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Citations sur Glose (23)

LES PREMIERS SEPT CENTS MÈTRES

C'est, si l'on veut, le mois d'octobre, octobre ou novembre, de mille neuf cent soixante ou mille neuf cent soixante et un, octobre peut-être, le quatorze ou le seize, ou le vingt-deux, ou le vingt trois peut-être, mettons le vingt-trois octobre mille neuf cent soixante et un-qu'est-ce que ça peut faire.
Leto-Angel Leto, n'est-ce pas ?-, Leto, disais-je, est descendu il y a quelques secondes, de l'autobus, au coin du boulevard, assez loin de l'endroit où il descend d'habitude, poussé par l'envie soudaine de marcher, de suivre à pied la rue San Martin, l'artère principale, et de se laisser envelopper par le matin ensoleillé au lieu d'aller s'enfermer dans l'entre-sol obscur dont il tient, depuis quelques mois, avec patience mais sans enthousiasme, les livres de comptabilité.
(Incipit)
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Pendant quelques secondes, les deux jeunes gens, l’un bronzé, blond, grand, entièrement vêtu de blanc y compris les mocassins qu’il porte sans chaussettes, athlétique et massif, l’autre plutôt maigre, à lunettes, aux cheveux châtains abondants et bien peignés, dont on voit au premier coup d’œil que les vêtements sont de qualité moindre, demeurent silencieux à cinquante centimètres l’un de l’autre, sans froideur mais sans avoir non plus grand-chose à se dire, chacun plongé dans ses pensées comme dans un marécage intérieur qui contraste avec l’extérieur lumineux, et dont ils ne pourraient émerger que par un effort indescriptible, et où ils croient que l’autre ne risque pas de s’engluer ni jamais ne s’engluera, de par cette tendance à considérer ce qui nous est étranger à l’abri de nos impossibilités.
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Est-ce toujours le même moustique qui, se remettant sans cesse du coup qui l'écrase contre le mur blanc, revient à la charge, soir après soir, ou sont-ce de nouvelles hordes d'individus, flambants neufs et également transitoires, qui surgissent tous les jours, avides, des marais, en quête du sang qui leur est nécessaire, afin de pouvoir, s'ils ont peu échapper à la gifle assassine, et après avoir été larves, nymphes, points volatils et bourdonnants, digérer bourgeoisement, décliner et mourir?
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Le souvenir est comme une photographie ou une image assombrie, imprimée à l'intérieur de sa tête et les émotions et les sentiments d'humiliation ou de colère forment des trous à bords noirs et craquelés, comme si l'image avait été traversée en divers points de sa surface par la braise d'une cigarette.
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C’est, comme nous le savons déjà, le matin : et bien que cela n’ait aucun sens de le dire, étant donné que c’est toujours la même fois, une fois de plus le soleil, de même que la terre, à ce qu’il semble, tourne, a donné l’illusion peu à peu de monter, depuis cette direction dont ont dit qu’elle est l’Est, dans l’étendue bleue que nous appelons ciel, et peu à peu, après l’aube, après l’aurore, il est parvenu assez haut, mettons à la moitié de son ascension, pour que, à cause de l’intensité de ce que nous appelons lumière, nous appelions l’état qui en résulte, le matin – un matin de printemps où, une fois de plus, bien que, comme nous le disions, ce soit toujours la même fois, la température est montée, les nuages se sont dissipés, et les arbres qui, pour quelque raison, avaient perdu auparavant leurs feuilles se sont mis à reverdir, à refleurir une fois de plus, bien que, nous le disions, ce soit toujours la même, d’équinoxe en solstice, l’unique Fois, en la même, n’est-ce pas ?
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La façon dont une vérité se manifeste est secondaire. L’important c’est que la vérité se laisse apercevoir.
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C’est, comme nous le savons déjà, le matin : et bien que cela n’ait aucun sens de le dire, étant donné que c’est toujours la même fois, une fois de plus le soleil, de même que la terre, à ce qu’il semble, tourne, a donné l’illusion peu à peu de monter, depuis cette direction dont ont dit qu’elle est l’Est, dans l’étendue bleue que nous appelons ciel, et peu à peu, après l’aube, après l’aurore, il est parvenu assez haut, mettons à la moitié de son ascension, pour que, à cause de l’intensité de ce que nous appelons lumière, nous appelions l’état qui en résulte, le matin – un matin de printemps où, une fois de plus, bien que, comme nous le disions, ce soit toujours la même fois, la température est montée, les nuages se sont dissipés, et les arbres qui, pour quelque raison, avaient perdu auparavant leurs feuilles se sont mis à reverdir, à refleurir une fois de plus, bien que, nous le disions, ce soit toujours la même, d’équinoxe en solstice, l’unique Fois, en la même, n’est-ce pas ? comme je le disais, nous disons « une » car il nous semble qu’il y en a eu plusieurs, à cause des changements que nous croyons, nous qui donnons des noms, percevoir – un matin de printemps, lumineux, qui se préparait depuis trois ou quatre jours déjà, depuis les dernières pluies qui ont nettoyé, dans un ciel chaque fois plus tiède et plus transparent, les ultimes traces de l’hiver. Leto ne se sent ni bien ni mal ; il marche, insouciant, dans le matin, au centre d’un horizon matériel qui lui envoie, en ondes constantes, des bruits, des textures, des brillances, des odeurs. Il est plongé dans cet horizon et il en est, en même temps, le centre ; si, soudain, il allait ailleurs, ce centre changerait de place.
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Son bien-être provenait moins de la joie issue de la conversation, tout compte fait assez restreinte, de par elle-même et par le contexte où elle etait apparue, que de l'effet de certains mots, de certaines associations, lesquelles, de façon inattendue, lui permirent de déplier, ou plutôt de décoller, des portions de sa vie entas- sées les unes sur les autres comme ces affiches qui, aux murs des villes, sous les couches successives de colle et de papier imprimé, forment une espèce de croûte dont on peut à peine feuilleter les bords épais et tourmentés, tout en sachant que sur chacune de ses strates subsiste, invisible, une image.
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L'expression du Mathématicien trahit une lutte intérieure, lutte dont le résultat, au début incertain, finit par confirmer, de façon provisoire bien sûr, la thèse, pour dire la chose de quelque façon, humaniste comme on dit, d'après laquelle, chez l'être appelé homme, les éléments dits rationnels - pour l'instant Dieu, la patrie, le foyer, la technologie, la réconciliation des classes - finissent toujours par s'imposer aux éléments non rationnels - excréments, succion ou mastication, sperme, sang, autodestruction - de façon constante et selon une courbe ascendante indéfinie, de sorte qu'après une hésitation rapide et mal dissimulée, le Mathématicien, imitant Leto entre les mains de qui, aveugle et désarmé, il a remis tout pouvoir de décision, abandonne le trottoir et s'aventure, lent, sur la chaussée.
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Il y a toujours quelque chose, pense Leto,. Et s’il n’y a rien, on pense qu’il n’y a rien et cette pensée est déjà quelque chose.
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