"[...] Tu penses que je devrai courir après autre chose que l'argent ? Parfait. Dis moi quoi. Dis moi, espèce de salaud. Je veux des terres, oncle Benjy. Un de ses jours, je vais avoir ma propre maison. Ce sera moi, le roi.".
Voici Duddy Kravitz, sa psychologie du moins. Plutôt simpliste il est vrai.
C'est son zeyda (grand-père en yiddish) qui le lui a dit un jour : un homme sans terre n'est rien. Dès lors il ne cessera de courir après les terres entourant le lac Saint-Pierre, sur lesquelles il a jeté son dévolu obsessionnel. Sans foi ni loi, prêt à tout pour assouvir son désir cupide. Prêt à gâcher l'amour que lui porte Yvette, prêt à sacrifier l'amitié, prêt à donner ses 20 ans en pâture au diable.
le récit est picaresque, il démarre tambour battant sur les traces du jeune Duddy, bad boy charismatique du lycée juif ESFF, capable d'entraîner ses acolytes dans de sombres histoires où des coup de fil peuvent entraîner la mort. Celle de l'épouse de M MacPherson en l'occurrence, professeur rubicond et écossais, échoué dans ce quartier juif de Montréal tout autant que dans son alcoolisme.
Mais ça n'est là qu'un personnage parmi tant d'autres.
La galerie est foisonnante tout au long des 400 pages denses de ce roman. Citons entre autres Jerry Dingleman le Prodige, sorte de mentor de Duddy, Virgil l'épileptique, le frère Lennie Kravitz qui ne chante pas (le roman date de 1954, rien à voir donc avec l'autre Lenny Kravitz) mais se destine plutôt à une carrière dans la médecine.
Un roman dense, riche en dialogues alertes, en situations truculentes.
Mordecai Richler est un auteur canadien, méconnu en France. Comparé parfois à Philip Roth ou John Irving, pressenti même comme le "Tolstoi de l'autodérision" (c'est écrit en 4eme de couv' qui cite le monde des livres) il se joue dans ce roman des destinées en y emmêlant et démêlant sa narration, en virtuose d'une prose ardente, vive, elliptique parfois aussi.
Je sais pas si c'est un "grand", mais je sais qu'après "Solomon Gursky", une fois de plus, j'ai kiffé.
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Jubilatoire, savoureux et néanmoins lucide et de portée large, ce roman des années 1940-50 d'un écrivain canadien peu connu en Europe, est une illustration forte de ce qu'une ambition démesurée peut amener à commettre.
Duddy (David) Kravitz est au début un lycéen, orphelin de mère, élevé par son père chauffeur de taxi, avec un frère aîné, Lenny, étudiant en médecine, dont la formation est prise en charge par son oncle Benjy. La famille vit à Montréal dans un quartier déshérité. Dans ce lycée majoritairement fréquenté par des adolescents juifs, Duddy fait de son professeur d'histoire son bouc émissaire, défiant son autorité et sa personne jusque dans sa vie privée. Monsieur McPherson sombre en dépression, son épouse meurt suite à une intervention de Duddy. Ça commence dur !
Au sortir de ses études, Duddy trouve un travail comme serveur dans un hôtel à Sainte Agathe, fait de Irwin Shubert un ennemi intime, lequel parvient à le dépouiller de ses économies par une roulette truquée. Duddy sort avec Yvette, employée de l'hôtel d'origine modeste, et ensemble, ils découvrent un site autour d'un lac, que Duddy songe acquérir pour en faire un complexe balnéaire de forte rentabilité.
Dès lors, son ambition est toute entière tendue vers cet objectif : trouver le financement nécessaire pour acheter ces terres. Après avoir créer une société de production de films de Bar-Mitsva et de noces, en liaison avec un certain Friar, réalisateur chassé de Hollywood pour sympathies communistes, il se retrouve seul quand Friar abandonne après avoir tenté de séduire Yvette. Duddy se tourne vers celui que l'on nomme le Prodige dans la communauté juive, dont la fortune relève de profits engendrés par des boîtes de nuit et des jeux de hasard. Celui-ci utilise Duddy pour passer à son insu de l'héroïne des US vers Montréal. Aux USA, Duddy rencontre Virgil qui vend des flippers, lui propose de les faire passer au Canada pour les revendre, puis l'embauche comme projectionniste itinérant. Mais Virgil qui est épileptique, a un accident dont il sort paraplégique. Diddy se sent responsable, sombre dans une dépression qui aboutira à la faillite de son entreprise. Un autre évènement se conjugue avec cette culpabilité : la mort de l'oncle Benjy qui souffrait d'un cancer de l'estomac. Duddy avait eu un comportement odieux avec lui peu avant sa mort. Yvette, dont la relation avec Duddy est tumultueuse, se prend de compassion pour Virgil et s'attache à lui.
Duddy, qui a pu acheter quelques terrains autour du lac, doit trouver de l'argent pour acheter les autres. Ses démarches auprès de divers protagonistes n'aboutissent pas et, pressé car le Prodige est intéressé par les terrains à vendre, il falsifie un chèque de Virgil, lui volant ainsi ses économies.
Ce geste frauduleux irréparable le met au ban de ses proches, notamment son grand-père adoré, Yvette et Virgil. Il est néanmoins arrivé à ses fins.
Le personnage de Duddy est surprenant, sympathique pour sa ténacité, antipathique pour son mépris de l'autre. Tout entier tourné vers son son but, trépidant dans son activité, s'aidant parfois de psychotropes, délaissant tous ceux qui pouvaient entraver ses ambitions ou ne pas satisfaire à ses demandes, souvent d'une extrême brutalité dans son expression, sarcastique, moqueur, égoïste à l'extrême, humiliant, voire mortifiant.
Ce roman, presque tout en dialogues vifs, acides, piquants, révèle une critique féroce de l'arrivisme, de l'argent, et une appréhension plutôt pessimiste de l'amitié et de l'amour.
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