A peu près en même temps que se produisait ce phénomène unique d'évolution industrielle, on vit apparaître un nouvel idéal sorti de la conception de la Révolution française, idéal qui n'a cessé de s'ancrer plus profondément dans l'âme et dans l'esprit des hommes, si bien qu'il est devenu la religion la plus puissante de notre temps : le Nationalisme. [...] Et depuis lors, comme tout idéal social transformé en dogme, elle est devenue le plus grand obstacle au progrès. Le nationalisme est devenu le credo populaire des masses illettrées, l'expression des instincts les plus bas du complexe d'infériorité collectif, et ceux qui la prônent desservent une religion dogmatique de la façon la plus intolérante qu'on puisse imaginer. II possède toutes les caractéristiques d'une religion rigoureusement dogmatique, profondément enracinée dans l'âme, plus profondément que toutes les disciplines que nous appelons volontiers religions. Les idéaux et les symboles du nationalisme, par exemple l'idée de « mère-patrie », de « drapeau », d'« hymne national », sont des tabous typiques qui, aujourd'hui, dans les pays les plus hautement civilisés, sont plus dangereux à toucher que les cannibales de la mer du Sud. Nul homme, nul parti, n'ose toucher à ces religions, personne n'ose les critiquer. Néanmoins, il faut avouer que l'exaltation de leur culte est une des sources principales des malheurs de notre temps.
Nul symbole à prétention de divinité, objet de culte pour les hommes, n'a jamais donné naissance à autant de misère, de haine, de famine et d'exécutions en masse que la notion de « Souveraineté de la Nation » .