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Critique de Erik35


ENTRE ADÈLE ET SHERLOCK, MAIS UN PEU TROP...

Mars 1956, le 27 mars, quelque part dans la campagne du côté de Leysin en Suisse romande... Notre guide - dont le nom sera réduit à celui de "Biographe" - apporte avec lui le long labeur pour lequel il a été payé, auprès d'un certain "Monsieur Louis", vieil homme aussi étrange que charismatique. C'est son histoire que nous allons découvrir ; la sienne, ainsi que celle de ces faits troublants, emplis de mystères et de danger qui vont nous ramener presque soixante-dix années en arrière. En 1888, le mardi 4 décembre pour être précis. Dans la "ville-lumière", pour l'être encore plus.
Là, nous allons d'abord rencontrer le personnage principal de ce qui s'avère d'abord n'être qu'une étrange mais bien secondaire histoire de disparition de défunt, pour se transformer, peu à peu, en un véritable et méphitique complot. Ce personnage, c'est Eudes Anatole-Faust Lacassagne, surnommé par beaucoup, dont notre narrateur, et second personnage important de l'histoire, "Le Khan", mais aussi "l'homme au moineau" ou encore, par certains de ses détracteurs, "La Castagne", ci-devant inspecteur principal du service de la Sûreté de Paris, l'ancêtre de notre Police Nationale. Son alter ego - au grand dame de Lacassagne, d'ailleurs - sera donc le jeune Louis Bertillon - le "monsieur Louis de la mise en jambe introductive - sémillant mais un brin rondouillard et naïf apprenti policier qui voue un culte sans retenue pour l'homme qu'il peine pourtant à suivre dans les rues de Paris, surtout dans ces rues verglacées et dangereuses.

Enquêtant sur la disparition aussi inopinée que de fort mauvais goût de la dépouille mortuaire d' certain Lucien Gaulard, inventeur, laissant son épouse catastrophée ainsi que nos deux enquêteurs légèrement dans le flou (c'est le moins que l'on puisse en dire). Au fil des pages, le lecteur va comprendre que ce fait divers tragico-comique est loin de n'être que cela. Que les morts disparaissent, et pas qu'un peu. Qu'une étrange fleur, d'une rareté absolue - le Chrysanthème noir, dont il n'aura échappé à personne qu'elle est la fleur symbolique des morts et des cimetières, du moins en Europe - est déposée un peu partout sur les lieux de l'enquête de nos deux hommes. Que des doigts ont tendance à manquer à certains cadavres frais. Que le chef de la Police Municipale, concurrente notoire de la Sûreté, ne cesse de mettre des bâtons dans les roues de nos deux impénitents marcheurs (sic !). Que le gouvernement craint un complot des boulangistes. Qu'un mystérieux correspondant de presse signant de l'acronyme A.K sème le désordre dans les rangs des services de Police tout autant que les interrogations dans l'esprit des lecteurs avides de scandale et de sensations fortes. Qu'un étrange aérostat semble occuper le ciel de Paris, tandis qu'émerge la fameuse Tour de Monsieur Eiffel, clou de cette future exposition universelle de 1889. Que Georges Méliès, Jean-Martin Charcot, Gilles de la Tourette, Alfred Binet, Allan Pinkerton (ressuscité pour "la cause") et bien d'autres, plus ou moins célèbres encore aujourd'hui, ont été convoqués dans ces pages foisonnantes de rebondissements, de surprises (parfois cousues de fil blanc), de magie (celle de Méliès, alors directeur de théâtre ainsi que celle, plus contemporaine d'une ambiance "steam-punk" qui demeure toutefois assez ténue et élégante, n'apparaissant d'ailleurs que dans une seconde moitié du roman).

Les amateurs de romans policiers comme ceux de romans fantastiques - plus précisément mettant en scène des esprits n'attendant qu'une impressionnante transformation pour devenirs de véritables mort-vivants - ou de Steam-Punk délicat seront certainement comblés par ce roman relativement haletant proposé en édition semi-poche par les excellentissimes éditions Libretto à l'occasion de leurs premières vingt années. Nous en profitions pour les remercier de cet envoi, réalisé à l'occasion de la Masse Critique spéciale littérature de l'imaginaire proposée par notre cite de critique en ligne préféré : Babelio !
Cependant, soyons honnête, malgré tout son intérêt, ce premier volet d'un dyptique (dont l'édition poche n'est pas encore parue) ne nous a que partiellement convaincu. Certes, tout cela est fort bien documenté. Oserons-nous dire : trop ? car toutes les recherches que Feldrik Rivat a d'évidence faites ressortent ici de manière tout juste mâchée, mal digérées, et si l'hommage au Paris de cette fin XIXème semble évident, toutes ces références, ces noms, ces lieux, ces petits faits historiques qui émaillent le texte ne font que l'alourdir, le rendre opaque, au détriment d'un vrai suspense et d'une fluidité qu'un peu moins de ces détails - dont n'importe quel lecteur d'ouvrage d'histoire sera frugal - n'aurait certainement pas nuit à la trame. Mais il y a pire : Ce style, qui se veut sans doute aussi proche que possible d'un certain français de l'époque est vite lourd, pesant, ampoulé. En un ou deux mots : presque inutile ! et n'apporte que fort peu - dans la mesure où il se répète indéfiniment - à l'ambiance que l'auteur cherche à camper, si ce n'est un certain ennui et, pour qui aime la littérature de cette époque - j'en suis - ne peux que passer pour pâle imitation. de toute manière, en dehors du pur pastiche - c'est un tout autre exercice - qui pourrait aujourd'hui se targuer d'écrire "comme à l'époque" ? Certes, c'est un peu une mode - dans la lignée d'un Alain Damasio ou d'un Jean-Philippe Jaworski - que de montrer que l'on peut savoir bien, et même très bien, écrire dans le monde des littératures de l'imaginaire de langue française mais... point trop n'en faut !
Plus gênant que cela, si c'est possible : bien qu'amusante, la trame policière est vite brouillonne - ces excès de détails finit par perdre l'auteur lui-même dans les méandres de tout ce qu'il tient absolument à coucher sur le papier - et on découvre une seconde partie de roman à la fois bâclée et peu convaincante. Mais ce sont surtout ces personnages qui laissent de marbre. On veut bien s'intéresser à cet homme froid, distant, insupportable d'orgueil dans les sommets de son intelligence farouche (d'ailleurs, on peine à voir en quoi il l'est tant, intelligent, car il lui faudra être "déniaisé" par le fameux enquêteur américain Pinkerton pour qu'il approche enfin de la vérité... Bien après le dernier tiers du roman), etc, etc, etc. Bref : un Aigle (accompagné d'un moineau...) au milieu des oies blanches, des pigeons ou des vils vautours. On veut bien, ou, plus exactement, on aimerait bien. Mais à force de superlatifs, d'hyperboles et d'emphases, de répétition et de lourdeurs régulières concernant les grandes qualités et les immenses défauts du "Khan", on finit réellement par ne plus y croire, à cette caricature d'enquêteur génial... Dont on constate très vite qu'il est sans doute une manière de Sherlock Holmes à la française. Et ce d'autant plus qu'il est accompagné (suivit comme un toutou affolé et admiratif serait plus exact) d'un jeune homme qui est presque son exact contraire (volubile là où le maître est un "taiseux", grassouillet tandis que l'autre n'est que muscle, originaire du grand monde tandis que le Khan vient d'un univers plus modeste et plus décalé, et l'on pourrait multiplier ce genre de comparaison presque à l'infini) ou l'on finit par voir une correspondance assez précise avec le fameux Docteur Watson des romans et nouvelles du maître britannique du roman criminel, j'ai nommé Sir Arthur Conan Doyle. Un peu moins d'imitation et un peu plus d'originalité n'eut certainement pas nuit. Quant aux autres personnages, ils semblent tout droit tirés des romans-feuilleton de l'époque (les références à ce genre littéraire y sont d'ailleurs récurrents et, pour cette fois, assez bien maîtrisés), jouant comme il se doit à la fois les seconds voire les troisièmes couteaux et ne s'embarrassant guère, pour la plupart, d'une psychologie très fouillée, chacun d'entre eux (le chef de la Sûreté, le "ripoux" de la municipale, le préfet, les représentants du gouvernement, les différents "méchants", etc) étant en quelque sorte des stéréotypes assumés de chacun des genres qu'ils sont supposés illustrer. Dans un tel roman, on en attend pas beaucoup plus de ceux-là et c'est même avec plaisir qu'on les croise.

C'est donc à un Sherlock Holmes français qui se serait retrouvé dans une ambiance à la Adèle Blanc-sec, l'excellente série BD de Jacques Tardi, auquel Feldrik Rivat nous convie dans La 25e heure, dont il est bon de rappeler que c'est la "première enquête" d'une histoire en deux temps et qu'il est toujours délicat d'avoir des jugements définitifs - ainsi que nous l'avons tout de même fait à certains propos - sans en avoir découvert la conclusion. Ce fut, n'hésitons cependant pas à l'affirmer malgré certains points critiques acerbes, une lecture globalement agréable par-delà cette conviction que près d'un tiers du roman aurait pu être avantageusement élagué afin, non seulement, de le densifier mais aussi d'éviter à son auteur de tomber dans tous les péchés mignons que nous avons essayé de détailler. Nul regret, affirmons-le, à avoir découvert cette jeune plume. Sauf, peut-être, ce soupçon de déception qu'il est lui-même passé à côté d'un roman d'une autre force, et c'est là bien dommage.
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