Fils d'un tout petit héros
Deux ans après la publication de mon dernier roman, Berney's Version [1997] j'ai reçu un coup de fil d'un journaliste de Toronto.
« Nous faisons une enquête, m'a-t-il expliqué. Sur quoi travaillez-vous en ce moment, monsieur Richler ?
– Oh, dites, j'ai soixante-huit ans. Les romanciers, vous savez, écrivent toujours un livre de trop. C'est ce que je fais en ce moment. »
(p. 297)
Suivait l'avertissement habituel: "L'alcool risque d'altérer votre personnalité et crée une dépendance à laquelle il est difficile d'échapper." Tout comme Dieu, songea Henry en s'étonnant lui-même d'une telle irrévérence.
(page 126)
"Par simple curiosité, demanda-t-il à Henri, qui assistait aux soirées de l'Obergruppenführer ?
- Les mêmes personnes qui venaient aux vôtres, Sir Hyman."
Nicole éclata en sanglots.
"Nous n'avions pas le choix. C'était horrible. Son père était charcutier. Il n'avait pas de manières. Il ignorait même que le pouilly-fumé n'accompagne pas le dessert."
Sir Hyman, courtois comme à son accoutumée, lui prit la main et y déposa un baiser.
" C'est entendu ma chère. Nous n'avons aucune idée de ce que vous avez dû endurer ici."
(page 633)
Par-dessus tout, et dans tout ce qu'il a écrit, y compris ses articles dans la presse, il aura été un véritable écrivain, sans forfanterie comme sans complaisance. Il n'a jamais joué les artistes hypersensibles, il a simplement été un écrivain, de bout en bout, un homme qui a détesté tout ce qui était frelaté, prétentieux ou académique dans le monde des lettres, mais qui a toujours voué un culte inaltérable à la littérature. Il croyait aux livres, et il voulait en écrire un qui soit vraiment grand. C'était un gamin de province, qui voulait vivre de sa plume, et l'homme cosmopolite qu'il est devenu a réalisé ce rêve. Il a adoré sa famille, vécu de son esprit, et a laissé en mourant un livre qui restera. Il est difficile d'imaginer que quelqu'un, quelque soit sa ville, puisse en faire davantage.
(fin de l'introduction d'Adam Gopnik, p. 13)
La poésie est quelque chose qui vient tout naturellement aux Panofsky. Tenez, mon père, par exemple. Le détective inspecteur Izzy Panofsky a quitté en état de grâce cette vallée de larmes. Ça fait aujourd'hui trente-six ans qu'il est mort d'un arrêt du cœur sur une table de massage, dans le nord de Montréal, tout de suite après avoir éjaculé. On m'a appelé pour venir chercher son corps, et, quand je suis arrivé, j'ai été pris à part par une jeune Haïtienne, visiblement secouée. Ce n'était pas pour me dire qu'elles avaient été ses dernières paroles, mais pour m'annoncer qu'il n'avait pas eu le temps de signer sa facture de carte bleue avant d'expirer. En fils attentionné, j'ai réglé ce dernier élan de passion de mon père, sans oublier d'ajouter un généreux pourboire et de formuler toutes mes excuses à l'établissement pour le dérangement. Et, cet après-midi, anniversaire de la mort de mon père, je me suis rendu comme tous les ans en pèlerinage au cimetière de Chevra Kadisha, et, comme tous les ans, j'ai versé sur sa tombe une bouteille entière de whisky de seigle Crown Royal ; et, au lieu de déposer un caillou comme c'est l'usage, j'ai laissé en partant sur la dalle funéraire un sandwich seigle-pastrami et un gros cornichon.
(pp. 292-293)
Nous autres, Panofsky, avons la poésie dans le sang. Prenez mon père, par exemple. C’est en état de grâce que l’inspecteur-détective Panofsky a quitté cette vallée de larmes. Il y a trente-six ans aujourd’hui, il est mort d’une crise cardiaque sur la table d’un salon de massage du nord de Montréal, tout de suite après avoir éjaculé. Sommé de venir récupérer sa dépouille, j’ai été entraîné à l’écart par une jeune Haïtienne, visiblement ébranlée. Elle n’avait pas de dernières paroles à me transmettre, mais elle tenait à souligner qu’Izzy avait quitté ce monde sans signer son bordereau de carte de crédit. En bon fils, j’ai payé l’ultime giclée de passion de mon père, ajouté un généreux pourboire et présenté mes excuses à la maison pour le dérangement. Et cet après-midi, pour souligner l’anniversaire du décès de mon père, j’ai fait mon pèlerinage annuel au cimetière Chevra Kadisha et accompli le rite usuel : j’ai vidé une bouteille de rye Crown Royal sur sa tombe et, en lieu et place d’un caillou, j’ai déposé un smoked meat moyennement gras sur pain de seigle avec un cornichon au vinaigre.
« Dormons.
— Il est encore trop tôt. Nous n’en sommes pas encore au clou de la soirée, le moment où tu me montres une photo de ta légitime en me disant que c’est une femme du tonnerre, que tu ne sais pas ce qui t’a pris, les aurores boréales, peut-être, ou encore l’alcool, mais qu’il ne faut jamais que je t’écrive ou que je téléphone chez toi, merci ma jolie.
— Je ne suis pas marié.
— C’est difficile à comprendre. Un boute-en-train comme toi, dit-elle, le faisant rire pour la première fois.
— Tu es gentille, dit-il.
— Retiens-toi, je te prie. Je risque de prendre la grosse tête.
— Belle ?
— J’ai trente ans, quand même.
— Je ne suis pas marié, moi, mais je suis sûr qu’une fille comme toi…
— Aussi intelligente et talentueuse que toi…
— … a un petit ami.
— Par ici, les hommes ont peur des femmes, surtout de celles qui parlent beaucoup. Ils aiment chasser, pêcher, regarder le hockey à la télévision et dire des cochonneries sur nous au Trapline, dit-elle en l’attirant vers elle.
— J’ai bien peur d’avoir trop bu pour t’être utile ce soir.
— Je ne te fais pas passer un examen, Moses. Détends-toi. Laisse-toi aller.”
À son réveil, il la trouva qui lisait au lit « Cent Ans de solitude » en édition de poche. « Surprise, surprise, dit-elle. Je ne suis pas seulement le coup du siècle. »
Justement, la nuit dernière, au moment de sombrer enfin dans le sommeil, j'ai été incapable de me souvenir du nom du truc qu'on utilise pour égoutter les spaghettis. Imaginez. Je m'en suis servi des milliers de fois. Je le voyais dans ma tête, ce foutu bidule, mais le mot m'échappait. Et je ne voulais pas me lever pour consulter un des livres de recettes que Miriam a laissé ici, parce que je me rappellerais alors que c'est à cause de moi qu'elle est partie. De toute manière, j'allais devoir me lever à trois heures du matin pour pisser. Rien à voir avec le torrent impétueux de l'époque de la Rive Gauche, non, monsieur. Désormais, c'est goutte à goutte, ploc ploc ploc, et j'ai beau secouer mon engin avec la dernière énergie, il y a toujours un filet d'urine qui finit par tacher la jambe de mon pyjama.
Après tant d'années, l'écriture est devenue une habitude. Je ne me demande plus pourquoi j'écris, pas plus que le soudeur ne se demande pourquoi il se présente à l'usine tous les matins. Autrement dit, nous avons tous bien sûr de mauvais moments, mais on n'en continue pas moins. Je ne saurais pas trop que faire jusqu'à seize heures, moment auquel généralement je m'arrête, si je ne pouvais pas m'asseoir devant ma machine à écrire. Et d'ailleurs, je n'ai jamais pu me débarrasser d'une idée, à savoir que je veux porter un témoignage honnête sur mon époque, mon pays, que je veux écrire au moins un roman qui restera, qui me fera passer à la postérité. On comprendra donc que je ne puisse m'arrêter d'écrire.
(p. 21)
Des années plus tard, au lit avec Miriam, après avoir lapé le verre de cognac que je venais de verser sur ses seins, j’ai dit : « Si, le soir de mes noces, tu avais vraiment, vraiment chercher à me prendre au piège, ô diablesse, tu te serais aspergée d’Essence de smoked meat au lieu d’un soupçon de Joy. Un aphrodisiaque irrésistible, fait à partir d’épices vendues chez Schwartz. Je ne sais pas ce qui me retient de l’appeler Nectar de Judée et de faire homologuer le nom.