Il voulait rencontrer une femme qui le place au centre de son univers – ou tout au moins de ses pensées. Au centre de ses sentiments. Il voulait qu'une femme le porte dans son cœur. Cela ne datait pas d'hier, et il ne s'en cachait pas. Il voulait rencontrer quelqu'un qui l'aime, qui l'écoute. Qui ne le regarde pas d'un air mitigé après avoir vu sa canne.Et ses cicatrices.
Ces histoires de pulsions amoureuses entre hommes et femmes étaient carrément surfaites. Surtout quand l'homme en question était creux comme un radis, et la femme naïve comme une adolescente.
Toutes les secrétaires de département d'histoire qu'il avait connues étaient des
cinquantenaires grisonnantes avec une flopée de petits-enfants. Caroline...c'était tout le contraire. Une bouffée d'euphorie monta en lui au souvenir de ses rondeurs harmonieuses, de son adorable rougissement quand elle s'était aperçue qu'il la regardait. Elle avait tout ce qu’il recherchait chez une femme : beauté, compassion, intelligence.
Que c'était dur, ce travail où elle devait porter des cartons presque aussi lourds qu'elle ! A l'époque, son dos lui faisait encore mal, et elle utilisait une canne pour aller de son petit appartement jusqu'à l'arrêt du bus qui l'emmenait au travail. Que de fois elle s'était endormie en pleurant à cause de la douleur ! Seuls les encouragements constants de Dana, la peur de voir son fils grandir dans le dénuement et sa volonté de fer l'avaient empêchée de tout laisser tomber et poussée à faire ses exercices de sténodactylo jusqu'à en avoir mal partout et les yeux qui brûlaient.
Rien n'était plus éloigné de la vérité, comme elles le savaient toutes les deux. Grâce à un savant dosage d'humour et de sérieux, Dana avait aidé Caroline à garder la tête hors de l'eau dans ses périodes les plus sombres. Elles étaient d'excellentes amies. Et, après tant d'années passées dans une solitude absolue, Caroline était très sensible à la valeur d'une amie de la trempe de Dana Dupinsky. Plus intelligente, plus loyale, plus chaleureuse, ça n'existait pas.