Je voudroi bien richement jaunissant
En pluïe d'or goute à goute descendre
Dans le beau sein de ma belle Cassandre,
Lors qu'en ses yeux le somme va glissant.
Je voudroi bien en toreau blandissant
Me transformer pour finement la prendre,
Quant elle va par l'herbe la plus tendre
Seule à l'escart mile fleurs ravissant.
Je voudroi bien, affin d'aiser ma peine
Estre un Narcisse, & elle une fontaine
Pour m'i plonger une nuit à séjour :
Et voudroi bien que cette nuit encore
Durât tousjours sans que jamais l'Aurore
D'un front nouveau nous r'allumât le jour.
Sa honte un feu, et ses yeux une pluie.
Un Prométhée en passions je suis.
(Amours de Cassandre, XII)
Malgré sa vision pessimiste des rapports humains, malgré sa réflexion désabusée, -et très moderne- sur les illusions pathologiques de la passion, Ronsard a chanté l'amour parce qu'il est l'acte poétique par excellence.
Vivez si m'en croyez,
n'attendez à demain
cueillez dès aujourd'hui
les roses de la vie.
Qui voudra voir comme un Dieu me surmonte,
Comme il m'assaut, comme il se fait veinqueur,
Comme il renflame & renglace mon cœur,
Comme il reçoit un honeur de ma honte :
Qui voudra voir une jeunesse pronte
A suivre en vain l'objet de son malheur,
Me viene voir : il verra ma douleur,
Et la rigueur de l'Archer qui me donte.
Il conoitra combien la raison peut
Contre son arc, quand une fois il veut
Que nôtre cœur son esclave demeure :
Et si verra que je sui' trop heureus
D'avoir au flanc l'eguillon amoureus
Plein du venin, dont il faut que je meure.
Sonnet 62
Là je sentis dedans mes yeux voler
Un doux venin, qui se vint écouler
Au fond de l'âme; ...
23
Ce beau coral, ce marbre qui soupire,
Et cet ébéne, ornement d'un souci,
Et cet albâtre en voute racourci,
Et ces zaphirs, ce jaspe, & ce porphyre :
Ces diamants, ces rubis, qu'un Zephyre
Tient animés d'un soupir adouci,
Et ces oeillets, & ces roses aussi,
Et ce fin or, où l'or mesme se mire :
Me sont au coeur en si profond esmoi,
Qu'un autre objet ne se presente à moi,
Si non le beau de leur beau que j'adore :
Et le plaisir qui ne se peut passe
De les songer, penser, & repenser,
Songer, penser & repenser encore.
Ciel, air & vents, plains & monts descouvers,
Tertres fourchuz, & forestz verdoyantes,
Rivages tortz & sources ondoyantes,
Taillis razez, & vous bocages verds,
Antres moussus à demyfront ouvers,
Prez, boutons, fleurs, & herbes rousoyantes,
Coustaux vineux, et plages bolondoyantes,
Gastine, Loyr, & vous mes tristes vers :
Puis qu'au partir , rongé de soing & d'ire,
A ce bel œil, je n'ay sceu dire
Qui pres & loing me detient en esmoy :
Je vous supply, ciel, air, ventz, montz & plaines,
Taillis, forestz, rivages & fontaines,
Antres, prez, fleurs, dictes le luy pour moy.
p. 43
Classiques Garnier - Edition de H. et C. Weber - 1993
L'an se rajeunissait en sa verte jouvence
Quand je m'épris de vous, ma Sinope cruelle ;
Seize ans étaient la fleur de votre âge nouvelle,
Et votre teint sentait encore son enfance.
Vous aviez d'une infante encor la contenance,
La parole, et les pas ; votre bouche était belle,
Votre front et vos mains dignes d'une Imrnortelle,
Et votre oeil, qui me fait trépasser quand j'y pense.
Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit,
Dans un marbre, en mon coeur d'un trait les écrivit ;
Et si pour le jourd'hui vos beautés si parfaites
Ne sont comme autrefois, je n'en suis moins ravi,
Car je n'ai pas égard à cela que vous êtes,
Mais au doux souvenir des beautés que je vis.