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Critique de Nastasia-B


Mario Rigoni Stern, ou le triomphe de l'authenticité... Car, voyez-vous, ce n'est pas un écrivain à style ; non, il s'efface derrière son histoire, ses anecdotes : à l'inverse d'un Jean Echenoz dans Je m'en vais, il veut qu'on l'oublie. Mais il a ses raisons le Mario, il sait que ses histoires sont épaisses comme les murs d'une forteresse, qu'elles se suffisent à elles-mêmes, sans qu'il soit besoin d'y rien ajouter. Alors, discrètement, il nous les raconte, sachant très bien qu'on sera emportés par elles.

Pas d'artifice, jamais ; du fond, du fond, rien que du fond. Et pourtant, c'est très bien fait, car bien évidemment, tout cela n'est qu'une illusion et il faut être un drôle de conteur pour parvenir à narrer, sans avoir l'air d'y toucher, un pan entier de l'histoire du monde rural italien, en pleine période fasciste de l'entre-deux guerres.

Le tour de force est là ; donner l'illusion que ça coule tout seul, que c'est évident, que c'est aisé comme le cours de la parole. Mais non, mes chers amis, rien n'est simple en ce bas monde, et c'est un fier travail que de faire croire qu'il n'y en a pas. J'y perçois en tout cas un bel hommage à ces habitants d'un monde qui n'existe plus, qu'il nous adresse, tel un legs.

Ainsi, l'auteur nous raconte Giacomo, un enfant né au pied des Alpes, tout au nord de la Vénétie, à deux pas des frontières autrichienne et yougoslave de l'époque. Ce petit bonhomme a dû naître en quelque chose comme 1920 et Rigoni Stern débute sa narration autour de 1928, pour nous la dérouler jusqu'en 1942, en pleine seconde guerre mondiale.

On se rend bien compte de ce que c'était que la vie dans ce rude milieu rural et montagnard, où la brûlante problématique, chaque jour, de savoir quoi manger le soir occupait pas mal les esprits. Lui, Giacomo, qui vit avec sa soeur aînée, sa mère et sa grand-mère, est un brave petit gars, pas mauvais à l'école, qui aide bien sa famille et qui n'a pas trop le temps de penser à faire des bêtises.

C'est lui l'homme de la famille, car son père, pauvreté et famine aidant, a été contraint d'émigrer pour un temps dans les mirifiques mines de Lorraine afin de faire, bien laborieusement, parvenir, de temps en temps, un petit pécule à la famille, lequel pécule se retrouve bien souvent englouti rien que pour régler les dettes et subvenir aux affaires courantes.

Car là-bas, chaque centime a son utilité ; on ne jette rien et on récupère tout, on use, on archi-use tout jusqu'à la corde car on ne sait pas quand on pourra s'en acheter un neuf. le système d doit souvent se mettre à l'ouvrage...

Oui, elle est bien dure cette vie, et les principales joies résident dans la beauté du cadre, la solidité de la famille et la cohésion des villageois du hameau, qui se serrent les coudes, car tous embarqués dans la même galère.

Le gros problème, ici bas, c'est l'emploi, vous comprenez, et finalement, pour améliorer moindrement le quotidien, la principale source de revenus et d'activité dans la région, c'est d'aller récupérer les métaux et la poudre des diverses munitions et obus tombés lors de la grande bataille avec les Autrichiens en 1917. le plomb, le fer, le cuivre, le laiton, chaque villageois récupérateur est devenu un expert en reconnaissance de type de munition, adeptes du recyclage avant l'heure. Ainsi, la poudre est savamment extraite pour être revendue aux chasseurs...

Mais vous vous doutez bien qu'une telle activité n'est pas tout à fait dénuée de risques. Nombreux sont ceux qui ont perdu un bras, un oeil, ou mieux encore, je vous laisse imaginer. La guerre est finie depuis dix ans, quinze ans, mais elle continue encore à tuer...

Sans compter que notre grand ami Benito Mussolini instaure un grand régime de grande tolérance et qu'il fait grand bonheur à ne pas partager ses idées. La délation va bon train et il faut se méfier de chacune de ses propres paroles qui peuvent constituer un chef d'accusation.

Les ruines de la première guerre mondiale, la mise en place du fascisme dans toute sa splendeur et la crise économique, trois bonnes raisons d'avoir le moral en berne dans cette Italie-là. Pas facile de se construire ni de trouver sa place pour le petit Giacomo, qui peu à peu devient un homme, saison après saison, chacune ayant ses bonheurs et ses difficultés propres.

Un livre fort, sans chichi, qui nous fait affectionner ces villageois et compatir à leurs malheurs, sans jamais jouer dans le pathos, sans oublier un final coup de poing, qui ne saurait vous laisser de marbre, du moins c'est mon avis, pas de saison, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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