Ce court roman publié en 2014 est un bel hommage de Rufin aux poilus -de toute nation- de la grande guerre. Il raconte avec justesse la naïveté patriote de jeunes gars des campagnes abandonnant à leurs épouses le soin des champs et des bêtes, l'enfer des tranchées et des combats à la baïonnette, la courante incurie des états-majors, ne sachant souvent opposer à l'acier que des barricades de chair humaine.
Rufin montre avec brio et sans insister comment la révolution soviétique s'est nourrie de cette souffrance. Parce qu'elle a aussi laissé des traces sur la psychologie de la France de 1919 auss , certaines passages évoquent aussi irrésistiblement Joyeux Noël, ou le Voyage au bout de la Nuit.
En outre, ces riches références n'empêchent pas
Jean-Christophe Rufin de construire les ressorts de son roman autour de sa propre expérience, comme il le fait souvent. Ainsi le mystérieux collier rouge est-il issu d'un réel fait divers, raconté par un camarade de Rufin à propos de son grand-père.
Cela rend plus intime le récit, et fait passer le contexte historique au second plan derrière une intrigue quasi-policière, un suspense que l'écrivain voyageur entretient parfaitement, distillant méthodiquement au lecteur les pièces du puzzle.
Pour autant, je dois avouer qu'il m'aura manqué dans cette lecture un élément essentiel : l'émotion ! Malgré l'excellent film de 2018 avec
François Cluzet -visionné après la lecture, et très fidèle à l'ambiance du livre, malgré quelques libertés sur la fin-, je ne partage donc pas l'enthousiasme de beaucoup de lecteurs.
La première raison en est probablement que mes précédentes lectures de Rufin avaient placé la barre très haut : ses talents de conteur et son rythme de reporter m'avaient fait dévorer ses grands romans d'aventure que sont
l'Abyssin et
Sauver Ispahan. Dans
le Collier Rouge, son expérience du voyage ne sert que peu.
Il s'agit au contraire dans "l'affaire du collier" de conter un lent interrogatoire, sous la chaleur de l'été écrasant la campagne française, de créer une ambiance lourde et dépressive, qui embaume les personnages; marqués par leurs souffrances passées... et d'en faire ressortir auprès du lecteur contemporain le contraste dérisoire avec la raison du procès.
Autre frustration personnelle, elle aussi probablement voulue par l'auteur, qui sort avec ce livre de sa "zone de confort" : point de personnages romanesques, aux émotions fortes et aux actes héroïques. Bien au contraire, Valentine, Lantier ou Morlac, tous héros de roman en puissance, apparaissent au final comme des éclopés de la vie, luttant pour retrouver une raison d'avancer malgré les souffrances subies. On est bien en 1919, et c'est donc à raison que Rufin rompt avec son style habituel, par fidélité à la trame et au contexte de son roman.
De même -et cela est en partie détourné dans le film-, le rapport de Morlac à Guillaume -le chien- est empreint de réalisme : bien sûr le chien, véritable héros de chair -mais aussi anti-héros symbolique du fanatisme patriote-du roman -et je ne dirai pas pourquoi pour limiter le spoil- suscite la sympathie du lecteur, mais il ne reste qu'un cabot dans cette société paysanne d'après guerre, à l'heure où la vie humaine elle-même a été ramenée à si peu de choses...
Il en est de même de la plupart des émotions et des rapports humains filtrant des dialogues entre les personnages : chacun masque ses blessures, dans une pudeur et une dureté qui génèrent la tension dramatique et font la trame du récit.
Pour finir, j'ai regretté l'énergie joyeuse et l'enthousiasme à laquelle M. Rufin m'a habitué, mais je comprends et respecte sa démarche, et le projet d'écriture.
le Collier Rouge est donc un roman remarquable de cohérence dans le message qu'il passe, dans l'expression et la narration. Mais pour ma part j'ai été plus touché par d'autres romans d'après Guerre. Quant à l'histoire du chien, il me semble que sa capacité à faire pleurer dans les chaumières devant ses qualités magnifiques, est un contresens par rapport à l intention de l'auteur, réflexion sur l'homme plus que sur l'animal, entre engagement et pacifisme.