Imaginez un lac. Une eau tranquille, étale.
Imaginez maintenant une pierre heurtant violemment la surface.
Impact soudain, éclaboussures, ondes de choc.
C'est un peu comme ça, me semble-t-il, qu'
Emily Ruskovich a construit ce premier roman étonnant, déroutant, magnétique.
Le lac paisible c'est la famille Mitchell (Wade et Jenny, avec leurs deux filles May et June), et le météore qui fracasse le plan d'eau, le big-bang inopiné, c'est ce drame survenu en 1995 à l'arrière du pick-up familial.
Pour les Mitchell rien ne sera plus comme avant.
Autour de ce terrible épicentre, les remous ne cessent de se propager dans toutes les directions : nous voilà donc passant de l'un à l'autre pour suivre le mouvement saccadé et un peu décousu imposé par l'auteur. C'est en effet dans le désordre le plus total et en s'affranchissant des conventions chronologiques qu'
Emily Ruskovich lève le voile, lentement et par petites touches, sur les causes et les effets du funeste élément déclencheur évoqué dès le premier chapitre.
Elle parcourt ainsi plusieurs époques et multiplie les allers-retours temporels, sondant toujours en profondeur la détresse, les espoirs et les doutes de ses personnages, à commencer par ceux de Wade et de sa nouvelle compagne, Ann. Lui ne s'est jamais vraiment remis du drame de 95, et doit en outre lutter contre une sénilité précoce qui brouille ses souvenirs... le portrait qu'en fait l'auteur, celui d'un homme dont la mémoire peu à peu s'effiloche en lambeaux et qui cherche en vain la source de sa douleur, est particulièrement émouvant.
Emouvante aussi la dévotion d'Ann, prête à tous les sacrifices pour préserver la flamme dans l'oeil de celui qu'elle l'aime, pour chasser les fantômes et pour faire la lumière sur les mystères de sa vie d'avant.
Emouvant enfin le sort de Jenny, la première épouse, sur laquelle je me garderai bien de m'épancher ici.
Derrière ces trois personnages forts, admirablement travaillés et indissociablement liés par une même tragédie,
Emily Ruskovich dessine en toile de fond le décor superbe, âpre et sauvage d'un
Idaho qu'elle semble avoir longtemps arpenté, au point d'en faire pour nous une peinture merveilleuse. Aucun doute, nous sommes bien chez Gallmeister et la nature est là, partout, éternelle et grandiose.
Je peux toutefois comprendre que la plume originale et extrêmement sensible de l'auteur, qui parfois s'attarde longuement sur des détails en apparence insignifiants, ait pu désacarçonner certains lecteurs. On a parfois, c'est vrai, l'impression d'un récit qui s'éparpille un peu, à l'image de ces vaguelettes troublant sans fin la surface du lac en cercles concentriques, et qui pose beaucoup plus de quesions qu'il n'apporte de réponses.
Il n'en demeure pas moins qu'
Emily Ruskovich signe là un texte prometteur, poétique et parfaitement maîtrisé, une enquête familiale qui prend son temps, se lit avec lenteur et suscite beaucoup d'émotions.
Iadho restera donc pour moi un roman à part et d'une grande beauté, un Gallmeister très réussi (un de plus !) mais qui se démarque assez nettement, j'en conviens, de tous les autres titres de la collection que j'ai eu la chance de tenir dans mes mains !