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Citations sur Là-haut (60)

Il y a des choses qui meurent, pensa-t-il, et qui ne reviendront plus. Avec les vieux qui disparaissent, s’en vont les anciennes mœurs, les anciennes idées, tous les vestiges d’un passé qui vécut longtemps, et dont la ruine est rapide. Il y a un monde qui finit tous les jours, un monde dont on pourrait compter sur les doigts les derniers survivants. Que vaudra celui qui naît à la place, si différent, agité, convulsif, hardi, ambitieux ? Sera-t-il meilleur, sera-t-il plus heureux ? C’est le secret des aurores futures. Nos pauvres regards bornés ne le pénètrent pas ; quand nous les promenons autour de nous sur le travail confus du monde nouveau qui se forme, hélas ! tout ce que nous voyons, ce sont les souffrances, les deuils, les misères de ce douloureux enfantement…

Quatrième partie
Chapitre XIII
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Solnoir est un de ces hauts pâturages où les vaches passent leurs deux mois d’été, sous la garde de quelques pâtres et d’un fruitier, qu’absorbe la fabrication du beurre et des fromages. Séparés du monde pour plus de huit semaines, ces quelques hommes s’entassent avec leurs bêtes dans les huttes où souffle le vent aigre des nuits froides par les intervalles des pierres sans ciment et des planches disjointes. Couchés sur une planche, dans une soupente de la chavanne, l’unique pièce qu’ils se réservent en dehors des étables, ils se nourrissent de pain sec et de polenta, qu’ils trempent dans le « petit-lait » ou mélangent au « séret ».Leur travail commence avant l’aube pour se prolonger tard, et, quand ils ne travaillent plus, ils jouent autour de l’âtre ou sur le gazon, à quelque jeu naïf, le « jeu de la truie », ou le « jeu des couteaux », où les triques, les morceaux de bois noueux, les mottes de gazon remplacent les balles et les palettes. Mais plus souvent encore, ils fument des pipes silencieuses, n’ayant rien à se dire au bout des longues journées, toutes pareilles, rompant à peine leur silence pour rire d’un bruit insolite ou d’une grosse farce. De temps en temps, quelque messager vient renouveler leurs provisions, ou des alpinistes leur demandent à s’étendre dans leur foin, avant une ascension. Ils ne savent rien de ce qui se passe loin d’eux, au-dessous d’eux, derrière le rempart de leurs montagnes : ils n’entendent que mugir leurs taureaux, meugler leurs vaches, bruire les eaux qui parcourent leurs gazons, gronder de proches avalanches. Et ils demeurent là, absorbés heure après heure par l’accomplissement de leur besogne ou les soins de leurs bêtes, roulant peut-être en eux de confuses pensées dont ils ne cherchent pas l’expression, enveloppés sans le savoir par la sauvage poésie du paysage et de la solitude, songeant parfois, avec des commencements de terreur, aux légendes de l’Alpe : aux âmes damnées qui errent sur les glaciers voisins ou roulent des pierres dans les lits des torrents.

Première partie
Chapitre IV
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– Ce pauvre Vieille-Suisse ! Où est-ce qu’il ira coucher demain ? Le voilà sur la paille, et c’est la faute de son toqué de fils !

Quatrième partie
Chapitre XII
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Volland contemplait ce spectacle toujours changeant et toujours le même, qu’il avait vu déroulé au pied de tant de cimes. Pour en varier l’aspect, il fit quelques pas sur l’arête, s’éloignant ainsi de ses compagnons. La victoire l’exaltait. La fièvre de la marche battait dans ses veines. Il ne sentait plus aucun vertige, aucune fatigue. Il plongeait ses regards dans le vide, il les emplissait d’espace, de lumière, d’air frissonnant, de lignes superbes, de couleurs merveilleuses. Il buvait la blancheur étincelante des glaciers, le vert des pentes et des vallées, le bleu du ciel. Il ne pensait plus : sa pensée aspirait l’espace. Son âme s’ouvrait pour accueillir, comme en des reflets condensés, toute la beauté des choses : elle s’élargissait, comme si elle eût embrassé l’infini, elle se fondait, elle se dissipait, dégagée de ses liens, délivrée de ses attaches, n’étant plus qu’un atome imperceptible de cet ensemble qu’elle suffisait pourtant à réfléchir avec ses plus légers détails et dans toute son immensité. Il vécut un de ces instants dont la volupté une fois savourée dépose au fond de vous le germe d’un désir éternel ; un de ces instants où la conscience s’évanouit délicieusement dans les choses et se pâme sous la caresse du néant ; un de ces instants où l’on ne sent plus peser sur soi ni le poids fatigant de l’être, ni l’effrayante menace de la mort.

Troisième partie
Chapitre XI
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– Oui, votre argent, répéta-t-il, en les regardant dans les yeux à la ronde, votre argent aussi, vous m’entendez ! L’argent est une graine comme une autre : il faut le semer pour qu’il pousse. Il n’est pas fait pour rester caché dans des bas ou dans des pétrissoires. Il est rond, c’est pour mieux rouler, diable de diable ! Et en roulant, il fait pelote, comme la neige ! (...)

– Vous ne pensez qu’à vos intérêts, Monsieur de Rarogne ; les montagnes sont pour vous une matière qu’on exploite, comme les ardoises des carrières. Ça se vend par petits morceaux ; que çà rapporte, vous n’en demandez pas plus ! Vous ne voyez donc pas qu’il y a toute autre chose en jeu ? Il y a ici, dans ce repli caché des Alpes, loin du reste du monde assez large pour l’amour du gain, il y a un pays qui, depuis des siècles, vit de sa propre vie, fidèle à des mœurs, à ses croyances, à ses traditions, – un bon petit pays, ignorant des laides passions qui avilissent les hommes des villes. – Vous arrivez, vous semez quelques pelletées d’or dans ces champs ingrats et vous dites que l’argent est une graine comme une autre. Ah ! oui, malheureusement ! Une triste graine, Monsieur de Rarogne, une graine qui germe en vilains appétits, une graine maudite, qu’aucun mauvais vent n’avait encore apportée par ici.

Première partie
Chapitre V
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Regardez-la donc : elle est d’une autre beauté, celle-là, plus régulière à la fois et plus mystérieuse. Elle a l’air d’avoir des secrets. Elle réfléchit davantage, plus isolée, ayant des orages dont les éclats ne vont pas jusqu’à la plaine, comme ces grandes âmes solitaires qui demeurent ignorées…
Comme pour lui donner raison, l’énorme montagne, à cette heure, semblait vivre d’une vie active et rapide, d’une vie personnelle, presque humaine. Les couleurs changeantes que les jeux de la lumière étendaient sur son glacier donnaient à sa lourde masse un aspect de figure inquiète, que transforment et bouleversent de puissantes émotions. On la voyait pâlir comme d’effroi, rougir comme de colère ; puis, pour un instant, toute rose, elle semblait une vierge dont le beau sang colore les chairs de marbre. Elle parlait aussi : les continuelles avalanches qui, d’instant en instant s’écroulaient sur ses flancs, lui prêtaient une voix pour gronder, pour gémir, pour pousser des plaintes qui, tour à tour, éclatent ou s’étouffent comme des cris de victoire ou des râles d’amour. Ce n’était plus un entassement inerte de pierres et de neige : c’était un être animé, un monstre superbe dont les formes et la voix dégagent une fascination fatale.

Première partie
Chapitre IV
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Sterny songea : « Voilà une jeune fille qui ne doit pas être heureuse ». Quoique peu enclin, dans son état, à s’occuper des autres, il entrevit une de ces existences de luttes stériles, de résignation vaine, qu’un caprice de la destinée a condamnées à de continuels chagrins, non pas en leur préparant de dures épreuves, mais simplement en les faisant pousser et fleurir sur un sol impropice, comme de fines plantes qui s’étioleraient dans un mauvais terrain, étouffées par des espèces plus communes.

Première partie
Chapitre Il
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Madeleine et Julien s’étaient rendus ensemble sur le Rocher de Croissy pour prendre leur part de l’office, car ce dimanche-là, comme aux dimanches ordinaires, le culte commençait par la bénédiction des tombes. Déjà le curé, en camail rouge, sortait de l’église ; suivi du sacristain portant la croix, il s’avançait dans le cimetière, qui retrouvait un peu de son charme ancien, grâce à de nouvelles fleurs, à de nouvelles tombes, – à de nouveaux morts. (...) Le curé passait, s’arrêtait un instant pour esquisser le geste qui pardonne, la grande croix s’inclinait, les mains des parents agitaient le goupillon, et peut-être que leurs pensées, en ce jour qui ne ressemblait pas aux autres, allaient plus loin que ces humbles tombes, peut-être parce qu’elles remontaient la chaîne des générations jusqu’aux temps où les ancêtres guerroyaient entre eux ou contre l’étranger, pour laisser à leurs descendants plus de paix et plus de liberté, jusqu’aux temps héroïques dont on ne sait plus que de confuses histoires. Cette fois, la bénédiction ne tombait pas seulement sur des pères, sur des maris, sur des enfants enlevés avant l’âge ; les prières ne se bornaient pas à recommander à la clémence des saints leurs humbles âmes isolées : c’était le passé tout entier dont on sanctifiait la mémoire, c’était l’âme de la patrie que l’on confiait à Dieu.

Quatrième partie
Chapitre XIII
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Rentré dans son chalet, Sterny laissa ses yeux errer longtemps dans le noir du paysage invisible, tandis que la Thôse grondait sourdement au fond de ses gorges, et que des souffles d’air parfumé, d’une fraîcheur divine, parcouraient la vallée. Son âme débordait d’une joie qui, dans la paix ambiante, se faisait très douce et très recueillie. Son cœur et ses lèvres murmuraient, dans un invincible besoin de jeter des mots au silence : « Elle m’aime !… Elle m’aime !… Elle pardonne !… » Et la vie ouvrait devant lui des splendeurs ignorées : il s’élargissait, il se multipliait pour l’absorber toute, il voulait aimer, penser, agir avec des forces décuplées. Le passé disparaissait, comme une île de fièvre dont s’éloigne un vaisseau : vainqueur enfin, l’homme nouveau surgissait parmi ces ruines déblayées ; dans un demi-rêve inconscient, il prolongeait le charme de cette heure délicieuse où il touchait au bonheur sans l’avoir encore saisi. Il pensa : « Demain !… Demain !… Demain, toute la vie sera claire, tout l’avenir lumineux… Demain, les dernières traces du passé auront disparu… Demain !… »

Quatrième partie
Chapitre XIII
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Dès la veille de cette grande journée, des feux brillèrent dans la montagne, car c’est une belle coutume, pendant les nuits solennelles, d’allumer des bûchers sur les hauteurs. Dans les temps anciens, quand on redoutait les attaques d’ennemis toujours menaçants, c’était un signal d’alarme : en éclatant dans le ciel, les feux appelaient les pères et les époux à s’unir pour la défense du foyer, et l’on s’armait de la hallebarde ou de l’arbalète. Aujourd’hui, quand ils brillent encore, ils ne parlent plus qu’un langage de bienveillance et de paix : ils sont un salut qu’on s’envoie de village à village, une pensée amicale qui s’en va vers les pâtres isolés dans les hautes Alpes ou qui vient d’eux, un signe d’accord joyeux, d’espoir commun, de foi et de fraternité. Les feux dans les montagnes rappellent que, perdus dans l’immensité des choses, enveloppés dans les mystères de la nature et dans les ténèbres de la nuit, les hommes veillent avec leurs pensées, que leurs âmes brillent comme la flamme et montent comme elle, qu’elles sont aussi des points lumineux dans l’espace, des étoiles allumées par des mains inconnues pour répandre la chaleur, pour semer la lumière, pour se répondre entre elles comme les notes graves d’un écho.

Quatrième partie
Chapitre XIII
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