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Critique de Renod


Renod
04 novembre 2014
J'ai découvert Eric Reinhardt il y a deux mois, lors de la rentrée littéraire 2014, avec son livre ''l'amour et les forêts". Peu après, j'ai lu "le moral des ménages". J'ai été impressionné par la puissance de ces deux romans qui traitent de thèmes actuels et qui sont très bien écrits. J'ai choisi de continuer avec "Existence", 3ème opus de Reinhardt, édité en 2004, avant d'attaquer ensuite ses deux succès : "Cendrillon" et "le Système Victoria".

J'ai trouvé très peu d' informations sur ce titre sur internet. Quand j'en ai débuté la lecture, le roman ne bénéficiait sur Babelio que de 20 notes, 2 critiques et aucune citation. Je suppose donc qu'il a eu une audience assez limitée lors de sa sortie et que la popularité de Reinhardt n'a commencé à s'amplifier que trois ans plus tard, à la sortie de « Cendrillon ».
Je vais tenter de réparer cette injustice avec mes petits moyens : une critique sur ce site qui convaincra peut-être des contributeurs plus influents. le roman est formidablement bien construit (alambiqué et intelligent) et écrit. Et je vais tenter de vous démontrer que par certains aspects, il peut-être comparé à d'autres ouvrages d'auteurs comme Houellebecq, Simenon ou même, j'ose l'écrire, Sartre.

L'existence en question, c'est celle de Jean-Jacques Carton-Mercier. Il s'est vengé d'une adolescence minée par les complexes par une réussite scolaire puis professionnelle brillante. Après avoir intégré Polytechnique, il est devenu cadre supérieur. Il a choisi son épouse comme il choisira plus tard son appartement parisien, en vertu d'une notation et de critères complexes, lesquels ne prennent en compte ni le charme, ni la séduction. Mais un fait anodin – l'achat d'un bounty dans une boulangerie lors de sa pause déjeuner– va faire voler en éclats la trajectoire rectiligne de cette destinée. Pressé, horriblement stressé, il doit attendre un long moment dans la boulangerie quand soudain, un banlieusard le prend à partie et se moque de lui provoquant l'hilarité de la boulangère et des clients de la file d'attente. Carton-Mercier, si sûr de sa supériorité, est totalement déstabilisé par cette humiliation. Il va ensuite chercher par tous les moyens – enquête et imagination - à connaître la série de petits accidents, imprévus et hasards qui l'ont conduit en ce lieu et à cet instant, qui ont provoqué cet évènement aux conséquences si fâcheuses.

Carton-Mercier a perdu tous ses repères. le récit se déroule sur vingt-quatre heure mais il n'a aucune conscience du temps. Il vit reclus dans son appartement et ne quittera jamais son immeuble, si ce n'est par ses « flash-back » et ses divagations. Il est en pleine confusion. Il avoue que « depuis maintenant plusieurs jours, j'ignore pourquoi, je suis le lieu d'une insurrection cérébrale affolante. » Et le roman va suivre le rythme effarant de cette «insurrection ». Les conjectures, les fantasmes, les souvenirs vont s'enchevêtrer, et souvent se confondre. le lecteur peine parfois à démêler la véritable trame du récit car ce sont l'angoisse et la névrose qui la guident, et non plus la raison si chère à cet admirateur de Wittgenstein.

Carton-Mercier hait les femmes en général, son épouse en particulier. Il l'humilie en permanence. Elle se nomme Catherine, il l'appelle Francine. Il rejette tous ses désirs : choix d'un appartement, d'une nouvelle décoration, d'une destination de vacances. Même leurs ébats sont dégradants. C'est la frustration qui explique cette haine. Cet homme qui se sent supérieur et qui cherche à tout maîtriser ne parvient pas à faire jouir son épouse, il est impuissant face au plaisir féminin, alors que d'autres qui n'ont pas son intelligence, y parviennent sans effort. Cette épouse qu'il rabaisse a pourtant pris la suite de sa mère puisque c'est elle qui régit toute sa vie, décide ce qu'il mange, comment il doit s'habiller.

Je me permets de rapprocher l'« Existence » de l'existentialisme même si je n'ai qu'une connaissance relative de ce courant de pensée. Carton-Mercier est abattu par une découverte : il n'est pas que celui qu'il pense être, qu'il a choisi d'être, un Polytechnicien admiré et respecté ; il est aussi l'objet de la perception des autres, esclave de leurs jugements, et l'image que ces gens ont de lui semble bien différente de la sienne, puisqu'ils peuvent aussi bien l'estimer que se moquer de lui. Il a construit ses propres illusions pour parvenir à croire qu'il est au-dessus de ces autres qu'il déteste depuis son enfance et contre lesquels il s'est toujours promis de réussir. Il a maîtrisé ses névroses pendant de longues années en se construisant un univers où la logique et l'harmonie dominent. Ses illusions, ses chimères sont fragiles et ne résisteront pas à un évènement fortuit.

Carton-Mercier vit dans la peur des autres : son généraliste, ses collègues, les retraités de son immeuble. Il semble être en plein délire paranoïaque, notamment lorsqu'il déclare : « je suis une île que l'on bombarde, une île que l'on insulte, que l'on éventre, que l'on retourne, que l'on saccage, que l'on démonte pièce par pièce sans ménagement ni scrupule. » Et il a le sentiment que la société entière lui en veut, qu'elle lui brûle l'âme par sa violence et son agressivité.
Deux voisins vont entrer sans raison apparente dans son appartement : un retraité du Fisc et son médecin généraliste. le premier va lui ouvrir les yeux sur son état de délabrement, le second va être un appui qui lui permettra de mieux cerner l'origine deses névroses.

Le récit échappe à toute logique. Tout est absurde. Carton-Mercier est en plein désarroi, il ne parvient plus à comprendre le monde dans lequel il vit. Certaines scènes sont abracadabrantesques. Cela donne des situations insensées, très comiques, notamment dans le dénouement !

Je me suis permis de faire des parallèles avec Houellebecq (narrateur névrosé, frustration sexuelle, société de domination et de violence), Simenon (un être en crise dont la vie bascule après un fait anodin) et Sartre (crise existentielle, 'l'enfer, c'est les autres').

Je vous conseille fortement la lecture de ce roman remarquable. J'ai hâte de lire d'autres interprétations du texte.
Il me reste d'autres romans de cet auteur à découvrir et à critiquer, à bientôt !
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