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Critique de Kez


Et voilà le volume 7 de Jean Christophe lu.

Après avoir eu du mal avec les volumes 5 et 6 qui étaient très pessimiste pour le premier et un peu mièvre pour le second, j'avoue avoir eu beaucoup plus de plaisir avec ce tome 7.

Dans ce volume, Olivier et Christophe décident de partager un appartement. Et si ce n'est que ce roman est écrit au début du 20eme siècle et que l'homosexualité n'est pas acceptable pour l'auteur (http://culture-et-debats.over-blog.com/article-romain-rolland-et-l-amitie-55986645.html), on ne peut pas douter que cette amitié entre Olivier et Christophe ressemble fort à de l'amour.

Enfin ce n'est pas le plus important de ce volume. Il est question de musique, de la race (encore et toujours entendu comme nation / patrie dans certains cas), mais aussi de la guerre, de l'apathie du peuple. Et cette présentation des différents voisins de Christophe et Olivier, de leurs caractères, contradictions est bien plus plaisante que le calvaire de cette pauvre Antoinette (volume précédent) qui se sera sacrifiée pour son frère pour lui assurer un avenir, une profession. Tout cela pour que son benêt de frère finisse par démissionner…

J'ai également pris plaisir à refaire un abécédaire, en y incluant des mots inconnus, des noms de certains des artistes rencontrés dans ce volume ou des mots clés pour me souvenir de ce volume.

A comme Ataraxie : Quiétude absolue de l'âme, idéal du sage, selon l'épicurisme et le stoïcisme.
ou comme / Anatole France

B comme Berlioz / Beethoven / Bruneau

C comme César Franck (symphonie en ré mineur que j'ai écouté en rédigeant cette note) / Clouet / Charpentier / Corneille

D comme Dante / David / Duel / Dumoustier / Debussy / Descartes / Dreyfus

« Votre Debussy est le génie du bon goût ; Strauss, le génie du mauvais. le premier est bien fade. le second, bien déplaisant. L'un est un étang d'argent, qui se perd dans les roseaux et qui dégage un arôme de fièvre. L'autre, un torrent bourbeux… » p 117

E comme Épeurer :
A.− Emploi trans. Faire peur à.
B.− Emploi pronom. à valeur subjective. Prendre peur

Ou comme Esope : D'après la légende, Ésope était un esclave phrygien difforme et spirituel… On lui attribue plus de 300 fables qui mettent en scène des animaux et présentent une morale pratique, … dont s'inspirèrent les fabulistes du Moyen Âge et La Fontaine. Mais ce nom est également une revue dans lequel Olivier écrit des articles.

F comme Flaubert. Il n'est pas tendre avec ses collègues, ce Mr Rolland : "On voyait là des artistes qui prétendaient à la liberté illimitée du rêve, – subjectivistes effrénés, méprisant, comme Flaubert, « les brutes qui croient à la réalité des choses » "

G comme Gluck, Galilée
Ou comme Goujart, un critique que l'on rencontre dans le volume 5 et qui rime avec Goujat de l'art car il représente ces critiques qui n'y connaissent rien mais donne le ton.

Ou comme gallophobe : adjectif. Qui est hostile à la France, aux Français, en parlant des personnes. Qui manifeste, qui exprime des sentiments hostiles à la France, en parlant des choses. Écrits, propagandes gallophobes.

H comme Hyperesthésie : Accentuation de la sensibilité qui transforme certaines sensations (tactiles, thermiques) en sensations de douleur.
Ou comme Haydn / Hugo

I comme Iphigénie

J comme Juif. Il y a de nombreux exemples qui seraient qualifiés aujourd'hui d'antisémites. Mais Rolland s'en défend. Je vous laisse juge…

« Christophe, partagé entre son agacement et sa sympathie pour Mooch eut une fois un mot cruel d'enfant terrible. Un jour qu'il était ému de la bonté de Mooch, il lui prit affectueusement les deux mains et dit :
– Quel malheur !… Quel malheur que vous soyez Juif !…
Mooch sourit, avec une ironie triste, et il répondit tranquillement :
– C'est un bien plus grand malheur d'être un homme. » P89

« Pourtant, il était excellent patriote, plus attaché à la France que beaucoup de Français autochtones. Les antisémites français font une mauvaise action et une sottise, en décourageant par leurs soupçons injurieux les sentiments français des Juifs établis en France. En dehors des raisons qui font que toute famille s'attache nécessairement, au bout d'une ou deux générations, au sol où elle s'est fixée, les Juifs ont des raisons spéciales d'aimer le peuple qui représente en Occident les idées les plus avancées de liberté intellectuelle. Ils l'aiment d'autant plus qu'ils ont contribué à le faire ainsi, depuis cent ans, et que cette liberté est en partie leur oeuvre. Comment donc ne la défendraient-ils pas contre les menaces de toute réaction féodale ? C'est faire le jeu de l'ennemi, que tâcher – comme le voudraient une bande de fous criminels, – de briser les liens qui attachent à la France ces Français d'adoption. »

« Que serions-nous, mon pauvre Christophe, quelle serait notre action, à nous, catholiques de race, qui nous sommes faits libres, sans une poignée de libres protestants et de Juifs ? Les Juifs sont dans l'Europe d'aujourd'hui les agents les plus vivaces de tout ce qu'il y a de bien et de mal. Ils transportent au hasard le pollen de la pensée. N'as-tu pas eu en eux tes pires ennemis et tes amis de la première heure ?

– Cela est vrai, dit Christophe ; ils m'ont encouragé, soutenu, adressé les paroles qui raniment dans la lutte, en montrant qu'on est compris. Sans doute, de ces amis-là, bien peu me sont restés fidèles : leur amitié n'a été qu'un feu de paille. N'importe ! C'est beaucoup que cette lueur passagère, dans la nuit. Tu as raison : ne soyons pas ingrats !

– Ne soyons pas inintelligents surtout, dit Olivier. N'allons pas mutiler notre civilisation déjà malade, en prétendant l'ébrancher de quelques-uns de ses rameaux les plus vivaces. Si le malheur voulait que les Juifs fussent chassés d'Europe, elle en resterait appauvrie d'intelligence et d'action, jusqu'au risque de la faillite complète. Chez nous particulièrement, dans l'état de la vitalité française, leur expulsion serait pour la nation une saignée plus meurtrière encore que l'expulsion des protestants au XVIIe siècle. – Sans doute, ils tiennent, en ce moment, une place sans proportion avec leur valeur réelle. Ils abusent de l'anarchie politique et morale d'aujourd'hui, qu'ils ne contribuent pas peu à accroître, par goût naturel, et parce qu'ils s'y trouvent bien. Les meilleurs, comme cet excellent Mooch, ont le tort d'identifier sincèrement les destinées de la France avec leurs rêves juifs, qui nous sont souvent plus dangereux qu'utiles. Mais on ne peut leur en vouloir de ce qu'ils rêvent de faire la France à leur image : c'est qu'ils l'aiment. Si leur amour est redoutable, nous n'avons qu'à nous défendre et à les tenir à leur rang, qui est, chez nous, le second. Non que je croie leur race inférieure à la nôtre : – (ces questions de suprématie de races sont niaises et dégoûtantes.) – Mais il est inadmissible qu'une race étrangère, qui ne s'est pas encore fondue avec la nôtre, ait la prétention de connaître mieux ce qui nous convient, que nous-mêmes. Elle se trouve bien en France : j'en suis fort aise ; mais qu'elle n'aspire point à en faire une Judée ! Un gouvernement intelligent et fort, qui saurait tenir les Juifs à leur place, ferait d'eux un des plus utiles instruments de la grandeur française ; et il leur rendrait service, autant qu'à nous. Ces êtres hypernerveux, agités et incertains, ont besoin d'une loi qui les tienne et d'un maître sans faiblesse, mais juste, qui les mate. Les Juifs sont comme les femmes : excellents, quand on les tient en bride ; mais leur domination, à celles-ci et à ceux-là, est exécrable ; et ceux qui s'y soumettent donnent un spectacle ridicule. »

Ou J comme Jannequin

K comme Kapellmeister (un journal de musique),
ou comme Kropotkine

L comme logogriphe.
DIDACTIQUE Énigme, procédé consistant à composer plusieurs mots formés des lettres d'un mot principal, qu'il faut deviner.Avec le mot « orange », on peut former par logogriphe « orage », « rage », « nage », « orge », etc.
AU FIGURÉ ET LITTÉRAIRE : Discours obscur, inintelligible.

Ou comme Lévi-Coeur : R Rolland choisit des noms de personnage, qui laissent peu de doute sur la façon dont ils sont présentés (voir Goujard)

M comme Mooch : une connaissance juive (description caricaturale / archétype) « Mooch était, d'apparence, plus Juif que de raison : le Juif, tel que le représentent ceux qui ne l'aiment point : petit, chauve, mal fait, le nez pâteux, de gros yeux qui louchaient derrière de grosses lunettes, la figure enfouie sous une barbe mal plantée, rude et noire, les mains poilues, les bras longs, les jambes courtes et torses : un petit Baal syrien. »
ou comme Millet / Mozart.

N comme Napoléon

O comme Olivier : toujours aussi souffrant que dans le volume 6. « – Quel petit être nerveux ! pensait-il. On dirait une femme. »

P comme Pasteur
Ou comme Pyrrhonisme : le scepticisme, aussi appelé pyrrhonisme, est à l'origine une philosophie et une méthode grecque antique qui compare et oppose toutes choses afin d'atteindre la tranquillité de l'âme. le sceptique pyrrhonien dit que rien n'est vrai ni faux, ni vrai et faux à la fois, et pas même cette dernière phrase car elle s'oppose à elle-même.

P comme Phrygie ; ancien pays entre la Lydie et la Cappadoce (cela n'apparait pas dans ce volume mais je l'inclus du fait de Esope. Fascinant de voir que des pays disparaissent… on le sait pour les civilisations…

Q comme Qualis artifex pereo, Quel artiste va perdre le monde.

R comme race : mot qui revient 48 fois sur 182 pages…
ou comme Renan / Rabelais / Roncard / Rameau / Racine

S comme Strauss / Stendhal / Shakespeare

T comme Théâtre

U comme Univers : intérieur, très important pour Olivier. Et composé de musique pour Christophe.

V comme Virgile
Ou veau (épisode post duel) « il s'orienta d'après la voix, et il finit par le trouver dans une petite clairière, les quatre fers en l'air, se roulant comme un veau. Lorsque Christophe le vit, il l'interpella joyeusement, il l'appela « son vieux Moloch », il lui raconta qu'il avait troué son adversaire. » Rolland utilise des images parfois surprenantes…

V comme Valmy

W comme Wagner

X : saviez-vous qu'il n'y aucun mot commençant par un X dans ce volume ? Et que le seul compositeur (d'après Google commençant par un X est né en 1922 (donc après ce roman)…

Y comme Ysolde, « prostituée juive » p 117

Z comme Zeitung (Frankfurter) : Quand le succès arrive Outre Rhin.

Le style ainsi que quelques unes des pensées politiques de R Rolland, je vous le laisse découvrir en quelques phrases.

« … l'histoire fournit à la politique tous les arguments dont elle a besoin, pour la cause qu'il lui plaît. »

« Presque tous ceux qu'il voyait dans les divers milieux bourgeois, étaient des mécontents. Presque tous avaient le même dégoût pour les maîtres du jour et pour leur pensée corrompue. Presque tous, la même conscience triste et fière de l'âme trahie de leur race. Et ce n'était pas le fait de rancunes personnelles, l'amertume d'hommes et de classes vaincus, évincés du pouvoir et de la vie active, fonctionnaires révoqués, énergies sans emploi, vieille aristocratie retirée sur ses terres et se cachant pour mourir, comme un lion blessé. C'était un sentiment de révolte morale, sourd, profond, général : on le rencontrait partout, dans l'armée, dans la magistrature, dans l'Université, dans les bureaux, dans tous les rouages vitaux de la machine gouvernementale. Mais ils n'agissaient point. Ils étaient découragés d'avance : ils répétaient :
– Il n'y a rien à faire. »

« Faites votre police, vous-mêmes ! Qu'attendez-vous ? Que le ciel se charge de vos affaires ? Tiens, regarde, en ce moment. Voici trois jours que la neige est tombée. Elle encombre vos rues, elle fait de votre Paris un cloaque de boue. Que faites-vous ? Vous vous récriez contre votre administration, qui vous laisse dans l'ordure. Mais vous, essayez-vous d'en sortir ? Qu'à Dieu ne plaise ! Vous vous croisez les bras. Aucun n'a le coeur de dégager seulement le trottoir devant sa maison. Personne ne fait son devoir, ni l'État, ni les particuliers : l'un et l'autre se croient quittes, en s'accusant mutuellement. Vous êtes tellement habitués par vos siècles d'éducation monarchique à ne rien faire par vous-même que vous avez toujours l'air de bayer aux corneilles, dans l'attente d'un miracle. le seul miracle possible, ce serait que vous vous décidiez à agir. »

« Et si vous vous demandez à quoi bon se donner tant de peines, à quoi bon lutter, à quoi bon ?… eh bien, sachez-le : – Parce que la France meurt, parce que l'Europe meurt, – parce que notre civilisation, l'oeuvre admirable édifiée, au prix de souffrances millénaires, par notre humanité, s'engloutira, si nous ne luttons. La Patrie est en danger, notre Patrie européenne, – et plus que toutes, la vôtre, votre petite patrie française. Votre apathie la tue. Elle meurt dans chacune de vos énergies qui meurent, de vos pensées qui se résignent, de vos bonnes volontés stériles, dans chaque goutte de votre sang, qui se tarit, inutile… Debout ! Il faut vivre ! Ou, si vous devez mourir, vous devez mourir debout. »

« Chaque jour, maintenant, à la même heure, elle attendait, avec une impatience irritée, que le piano commençât ; et lorsqu'il tardait, son irritation n'en était que plus vive. Elle devait, malgré elle, suivre jusqu'au bout la musique ; et quand la musique était finie, elle avait peine à retrouver son apathie. – Et, un soir qu'elle était tapie dans un coin de sa chambre obscure, et qu'à travers les cloisons et la fenêtre fermée, lui arrivait la musique lointaine, elle fut prise d'un frisson, et la source des larmes de nouveau jaillit en elle. Elle rouvrit la fenêtre ; et désormais, elle écoutait en pleurant. La musique était une pluie, qui pénétrait goutte à goutte son coeur desséché, et qui le ranimait. Elle revoyait le ciel, les étoiles, la nuit d'été ; elle sentait poindre, comme une lueur bien pâle encore, un intérêt à la vie, une sympathie humaine. Et la nuit, pour la première fois depuis des mois, l'image de sa petite fille lui reparut en rêve. – Car le plus sûr chemin qui nous rapproche de nos morts, ce n'est pas de mourir, c'est de vivre. Ils vivent de notre vie, et meurent de notre mort. »

« Depuis des années, les doctrines pacifistes et antimilitaristes se répandaient, propagées à la fois par les plus nobles et les plus vils de la nation. L'État les avait longtemps laissé faire, avec le dilettantisme énervé qu'il apportait à tout ce qui ne touchait point à l'intérêt immédiat des politiciens ; et il ne pensait pas qu'il y aurait eu moins de danger à soutenir franchement la doctrine la plus dangereuse, qu'à la laisser cheminer dans les veines de la nation et y ruiner la guerre, tandis qu'on la préparait. Cette doctrine parlait aux libres intelligences, qui rêvaient de fonder une Europe fraternelle, unissant ses efforts, en vue d'un monde plus juste et plus humain. Et elle parlait aussi au lâche égoïsme de la racaille, qui ne voulait point risquer sa peau, pour qui que ce fût, pour quoi que ce fût. »
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