Traduit par
Marie Hermet
"Martin Toppy est le fils d'un homme célèbre chez les gens du voyage et le père de mon enfant à naître. Il a dix-sept ans, j'en ai trente-trois. J'étais son professeur particulier."
Je vous préviens : si vous voulez lire une histoire de cougar, avec tout un tas de détails scabreux et obscènes, cette histoire n'est pas pour vous ! Si vous voulez une histoire d'amour avec des violons (ou plutôt du fiddle irlandais), ce n'est pas ça non plus !
Quant au titre,
Tout ce que nous allons savoir (All we shall know), c'est un vers du poème "Une chanson à boire" de
W. B. Yeats, le grand poète irlandais : "Le vin se boit par la bouche/ Et l'amour se boit par les yeux ;/C'est
tout ce que nous allons savoir/Avant de vieillir et mourir/Je lève mon verre à ma bouche,/Je vous regarde, et je soupire."
Alors voilà : Melody Shee nous raconte son histoire, depuis sa douzième semaine de grossesse jusqu'au post-partum. Elle est mariée à Pat, qu'elle connaît depuis ses études, le seul et unique homme qu'elle avait jusque-là embrassé et tout le reste... Pourtant, un soir, elle lui dit de but en blanc qu'elle est enceinte.... mais pas de lui ! "Il s'est assis, et puis il s'est mis debout devant moi et il a crié MERDE ! une seule fois." La seule chose qu'elle trouve à lui répondre est : "Au revoir, Pat". Bref, elle le fiche dehors et c'est son père qui vient chercher les affaires de son fils.
Les jours qui suivent, Melody n'est pas aussi fière qu'elle en a l'air : "Je passe la première heure de chaque jour convaincue que je vais me tuer. Je me sens soulagée. Je passe l'heure suivante à m'inquiéter des conséquences de mon suicide. Mon soulagement s'évapore. Je passe l'heure suivante convaincue que je ne vais pas me tuer. Je suis soulagée de nouveau. Je passe encore une heure à m'inquiéter des conséquences si je décide de rester en vie. le soulagement s'évapore. Je répète ce cycle encore trois fois et je vais me coucher. Je dors huit heure.
Quel lien m'ancre sur cette terre ? La peur de souffrir."
Sa grossesse va être l'occasion de nous raconter sa vie, ses blessures, sa part d'ombre, son couple parti à vaux-l'eau.
Mais cette grossesse va surtout provoquer un changement en elle, pas seulement parce qu'elle est enceinte, mais parce qu'elle va faire une rencontre déterminante qui va bouleverser sa vie. Non, ce n'est pas Martin Toppy, l'adolescent père de son enfant ! C'est une jeune femme : Mary Corthery, 19 ans, une fille des gens du voyage. Cette gamine va devenir le rayon de soleil de Melody. Pour elle, elle donnera tout. Et elle sera l'incarnation de tout ce qu'elle a perdu.
C'est le tour de force littéraire de
Donal Ryan. Melody raconte sa grossesse, semaine après semaine, mais surtout, le récit se recentre sur autre chose : une renaissance par l'amitié qui naît entre Melody et Mary. Cette dernier est un personnage solaire, pétillant, courageux, victime d'une vengeance entre clans. Elle va devenir un modèle pour Melody, qui ne pourra plus se passer d'elle. Les deux vont avoir de folles aventures pour se tirer de mauvais pas ! Attention, c'est souvent drôle et tragique à la fois.
Contrairement à Mary, Melody n'est pas un personnage totalement sympathique : ce n'est pas un ange. On découvre sa part d'ombre au fil du récit. Cette grossesse la mettra face aux démons qui
la tourmentent. Ce sera une pénitence, qui, elle espère "aura peut-être (une) fin".
Mary est plus mature de son aînée. Elle n'a pas la langue dans sa poche mais s'offusque souvent du langage fleuri de sa "copine" qu'elle trouve un peu folle de se mettre dans des états pas possibles.
Cependant, les deux font la paire : "Ah sérieux, M'dame, on fout drôlement le bordel quand on est ensemble(...). "(...)Nous sommes sorties dans la rue en ondulant des hanches, nous deux."
Et puis il y a ce bébé qui grandit...
J'ai retrouvé avec plaisir toute la verve de
Donal Ryan, son humour incroyable pour parler de thèmes tout à fait sérieux. On n'est pas en reste d'émotion ni de rebondissements.
Il a eu l'excellente idée de nous immerger dans la communauté des gens du voyage irlandais, dans ce troisième roman. C'est à souligner aussi.
On retrouve aussi les ragots de villages ; l'honneur salit qu'on veut faire payer, la peur du qu'en-dira-t-on ("Je te conduirais moi-même si tu ne peux pas. Je prendrai une brouette et je la tirerai moi-même rien que pour te voir partir, que Pat puisse t'oublier.")
La fin est une vraie surprise et une habile manière de conclure cette histoire de maternité.
La prose de
Donal Ryan vous ensorcelle, croyez-moi !
Une belle histoire d'amitié et de coeurs brisés.
Ce troisième roman est mon préféré. Un coup de coeur.