Le livre refermé, on se dit quel bon moment j'ai passé et qu'est-ce que j'ai ri ! Pourtant, l'histoire en elle-même n'est pas si drôle, la narratrice Elisabeth, raconte que son voisin et ami Jean-Lino a un soir, en rentrant d'une soirée un peu arrosée chez elle, étranglé sa femme.
Les protagonistes ont une bonne soixantaine d'années, un peu désabusée, mais somme toute ils ne sont pas malheureux ; assez tristes de vieillir bien sûr - il y a quelques jolis moments sur des promenades en famille et qui marche devant ou traîne la patte - mais ils sont en couples, ont des amis, de la famille, un travail. Jean-Lino, issu d'une famille d'immigrés italiens, vit avec Lydie rencontrée dans le bar où elle chantait, et essaye de séduire sans succès Rémi son petit-fils par alliance, ce qui ne sera pas sans rapport avec le tragique événement.
Lydie est une amie des animaux et soutient toutes sortes de causes dans ce domaine ; le drame proviendra du souvenir raconté par Jean-Lino à la soirée, d'un repas au restaurant au cours duquel elle a interrogé le serveur sur le poulet qu'il va lui servir, ce poulet a-t-il vécu une vraie vie de poulet, pouvant courir et se percher dans une basse-cour... C'est très très drôle.
Il y a d'autres épisodes désopilants au cours desquels le corps de Lydie doit entrer dans une valise, une bataille avec une mouche, des problèmes avec un chat récalcitrant nommé Eduardo, un homme en caleçon rose évasé en jupette, etc.
Et régulièrement, Elisabeth revient sur la mort de sa mère il y a une dizaine de jours, une mère pas gentille mais dont le décès fait remonter des souvenirs...
Un beau livre, plus profond qu'il n'y paraît au départ, qui parle de relations humaines, d'exil, de photographie, de la vie tout simplement ; très réussi grâce à l'écriture malicieuse, pointue et intelligente de
Yasmina Reza, vous l'avez compris, une lecture à ne pas manquer !
Extrait (p 17) : " Dehors il avait le droit de fumer, chez lui non. Je le percevais comme le plus doux des hommes, et je le vois encore de cette façon. Il n'y a jamais eu de familiarité entre nous et on s'est toujours vouvoyés. Mais on parlait, on se disait parfois des choses qu'on ne disait pas à d'autres. Surtout lui. Mais ça pouvait m'arriver aussi. On s'était découvert la même aversion pour notre propre enfance, le même désir de l'effacer d'un trait noir. Un jour, évoquant son parcours sur terre, il avait dit, de toute façon le plus dur est fait."
Extrait (p 137) : " Mais pour boucler la valise, il fallait appuyer et s'asseoir dessus... Ca ne fermait pas. Il restait une béance sur un côté. Jean-Lino s'est assis aussi. Je me suis relevée pour me laisser tomber sur les fesses le plus lourdement possible, Jean-Lino a fait pareil, on se levait et on se laissait tomber, on gagnait des petits centimètres de fermeture éclair. Pour finir je me suis couchée de tout mon long, Jean-Lino s'est couché en sens inverse, tous les deux tournoyant sur les bosses tels des rouleaux à pâtisserie sur une pâte."