Car il faut le répéter à foison : Böcklin est l'un des artistes les plus variés et les plus féconds de notre temps. Il a tout abordé : portrait, marine, paysage pur, paysage historique mêlé d 'architecture, scènes mythologiques, scènes d'histoire, allégorie, peinture religieuse, caricature... et sculpture. Et il a excellé en tout, car en tout il a apporté la plus flagrante originalité. Il est très difficile même de l'envisager sous tous les aspects. La mer, la terre, l'architecture , les hommes , les bêtes et les monstres, il a tout fait tenir dans son oeuvre , l'une des plus extraordinaires qui soient.
A côté des immenses qualités primordiales il y aurait à signaler chez Böcklin des côtés spirituels , comiques, narquois, goguenards qui trahissent une constante bonne humeur, la bonhomie souriante d 'un vieux géant d'un autre âge. Et là , c'est jusque dans le détail qu 'on pourrait pousser la comparaison avec Rabelais ; ses monstres marins, notamment le centaure obèse piaffant dans la vague indigo ardoisé du Musée de Munich et le centaure qui pris de la lubie joviale d'aller se faire ferrer court à la forge du maréchal le plus proche, puis le triton goulu happant les coquillages sur un récif au milieu d'un formidable branle-bas maritime, sont aussi des héros de haute graisse qui ont de la parenté avec Grandgousier, Gargamelle , Gargantua et Pantagruel.
Dans la Suisse romande surtout, cette attitude de la critique envers le plus grand peintre que la Suisse ait produit depuis Holbein, me frappa . Parmi les soi disants amis de l'art et artistes , pas de milieu : ou bien les uns le méconnaissaient totalement, l'éreintaient pour des œuvres d 'extrême jeunesse sans avoir voulu plus tard s 'occuper des suivantes, ou bien les autres l'ignoraient. Son originalité flagrante irritait du reste les premiers qui le dépréciaient, ou plus méchants encore le passaient, eux volontairement, sous silence .