Il est intéressant de connaître à ce propos la technique de son art, la voici
dans une note adressée à Ducreux: Finissez vos ouvrages tant que vous pourrez revenez y trente fois s'il le faut, vos fonds bien empastés tachez de faire au premier coup, et ne craignez jamais de revenir après, pourvu que ce soit en glacis; n'empastez jamais vos dentelles ni vos gazes; soyez piquant si vous ne pouvez pas être vrai, ne faites jamais vos têtes plus grosses que nature ni au dessous autant qu'il vous sera possible. Faites des études pour vous orner la mémoire; surtout du paysage pour devenir harmonieux, n'entreprenez que ce que vous pourrez faire dans votre essence et hâtez vous lentement, tachez d'établir, s'il est possible, vos ombres et de les dégrader surtout pour les grandes masses et alors ne posez votre ton qu'après l'avoir comparé du fort au faible, vous serez toujours surs de faire tourner. Faites des études avant que de peindre en dessinant surtout."
IL est peu d'artistes dont l'oeuvre soit aussi évocatrice d'une originalité bien spéciale. Quand on dit un " Greuze," on voit de suite une toile de coloration fraîche et séduisante, des têtes de jeunesse et de charme, une peau douce, des regards clairs, voluptueux parfois comme en certaines études de bacchantes, des chevelures blondes, des lèvres purpurines, surtout maintenant que nous admirons plus le peintre que l'inventeur de ces romances sentimentales popularisées par la gravure. Le métier de l'artiste nous enthousiasme, mais nous ne ressentons plus guère d'émotion à ses drames de famille; cette sentimentalité, enclose dans des titres légendaires, nous laisse indifférents. Le morceau, d'exécution souple et séduisante, nous occupe plus que l'anecdote.
Diderot ne s'en aperçut pas, il célébrait ces œuvres qui prouvaient, disait-il, "autant de grandes qualités de cœur que de morale," et il s'écriait avec un lyrisme qui nous étonne un peu: Beau! très beau! sublime! Courage, mon ami Greuze, continuez toujours à peindre de tels sujets, et quand la mort viendra, il n'y aura rien que vous ayez peint que nous ne puissiez vous rappeler sans plaisir."
Jean-Baptiste Greuze, d'une intelligence vive et d'une volonté ambitieuse, saisit l'occasion d'attirer l'attention sur lui, et s'appliqua à satisfaire cette"débauche de morale comme on disait alors; son tableau arrivait au moment psychologique, pour charmer un public lassé des pastorales et des amourettes.
Quand il atteignit sa vingtième année, Jean-Baptiste se sentit attiré par Paris; il y arriva avec un mince bagage, y vécut des premiers temps difficiles, partageant ses journées entre des études à l'Académie et des besognes de peinture comme celles qu'il faisait à Lyon. Enfin ses travaux attirèrent l'attention de deux artistes renommés qui allaient devenir ses amis, Sylvestre, et Pigalle, le sculpteur du roi.