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Citations sur Pardonnez nos offenses (25)

Le corps peut sur l'âme ce que l'esprit seul n'oserait jamais rêver pouvoir accomplir.
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L’effet fut immédiat. La population entière se convertit aux préceptes de la Vierge. Cela fut d’une rapidité prodigieuse. Les âmes les plus endurcies, les antipapistes les plus convaincus se mirent tous à demander pardon dans leur petite église et à tourner leurs prières vers Rome. La réussite du simulacre était incontestable.
- Maintenant, nous quittons Gennanno ? demanda Gilbert à Drago de Czanad.
— Bientôt. Il nous faut d’abord effacer les traces de notre opération. Ensuite, des hommes du Latran viendront nous remplacer et occuper la place.
Gilbert était fasciné. Il venait d’assister à la versatilité sans limites de ses semblables. Un peu de fumée et beaucoup d’or, et c’en était fait de tout ce que ces hommes avaient pensé ou cru pendant toute une vie, tout ce pour quoi ils étaient encore prêts à mourir le matin même. Le garçon repensa à Rome, à ces maîtres-cardinaux qui gravissaient les marches de l’escalier du Latran, qui connaissaient si bien l’âme de leurs fidèles et qui, par là, savaient si bien les mystifier… Combien de fois dans l’histoire de l’Église s’étaient-ils autorisés à jouer ainsi de la crédulité des hommes ?
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Haquin résuma sommairement l’histoire des Pères de l’Eglise qui charpentèrent la pensée chrétienne. Ils étaient tous de formation hellénique. Après leur conversion à Jésus, ils s’appliquèrent à « reformuler » les grands systèmes philosophiques grecs selon une terminologie de chrétiens, éclairés par leur foi nouvelle et enrichis de l’expérience du Christ. Ce labeur, qui nécessita des générations d’études, fut une épreuve intellectuelle sans égal. Les assimilations, souvent improbables, ne manquèrent pas de révéler des « erreurs » chez les philosophes antiques comme des « lacunes graves » dans le dogme chrétien en plein essor. L’œuvre de Saint-Augustin, par exemple, se constitua sur la christianisation de la pensée de Platon. Entre les lignes, entre les Idées, au détour d’un doute de Socrate, le grand évêque d’Hippone retrouvait les valeurs, les choix et les messages édictés farouchement par l’Eglise. De la même façon, beaucoup d’auteurs antiques se retrouvèrent chrétiens sans avoir jamais connu le Fils. Ceux qui résistaient à tout rapprochement étaient simplement mis à l’index, considérés comme inexacts ou hérétiques.
- C’est du reste une époque très intéressante que nous vivons en ce moment, ajouta Haquin. L’Eglise s’est longtemps contentée de sa victoire exceptionnelle sur le platonisme, sans se soucier du premier de ses adversaires : l’école d’Aristote, le disciple même de Platon.
[…]
Depuis lors, continua Haquin, nous essayons de faire avec Aristote ce qu’Augustin et les Pères ont fait avec Platon. Malheureusement, la pensée d’Aristote est autrement plus complexe et plus éloignée de nous que celle de son aîné. Elle est presque en tous points opposée aux fondamentaux de notre foi.
— Alors pourquoi s’en soucier ? demanda Chuquet. Faisons comme avec les autres penseurs antiques non retenus par nos Pères ignorons-là. Nous pouvons déclarer qu’Aristote est un hérétique, et vivre sans lui comme nous l’avons déjà fait. N’a-t-on pas écarté des textes de l’évangéliste Jean ?

En effet, en effet… dit Haquin. Mais l’œuvre d’Aristote a cet avantage sur saint Jean qu’elle fascine plus les savants que les théologiens. Platon considérait qu’il était impossible aux hommes de connaître la « Vérité » ; pour lui, elle appartient à une autre réalité dont nous ne pouvons rien concevoir pendant cette vie terrestre, si ce n’est les apparences. Aristote, lui, se disait libre de pouvoir tout étudier et tout comprendre. Si la Vérité se cachait derrière les choses et les vivants, il était convaincu que l’homme avait en lui les atouts et les droits pour pénétrer ces mystères. Aussi, lorsque tu glisses un tel discours dans l’oreille d’un savant, comme on le fait aujourd’hui, il n’est plus pensable de vouloir l’en déloger.
— Et vous êtes opposé à Aristote ?
— Je ne suis pas contre le fait d’étudier quelques maladies ou des propriétés végétales pour aider à la médecine, mais que dire de ceux qui, partant de là, s’autorisent toutes les expériences ? La Vie est une création du Seigneur, une émanation de Sa volonté. Chercher à en pénétrer les mystères, c’est entrer dans les secrets de Dieu et par là l’offenser. Par exemple, que dire de ceux qui travaillent aujourd’hui à fragmenter le prisme de la lumière pour en connaître les propriétés ? La lumière ! A-t-on oublié que c’était le troisième acte de la création de Dieu ? Le premier d’entre tous dont il est dit de sa voix « Cela est bien » ? Comment croire, comme certains le disent, que la lumière ne serait là que pour nous éclairer quand nous marchons, alors qu’elle est un geste essentiellement voulu par Dieu ? Que dire de ceux qui étudient les mécanismes de la procréation ? Brûle-t-on les alchimistes et les sorciers pour mieux nous laisser entraîner à leurs mêmes tentations ?
C’était la seule fois que Haquin et Chuquet parlèrent du salut en général et d’Aristote en particulier.
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- Je souhaite qu’on étouffe l’affaire. Epargnez le bûcher à mon fils. Exilez-le en Asie ou en Orient. Ce ne sera pas la première fois que l’ Eglise fermera les yeux sur des mauvais sujets. Tout l’argent des Frère du Seuil reviendra à Rome. De plus, je me porte garant et je m’offre en échange de la clémence du pape. Je n’ai peut-être plus l’âge de mettre mon bras au service d’un seigneur, mais rappelez au chancelier que j’ai encore celui de déposer ma fortune, mon nom et ma vie aux pieds du pontife, et que je suis aujourd’hui prêt à réparer.
Enguerran étala sur la table son blason, son épée d’adoubement, sa croix de Tunis, son écusson et sa croix de baptême.
Le diacre Bazan mesurait parfaitement la portée de ces gestes. Pour un chevalier, cela équivalait à vendre son âme. L’éclat du nom était tel chez les chefs de famille qu’il comptait souvent plus que des vies. Un homme d’honneur était prêt à tout pour préserver son patronyme de l’opprobre.
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Dès son arrivée, Henno Gui tira de sa petite sacoche quelques herbes de jujube, fit des concoctions, arracha les bandages gras, imbiba la jambe d’une pâte de pharmacopole, et récita des prières inconnues aux quelques oreilles, présentes autour du lit. Le prêtre, toujours secret, finit par réduire la blessure et par rendre souplesse et texture à la peau rougie. Les progrès de sa médecine furent diaboliques de prestesse. Certains témoins se signèrent devant tant de prodiges. D’autres abandonnèrent la maison pour aller conter ces miracles à la foule qui attendait dehors. A l’intérieur, le médicastre terminait son pansement en laissant la plaie à l’air libre.
- Je suis toujours partisan de laisser la nature faire ce que l’homme a défait, dit-il. Notre corps s’y connaît mieux en soins que bon nombre de nos maîtres de faculté. La tournure de cette phrase n’échappa à personne : le jeune prêtre avait dit la nature, il n’avait pas dit Dieu.
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Le curé avala une grande lampée de lait.
- Vous n’en démordrez pas ?
- Jamais ! Cette affaire ne peut nous apporter que des ennuis. Croyez-moi sur parole, je sais toujours ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. C’est dans ma nature.
- Tiens, tiens, dit Henno Gui avec un œil soudain pétillant. Vous détenez là un don bien rare ; les philosophes s’évertuent depuis toujours à acquérir pareille sagesse. Aujourd’hui encore, la distinction du Bien et du Mal occupe beaucoup d’esprits. Si vous maniez si bien ce talent, me laisserez-vous profiter de vos lumières ?
Là-dessus, disputeur rompu à la maïeutique, le curé se joua en quelques questions socratiques de l’esprit de la pauvre paysanne. A son insu, chacune des réponses de la femme la conduisait un peu plus au point de vue d’Henno Gui. Il fit si bien qu’ils tombèrent tous deux d’accord sur la nécessité absolue de le conduire au village sans que la sacristine n’ait à renier ses premières convictions. Cette controverse était un jeu d’enfant.
- C’est donc convenu, dit le curé.
- Oui, mais tout cela, c’était pour parler, dit-elle subitement. Pas à faire.
- Il y a une différence ?
- Et comment ! Ce serait trop facile. Vous me parlez du Bien et du Mal, je veux bien, mais moi je vous parle du Bon et du Mauvais. Ce n’est pas la même chose.
Ensuite, avec un bon sens désarmant, la Draguinoise pourtant inculte abattit magistralement la logique de Platon aussi bien que le fit son disciple Aristote.
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On avait appris le passage éclair de l’ « homme en noir », le vacarme foudroyant et le crâne éclaté du vieil homme. Aucune arme de ce monde ne pouvait à ce point réduire en miettes un être de chair et d’os. Pour la foule désemparée et superstitieuse, le religieux devenait soudain coupable de quelque péché impardonnable, seul capable de justifier un tel châtiment. On le répéta : l’évêque avait succombé à la colère d’un diable. Son passé obscur refit alors surface. Son silence, son isolement, sa mélancolie : tout servait de texte à l’inspiration morbide des dénicheurs de secrets. On en fit un damné, un tueur d’enfants, un allié des hérétiques, un Milanais, un sodomite. Béatrice, la première servante de l’évêque, confia même avoir trouvé dans ses bahuts (il y avait de cela plus de vingt ans) une cape de San Benito, cette funeste casaque jaune que l’Inquisition faisait porter à ceux qu’elle avait frappés. On se signa. Haquin était un faux évêque ! Les fidèles avaient passé trente ans sous la coupe d’un renégat. Les messes, les confessions, les baptêmes , les absolutions tout devint une source d’horreur, de honte et de colère… Et les malheurs perpétuels de Draguan depuis l’apparition des cadavres du Montayou prenaient soudain un sens et un visage. Même la rigueur de l’hiver fut imputée à Haquin.
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La disposition du village était chaotique. Une étrange sauvagerie suintait de chaque hutte, de chaque pierre, de chaque indice trahissant la vie de ces hommes. On ne savait si les villageois d'ici s'étaient conformés à cette atmosphère macabre ou si c'étaient les murs eux-mêmes qui reflétaient leurs âmes noires et sauvages.
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la hiérarchie des connaissances :
- celles qui sont admises de longue date,
- celles qui sont nouvelles et dont il faut se méfier
et enfin,
celles qui sont en avance sur leur temps et dont il ne faut surtout rien dire.
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Le prêtre, toujours secret, finit par réduire la blessure et par rendre souplesse et texture à la peau rougie. Les progrès de sa médecine furent diaboliques de prestesse. Certains témoins se signèrent devant tant de prodiges. D'autres abandonnèrent la maison pour aller conter ces miracles à la foule qui attendait dehors. A l'intérieur, le médicastre terminait son pansement en laissant la plaie à l'air libre.
- Je suis toujours partisant de laisser la nature faire ce que l'homme a défait, dit-il. Notre corps s'y connaît mieux en soins que bon nombre de nos maîtres de faculté.
La tournure de la phrase n'échappa à personne : le jeune prêtre avait dit la nature, il n'avait pas dit Dieu.
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