgatoire à ceux qui vivent aujourd'hui dans l'aisance, de manière si insoucieuse et agréable. Berlin finale est un livre noir de la honte. "
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